Cantilène Cantabrique : Ribadeo, c'est quand même très beau !

Par Denis Chabassi?re

On hésite à décrire l’atterrage sur Ribadeo, tant l’impression qu’on ressent en arrivant est contradictoire. Et pour commencer : cette entrée on ne la voit pas ! Cachée dans une des nombreuses anfractuosités de cette côte rectiligne et monotone qui s’étire vers l’Ouest du Cap Pénas à la Punta Roncadoira !

Dans le petit matin houleux, et la grisaille asturienne on s’était décidé à parcourir, au pré d’un seul tenant, les 70 milles qui séparent Gijón de l’embouchure de la rivière Eo, frontière naturelle entre Asturies à l’Est et Galice à l’Ouest. Les fichiers météo avaient été fiables et le vent avait tourné, comme prévu, à droite et régulièrement dans la journée. Le soleil s’était mis de la partie et, de concert avec « Patriot Games », on s’approchait de l’estuaire au mi-jusant : pas idéal contre la houle d’Ouest. On se rassurait des faibles coefficients de marée et d’un courant sortant qui ne devait dépasser les deux nœuds.

Donc, le phare de Isla Pancha à tribord est très discret. Le pont autoroutier qui enjambe l’estuaire non ! Cette remarquable construction de béton de 30 mètres de tirant d’air défigure le paysage, mais l’heure n’est pas aux considérations esthétiques. Ça déferle à tribord, ça déferle à bâbord et les alignements d’entrée doivent être respectés très rigoureusement. Ils sont fort heureusement matérialisés par des amers à terre remarquables de jour comme de nuit. On affalera la grand-voile en aval du pont, ce qui n’est pas la plus prudente des solutions : le courant descendant a vite fait de vous ramener vers les brisants de Las Carrayas.

Ribadeo est classé dans la catégorie A du guide IMRAY : « accessible tout temps ». Le lendemain, du haut du Cargadeiro, Paul, le skipper de Patriot Games, voyant les déferlantes de Carrayas, confiera ses doutes sur la possibilité de rentrer à mi-jusant de grand coefficient avec un bon coup d’Ouest. « I totally agree » approuvais-je.

Le Cargadeiro est, avec le viaduc et l’ascenseur monumental qui mène au centre-ville, une construction insolite dans cette ria qui s’étale langoureusement. Comme à San Esteban de Pravia, quelque 40 milles plus à l’Est, cette estacade en surplomb était destinée au chargement du minerai dans les bateaux vraquiers, rappelant le destin de Gijon : « mine et mer ». Le fer était transporté par une voie ferroviaire, longue de 34 km depuis le point d’extraction Vilaoudriz. Cargadeiro : 1901-1964.

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Si l’embouchure de l’estuaire est large d’un demi mille, il faut venir reconnaitre le passage sous le pont à son extrémité Ouest pour accéder aux ports, les cargos rouliers eux aussi s’y astreignent. Devant nous s’offre alors ce vaste plan d’eau en forme de Y. A bâbord, côté Asturies le port de Figueras et ses constructions navales, les grues et les cargos en construction surprennent dans ce site champêtre. Le Bras oriental du Y est une baie, large de plus d’un mille, elle s’étend sur un mille et demi et découvre largement à marée basse.

A l’embranchement du Y, sur un petit promontoire, se dresse fièrement le clocher de Castropol.  A notre droite, vers le sud, s’enfonce sur cinq milles le bras droit du Y, large de mille mètres il fait le lit du Rio Eo. En arrière-plan et à l’infini, apaisant le regard, ondulent de hautes collines boisées que coiffent les nuages.

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Le Viaduc de Ribadeo. Au fond Castropol, à droite la marina de Porcillan.

C’est à Porcillan, la marina au pied de Ribadeo que nous sommes accueillis. En dépit de l’heure tardive deux membres du club qui gère les pontons, gentiment nous attendent, nous installent, nous confient une clef et présentent les commodités du lieu : eau, électricité, laverie. Le Wifi ? on oublie ! Aux visiteurs sont réservés les places face à l’entrée de la marina, ce ne sont pas les plus protégées quand rentrent à grande vitesse les bateaux de pêche qui se dirigent vers leur port à eux, plus au Sud. Le bassin de plaisance est encombré de petites embarcations de 4 à 6 mètres et en particulier « El Bote a vela de Ribadeo ». Cette construction locale en bois est remarquable par son grément à voile latine et un très joli petit cul en forme de cœur. Le Club nautique perpétue avec passion une tradition vivace de ce navire utilisé autrefois de manière professionnelle pour la pêche et le transport dans la ria.

