Route du Rhum – Destination Guadeloupe : Chronique d'une victoire rêvée

Charles Caudrelier avait 20 ans en 1994 quand Laurent Bourgnon a remporté la première de ses deux Route du Rhum. Il a gardé cette image dans la tête du Suisse, seul sur son flotteur à la barre de son trimaran de 60 pieds blanc. La Route du Rhum, C’est LA course qui lui a donné envie de faire de la voile. Il lui aura fallu attendre 28 années pour que les planètes s’alignent et qu’il puisse participer. Mais si ce coup d’essai est un coup de maître, c’est qu’entre temps, le natif de Beg Meil, à quelques bords de près de La Forêt Fouesnant, siège de la vallée des fous comme l’a surnommée Olivier de Kersauson, s’est bâti l’un des plus solides palmarès de la voile française. En Figaro d’abord, avec cinq participations à la Solitaire dont une victoire en 2004. Autour du monde ensuite, couronnée par deux victoires, l’une aux côtés de Franck Cammas en 2012, l’autre comme skipper de Dongfeng en 2018, ce qui lui vaudra d’être élu Marin de l’Année. Mais aussi en double, avec trois victoires sur la Route du Café, avant cette consécration en solitaire, la discipline ultime.
Alors hier au soir, quand beaucoup croyaient ou espéraient que ces derniers milles de nuit, avec ses vents erratiques, offrirait un scénario à la 2018, favoriserait un retour de François Gabart et une arrivée au finish, le clan Gitana était serein. Sans doute avaient-ils en tête ce jour de juin 2018 où Charles Caudrelier a remporté le tour du monde en équipage à La Haye. Dans une dernière étape décisive et d’anthologie, lui et son équipage partent seuls à la côte dans les derniers milles, quand tous les cadors de la voile mondiale (Xabi Fernandez et Bouwe Bekking en tête) passent au large. Victoire d’étape et victoire finale, le Breton, avec pascal Bidegorry à la tactique, démontre de manière magistrale toute sa science de la régate et toute la maîtrise qu’il a de son sujet. Alors oui il perd 20 milles au classement en se recalant au Nord hier après-midi, mais il est toujours 60 milles devant François Gabart et surtout entre lui et l’arrivée, tout en contrôle.
Malgré une nuit passée à lutter contre un vent aussi faiblissant que prévu, la trajectoire reste belle, et l’arrivée magique. Homme de peu de mots, sa joie la ligne passée est peu démonstrative mais on sent toute son émotion une fois la ligne passée. Une belle pensée pour sa maman et son armateur benjamin de Rothschild trop tôt disparus, un hommage appuyé à son équipe car cette victoire en solitaire est aussi une victoire collective, et puis une reconnaissance infinie à Franck Cammas. Son co-skipper avec qui ils ont tout gagné depuis trois ans qu’ils ont pris la barre de cette fabuleuse machine, aurait pu être à sa place. Mais c’est peut-être Charles qui en avait le plus envie, le plus besoin est-on tenté de dire, qu’il en a été décidé ainsi. Mais l’heureux élu n’oublie surtout pas tout l’apport de cet expert es-multicoque, son comparse de 20 ans, resté en Bretagne au sein de la cellule routage avec Erwan Israel et Stan Honey.
Suite en Gitana majeur
Après la victoire, et le record déjà à l’époque, de Lionel Lemonchois en 2006 à la barre de Gitana 11, c’est donc un très joli doublé pour l’écurie de course au large dirigée aujourd’hui par Cyril Dardarshti. Indiscrétion livrée dans l’euphorie de l’arrivée, un nouveau bateau serait déjà sur la table à dessin, preuve de la confiance d’Ariane de Rothschild dans cette formidable équipe. Mais avant cela, il y aura un tour du monde en solitaire l’an prochain au départ de Brest. La saga des Gitana qui perdure depuis plus de 140 ans a donc encore un bel avenir, et Charles Caudrelier, pourrait bien continuer à enrichir son superbe palmarès qui compte aujourd’hui une étoile un peu plus brillante que les autres.
« Les premières 24 heures ont été dures, mais après je suis rentré dans le rythme. J’avais tellement la gnaque, tellement envie de gagner cette course pour plein de raisons. Toute l’histoire de cette équipe, de ce bateau, pour des raisons personnelles aussi. J’en rêve depuis que je suis gamin, je n’avais jamais pu la faire, et c’était une énorme frustration. Puis un jour, il y a trois ans, on m’a offert ce rêve-là. J’ai tellement de gens à remercier, qui m’ont soutenu, qui ont cru en moi, je ne peux pas tous les citer, j’en parlerai plus tard. Mais il y a d’abord la folie de cette famille qui fait construire ce bateau volant au large, un maxi en plus, impensable il y a quelques années. Je l’ai vu naviguer, j’étais au départ du Rhum il y a quatre ans et j’ai trouvé ce bateau dingue et un an après j’étais à bord. Et puis il y a une histoire très forte aussi avec Franck Cammas. Parce que le niveau de la prestation qu’on a donné aujourd’hui, c’est vraiment le travail de toute l’équipe. Mais moi en plus, ça fait trois ans que je travaille à ses côtés et je lui dois un grand merci. Parce que c’était lui l’expert du multicoque, c’était lui qui avait l’expérience de ces bateaux en solitaire. Moi je sortais d’un univers différent et sans lui je n’aurais pas eu un bateau aussi performant, je n’aurais pas eu cette maîtrise du bateau. A un moment il a fallu choisir qui allait la faire cette Route du Rhum et il m’a laissé la place, généreusement. Alors je le remercie et je pense à lui parce qu’il aurait pu la gagner à ma place, sur ce bateau. Et puis c’est toute l’équipe derrière, parce qu’il faut le mener à fond ce bateau, et c’est un bateau extrêmement compliqué. Il y a des gens qui s’acharnent dessus toute l’année. Il faut le faire évoluer, car face aux bateaux neufs il fallait garder l’avance ou être aussi performants. Comme je le dis souvent, c’est une équipe de Formule 1 dont je suis le pilote le dimanche, mais tout le reste de l’année il y a des gens qui bossent pour que j’ai un bateau parfait et je n’ai pas eu un souci sur le bateau. C’était une course presque parfaite. »