
Un départ magnifique en baie de Concarneau, un passage de front froid la première nuit, une descente musclée le long des côtes portugaises, un choix stratégique crucial entre une route nord ou sud aux Canaries pour rejoindre l’arc Antillais, des duels infernaux et des arrivées en rafale. Tout était réuni pour faire de cette 12e édition de la Transat AG2R – La Mondiale un événement mémorable.
Le treizième et dernier concurrent de la Transat AG2R - La Mondiale, le duo Mathieu Forbin et Arthur Prat sur Guadeloupe Grand Large 1, est arrivé ce vendredi, à 2h14, à Saint-Barth. Le rideau vient donc de tomber sur l’épreuve. « Nous avons eu de belles bagarres sur l’eau, dans une belle ambiance. Du sport et de fabuleuses histoires humaines ! » résume Roland Jourdain, co-skipper de Martin Le Pape sur La Cornouaille, 4e à Gustavia, à 87 petites secondes seulement du podium de cette 12e édition. « Le Figaro, c’est comme le vélo, mais parfois pour passer les vitesses, c’est un peu difficile. Les stars de la classe, ce n’est pas évident de les coller au tableau arrière » a-t-il constaté. Lui et les autres s’accordent sur un point: gagner une transat, c’est un sacré défi, et c’est généralement celui qui commet le moins d’erreurs qui remporte la mise. Cette fois, c’est donc le tandem Gwénolé Gahinet – Paul Meilhat qui en a fait le moins. Trajectoires parfaites, vitesse indécente : Safran-Guy Cotten a parfaitement mené sa course du début à la fin.
Une course de marcassins
« On a vraiment travaillé les réglages en se disant : on veut aller plus vite que les autres. Et dans le vent fort, en gros, on a fait comme Xavier Macaire : on a « marcassiné ». C’est un peu l’expression maintenant en Figaro. Avant, il y avait les sangliers. Nous, les jeunes, nous sommes les marcassins. Cela signifie, en gros que plus il y a de vent, plus on tire sur les voiles, plus on gite, plus ça penche et plus ça fait peur, mais plus on va vite, a avoué Paul au lendemain de son arrivée. En clair, on bourrine, on se fait mal et on y va ! En discutant avec les autres, je sais qu’ils n’ont pas fait ça. Ils ont été plus raisonnables, ils ont mis le petit spi… Mais à un moment donné, si on veut gagner, il faut attaquer. Avec le niveau qu’il y avait sur cette transat, il fallait le faire. » Avec son acolyte, ils ont envoyé du lourd entre Concarneau et Saint-Barth, tirant sur la machine autant que sur les organismes. Heureusement, dans les moments durs, leur moral s’est trouvé dopé par le joli duel de Fabien Delahaye et Yoann Richomme. La paire de Skipper Macif est devenue leur principal rival dès le passage des Canaries. Reste qu’après près de onze jours de bagarre, Gahinet et Meilhat ont repris l’avantage dans la nuit du 25 au 26 avril, puis creusé progressivement l’écart jusqu’à la ligne d’arrivée.
Une trajectoire quasi parfaire
« Gwéno et Paul ont bien maitrisé la course de A à Z, analyse Michel Desjoyeaux. Ils ont serré un peu les fesses après le passage des Canaries car la transition était difficile à choper. Après ils ont été assez sereins sur une trajectoire dans les mers du sud, dans les alizés en ménageant la droite et la gauche. Ils allaient très vite au portant. Cela les a aidés sur la fin pour se défaire de Skipper Macif. Très belle course, ils n'ont rien à refaire, c'était parfait. » De son côté, le co-skipper de Bretagne – Crédit Mutuel Performance a tenté une option opposée, au nord, après le passage obligatoire de La Palma, le 14 avril dernier. Même topo pour deux autres vieux loups de mer : Jean Le Cam sur Interface Concept et Kito de Pavant à bord de Made in Midi. Sauf que voilà, rapidement, la porte qui semblait ouverte s’est refermée. Résultat, pendant que leurs camarades de jeu ont cavalé au sud, ils ont galèré au près pendant des jours et des jours. Le retour s’est rapidement avèré impossible pour les trois marins les plus expérimentés de la flotte… mais aussi les meilleurs spécialistes des bateaux beaucoup plus grands que les Bénéteau Figaro 2 sur lesquels se court l’AG2R. Pour Kito de Pavant, c’est justement cette expérience du 60 pieds qui les a poussés à prendre la même trajectoire.
« Au nord, on s’est trompé, c’est tout »
« Les gars qui ont pris le nord étaient tous habitués à des bateaux et des courses plus rapides. Sur un Imoca, ça serait passé. On a bien vu que les spécialistes du Figaro gèrent différemment leur temps. On n’a pas intégré ce concept. Nous nous sommes trompés, c’est tout. » Pour les observateurs, la situation a eu l’avantage de créer un autre match dans le match, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la partie a été serrée jusque dans les derniers mètres : 2 minutes 54 secondes d’écart entre les deux premiers du groupe. «On s’est battu pour l’honneur et pour l’orgueil » Il fallait bien ça au « Professeur » Desjoyeaux pour compenser cette désillusion parce qu’il va sans dire qu’une dixième place, ce n’est pas ce qu’il venait chercher au départ. Bref, pour cet incroyable scénario sur lequel personne n’aurait misé à Concarneau il y a trois semaines, cette AG2R – La Mondiale 2014 restera unique dans les anales de la course au large, mais aussi dans la tête de tous les marins qui sont arrivés à Saint-Barth parce que, comme le rappelait justement le jeune Corentin Horeau : « Une transat, ça change un homme. »
Ce qu’il faut retenir
22 changements de leaders
Generali est l’équipage qui a occupé le plus souvent la tête du classement provisoire avec 30% du temps, contre 16% pour Safran-Guy Cotten, 15% pour Made in Midi, 11% pour Skipper Macif et Interface Concept.
257,8 milles en 24 heures par rapport à la distance au but parcourue par Generali, détenteur du Trophée de la Performance (le plus rapide de la flotte à 3 reprises sur 24 heures).
4 762 milles : c’est la distance réellement parcourue par 30 Corsaires avec sa route très sud. Soit 872 milles de plus que la route orthodromique (3 890 milles) ! En conséquence, 30 Corsaires a été le bateau le plus rapide sur toute la durée du parcours avec une moyenne de 8,87 nœuds contre 8,74 nœuds pour le vainqueur Safran-Guy Cotten (4 670 milles parcourus).
Le 28 avril, après un peu plus de 22 jours de course, les quatre premiers vont se succéder dans le port de Gustavia en l’espace de 1 heure 38 minutes et 24 secondes.
Les nordistes arriveront à Saint-Barth avec plus de 41 heures de retard sur les vainqueurs.
Deux démâtages : Cercle Vert (Morvan/Dalin) dans la nuit du 6 au 7 avril, Gedimat, le 18 avril.
Deux safrans endommagés (collisions avec un OFNI) : La Cornouaille le 10 avril, et Scutum le 23 avril.