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Les « Bote a vela de Ribadeo » : voiles latines et jolis culs.

On visite Ribadeo? Allez on visite Ribadeo ! On laisse aux mollets fatigués le ci devant ascenseur extérieur, il a du mal à rivaliser avec celui de Salvador de Bahia. C’est donc à pied que l’on gravit les rues de cette petite cité qui, à l’évidence, redouble d’efforts pour se hisser au rang d’attraction touristique. Par chance pour nous elle peine à convaincre les visiteurs. Cela reste authentique et charmant. Ribadeo est sur le « Camino del Norte » du chemin de St Jacques, les indices ne manquent pas. On peut imaginer qu’à défaut de pont autoroutier et d’ascenseur pharaonique, les pèlerins traversaient l’estuaire en barque. Petit détail qui pourrait apparaitre bénin : brusquement du rouge des tuiles d’Asturies, les toits se couvrent de lauzes noires : nous sommes bien chez des celtes, en Galice.

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Sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle

La Place de España s’offre à nous, elle est déserte. La tour de « Los Morenos » s’effrite sans bruit, elle a été conçue par un élève de Gaudi. Outrance, sophistication, insolence. Insolite un dôme la chapeaute qui lui aussi menace ruine. A sa droite le « Pazo de Ibanez » dont un cartel nous précise qu’il fut édifié par Antonio Raimundo Ibanez : « Asturien de provenance mais Ribadense d’adoption » suggérant à « l’estranger » qu’il serait outrageant de confondre Asturies et Galice. Les celtes, gens d’honneur, sont reconnaissants à Antonio l’asturien d’avoir, par la création d’une industrie de fonte et de céramique, participé au développement et à la richesse de leur bourgade Galicienne. La maison d’Antonio Ibanez est aujourd’hui le siège de la mairie de Ribadeo…On flâne vers le couvent de Santa Maria do Campo. Il se dégage de ces lieux un paisible et réconfortant ennui que de majestueux palmiers escortent. On est bien, on est tranquilles.

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La Place de España

On passe à table ? On passe à table ! Mais avant cela une petite halte au supermercado. C’est rue San Francisco, Eroski center ça s’appelle. Manque de chance pour les restaurateurs locaux, on y trouve tout ce que l’on veut, et même plus. Comme en Cantabrie et en Asturies des produits de qualité, et en particulier des tentacules de pieuvre cuites et conservées sous vide, conservation longue durée s’entend. Coupée en rondelle, passée à la poêle avec du piment de de l’ail cette tentacule c’est déjà l’Espagne.

Des pieuvres et des calamars, justement, ce n’est pas ce qui manque rue San Francisco en retournant au bateau : Pulperia, Botelleria… : nous les ignorons, fiers comme des goélands notre pieuvre dans la musette. Nous avions pourtant le projet de grimper à la racine Ouest du Viaduc pour honorer une adresse recommandée par le Michelin*. Ce sera pour vous, ou pour nous une autre fois.

Eroski center : San Francisco 25.

Pulperia y taberna Casa Villaronta san Francisco 11

*Hotel restaurante Javier Montero As Barreiras 14

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Balcons et Bow window à Ribadeo.

L’après-midi, “A la tarde » nous voit bucoliques. Longeant la rive Ouest, galicienne, de la ria, nous découvrons successivement : Le port de pêche, le port de commerce, les entrepôts de bois d’eucalyptus et de grains, les deux sont vides aucun cargo à quai. Cela reste une surprise cette activité maritime de commerce dans ses agrestes paysages. Plus au Sud se dévoilent les activités balnéaires et les jeunes filles. Les lycéennes se dorent sur la pelouse, papotent, font les belles. Les gars, font les fiérots, plongent, tapent mollement dans le ballon, avironnent, kayakent. La vie quoi !

Au loin vers Castropol les voiles latines se réjouissent de la marée haute, tirant des bords à la rive. Nous aurions pu poursuivre au-delà de Casa de las Alguas, vers le moulin à marée, et puis, plus au sud encore, en direction de l’observatoire ornithologique. Mais il se fait tard, demain est un autre jour et il faudra quitter Ribadeo dont la ria mérite plus qu’une escale.

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La Ria sud de Ribadeo

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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