Route du Rhum - Destination Guadeloupe : Morgane Ursault-Poupon, les convictions avant le nom
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Le budget a été bouclé tardivement alors forcément elle court un peu après le temps. Alors plutôt qu’au bateau on la retrouve dans un café cosy de la ville intra-muros, le temps de terminer son déjeuner et de prendre un thé. Elle se souvient avoir couru petite sur les pontons de Saint Malo, mais pas vraiment des départs lors desquels elle était déjà confiée à ses grands-parents. Ce dont elle se souvient le mieux, ce sont ces deux saisons passées dans le grand sud, entre Patagonie et Géorgie du Sud sur le premier Fleur Australe paternel. Quand on nage adolescente, elle n’a alors que 13 ans, avec les baleines dans la Péninsule de Valdez cela peut déterminer une vie. En naîtra une passion infinie pour cette région pourtant hostile. Au point qu’après des études mêlant humanitaire, agrologie et irrigation, elle reviendra y travailler cinq années, à bord du Paradise, un solide cotre en alu de 20 mètres. La suite c’est Morgane Ursault-Poupon qui la raconte.
« C’est après c’est cinq années à renforcer mes capacités de marin et que j’ai accepté l’idée de faire de la course au large ? Avant, quand on me demandait, je disais « jamais de la vie » ou « ça sert à rien » ou encore « non, non, c’est pas pour moi ». En 2017, à 31 ans, j’ai commencé à chercher des partenaires et j’ai pu louer le Class40 N°30 six mois avant le départ, sachant qu’auparavant je n’avais jamais fait de course en solitaire ni même de régate. C’est grâce à des personnes que j’ai rencontré dans le Grand Sud, des chefs d’entreprise, qui m’ont fait confiance, et m’ont permis de commencer cette aventure. Fleury-Michon Bio est l’une des dernières entreprises que j’ai sollicitées et ils m’ont filé un coup de pouce pour une année. Comme j’ai fait des études dans l’environnement et que pour moi ça a toujours été important de faire des choses utiles pour la protection de la planète, ce petit « Bio » qui peut paraître anodin était hyper-important et il tenait aussi à cœur à l’équipe de Fleury Michon, à commencer par Grégoire Gonnord qui a de vraies convictions. Pour l’anecdote, quelques mois avant, quand j’étais en pleine recherche de partenaires et que je pensais que ça allait être plus facile, j’ai dit non à un groupe parapétrolier pour respecter mes convictions. Mais nous avons signé avec Fleury-Michon en juillet et cette Route du Rhum 2018 s’est super bien passée, je suis arrivée au bout, 27ème sur 53. J’ai enchaîné les dépressions dans le Golfe assez sereinement, le bateau était fiable et costaud. Du coup, au début c’était un one-shot, une aventure, je ne pensais pas forcément continuer et finalement, les quatre dernières années je n’ai fait que ça avec deux Transat Jacques-Vabre et une Route du Rhum. Ça a été super intense, j’ai rencontré plein de monde. J’ai une équipe d’une dizaine de personnes, tous bénévoles, des amis, qui m’ont accompagné. La course au large et la Route du Rhum ont été un tremplin pour développer des projets dans le nautisme et ça m’a créée en tant qu’entrepreneuse également, avec ma société UP Sailing.
Oui c’est le même parce que d’une part je n’ai pas eu les moyens de le changer et aussi parce que j’y suis très attachée et je n’ai jamais voulu le vendre. Je participe donc sur le plus vieux des Class40, et mon objectif c’est de faire un podium dans la catégorie « Vintage » (NDLR : Numéros de coques inférieurs à 100 environ, avec un critère de performance en plus) qui est une classe dans la Class40. Et surtout cette année je réalise un rêve, celui de pouvoir donner à mon bateau le nom d’une association qui se bat sur le terrain, dans les pays en voie de développement. Cela boucle la boucle avec mes études faites en partie dans l’humanitaire, cela crée une histoire qui a beaucoup de sens. Mon projet devient vraiment utile parce que toute l’équipe de Médecins du Monde est très enjouée autour de ce projet. Ils se servent de mon bateau comme d’un super moyen de communication qui rappelle qu’en 1980 l’ONG a été créée à l'occasion de l'opération « Un bateau pour le Viêt Nam » en Mer de Chine, pour apporter un soutien aux réfugiés Vietnamiens.
J’ai de la chance dans mon malheur, car n’ayant pas trouvé de partenaire-titre, du coup, grâce à plusieurs petits partenaires, j’ai pu donner le nom du bateau à cette association. En prenant ce pari de bloquer le nom, ça a attiré de nouveaux partenaires qui trouvaient beaucoup de sens dans ce projet, qui étaient content d’associer leur image à celle de Médecins du Monde. Et du coup, ça fait un projet multi-partenariats, avec des acteurs qui ont des convictions et qui se retrouvent dans ces valeurs humaines.
On voit qu’à J+1, vers Ouessant, on va être dans une zone dépressionnaire très forte, on va passer un front avec des rafales autour de 45 nœuds, la mer sera très forte également. C’est délicat de dire ça, mais ce sont des conditions qui me vont plutôt bien. Je suis assez à l’aise dans le gros temps, ce n’est pas quelque chose qui me fait particulièrement peur. Alors on a tous peur de casser et ce n’est pas confortable, ça va être dur, notre corps et notre mental vont souffrir. Mais je peux bien m’en sortir dans ces conditions parce que j’ai confiance en mon bateau, qui est éprouvé, plus solide que certains qui sortent de chantier. Donc je vais peut-être pouvoir mieux m’en tirer que si les conditions étaient plus faciles. Il ne faudra pas se tromper de trajectoire, moi je pars plutôt sur une route Sud, et la course sera belle si j’arrive de l’autre côté déjà, avec un maximum de bateaux derrière ensuite, et que j’ai fait une belle trace, comme au ski dans la poudreuse.
L’année prochaine, j’ai prévu de faire une pause. Je ne ferai pas la Jacques Vabre, parce que j’ai envie de changer de bateau, de projet, de me professionnaliser et d’être moins dans le stress du budget. Plutôt que me lancer un peu en aveugle sur une course sans avoir un budget solide, là je vais prendre les choses différemment, en construisant vraiment le projet avec des partenaires qui me permettront d’aller vers la performance. Il est donc possible que le projet soit d’aller sur un Vendée Globe, mais tout dépend des partenaires que j’arriverai à trouver.