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18 novembre 1990, il est 23h10 en métropole, 17h10 à Pointe à Pitre, quand Florence Arthaud coupe victorieusement la ligne d’arrivée, après 14 jours et 10h de mer depuis St Malo. Elle paraît d’autant plus menue, dans son T-shirt blanc à bretelles, que son trimaran est grand. Depuis le matin, la décoration d’or et d’argent fait le bonheur des photographes. Perchée sur le flotteur au vent, Flo savoure ce moment de grâce, qui la fait définitivement entrer dans l’histoire de la course au large. Derrière elle, relégués à plus de 8 heures, les hommes ne sont pas des amateurs pourtant. Plutôt des légendes vivantes au contraire. Ils ont pour nom Philippe Poupon, Laurent Bourgnon et Mike Birch, excusez du peu. L’exploit n’en est que plus grand.

Pour cette navigatrice hors-norme il fallait un bateau d’exception. Habituée à récupérer d’anciens bateaux pas toujours dans la fleur de l’âge, Flo convainc le groupe immobilier Pierre 1er de construire un bateau neuf en vue de cette quatrième édition de la Route du Rhum. La Parisienne fait appel au déjà réputé duo d’architectes voisin, VPLP. Inspiré du très véloce Formule 40 Biscuits Cantreau dessiné pour Jean-Le Cam, le trimaran conçu pour Florence est le premier à présenter des flotteurs à la longueur maximale de la jauge (60 pieds soit 18.28m). Ils sont tellement volumineux qu’ils permettent, évolution majeure de notre sport, de soulever la coque centrale. Un mât aile pour maximiser la puissance, trois safrans et autant de cockpits pour toujours garder le contrôle, la révolution est en marche. Un jeune impétrant l’a bien senti ainsi et se fait construire un quasi-sister-ship : Laurent Bourgnon. Il devra attendre 4 ans pour monter sur la plus haute marche du podium, mais ce sera, pour Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot-Prevost, la première d’une longue série de victoires sur la mythique transat en solitaire.

Mais que serait un excellent plan sans une construction de haut vol ? C’est le département Technologies Avancées de Jeanneau (JTA) et un certain Bruno Belmont – aujourd’hui chez Lagoon – qui s’en chargera dans l’atelier situé au bord de la Loire près de Nantes. Une construction techniquement sans faille, dont la renommée s’ébruitera jusqu’à Hollywood ! En effet, trois ans plus tard, en 1993, un certain Kevin Costner s’apprête à tourner Water World, Mad Max sur l’eau, et tombe sur une photo de Pierre 1er. Les lignes du trimaran conviennent bien à l’idée qu’il se fait du bateau du film et Denis Gassner, le décorateur, se charge de customiser cette nouvelle version pour la faire correspondre au scénario.

Quant au trimaran original, Christian Garrel son armateur le revendra rapidement, au grand désespoir de sa skipper vedette. Cette dernière lorgnait pourtant sur un multicoque encore plus grand pour s’attaquer au Trophée Jules Verne autour du monde, mais se séparer de Pierre 1er restait un crève-coeur. C’est un certain Steve Fossett, milliardaire-aventurier qui en fait l’acquisition et le renomme Lakota. Cinquième de la Route du Rhum 1994 à son bord, on le retrouvera ensuite autour du monde à la barre du catamaran géant Playstation. Ironie de l’histoire, Steve Fossett disparait en 2007 aux commandes de son avion, huit ans seulement avant que Florence Arthaud ne perde la vie dans un accident d’hélicoptère en Argentine.
Le fabuleux trimaran leur survivra aux mains de passionnés, d’abord Scandinaves, sous le nom de Sony, puis français à nouveau ces dernières années. Il a repris son nom Amérindien de Lakota, tribu du peuple Sioux. Il est de nouveau à vendre et toujours aussi fringant, capable de filer 16 nœuds par seulement 10 nœuds de vent. 250 000 Euros pour trois coques mythiques. Qui n’en rêve pas ?