Cantilène Cantabrique : Ribadeo, c'est quand même très beau !
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Dans le petit matin houleux, et la grisaille asturienne on s’était décidé à parcourir, au pré d’un seul tenant, les 70 milles qui séparent Gijón de l’embouchure de la rivière Eo, frontière naturelle entre Asturies à l’Est et Galice à l’Ouest. Les fichiers météo avaient été fiables et le vent avait tourné, comme prévu, à droite et régulièrement dans la journée. Le soleil s’était mis de la partie et, de concert avec « Patriot Games », on s’approchait de l’estuaire au mi-jusant : pas idéal contre la houle d’Ouest. On se rassurait des faibles coefficients de marée et d’un courant sortant qui ne devait dépasser les deux nœuds.
Donc, le phare de Isla Pancha à tribord est très discret. Le pont autoroutier qui enjambe l’estuaire non ! Cette remarquable construction de béton de 30 mètres de tirant d’air défigure le paysage, mais l’heure n’est pas aux considérations esthétiques. Ça déferle à tribord, ça déferle à bâbord et les alignements d’entrée doivent être respectés très rigoureusement. Ils sont fort heureusement matérialisés par des amers à terre remarquables de jour comme de nuit. On affalera la grand-voile en aval du pont, ce qui n’est pas la plus prudente des solutions : le courant descendant a vite fait de vous ramener vers les brisants de Las Carrayas.
Ribadeo est classé dans la catégorie A du guide IMRAY : « accessible tout temps ». Le lendemain, du haut du Cargadeiro, Paul, le skipper de Patriot Games, voyant les déferlantes de Carrayas, confiera ses doutes sur la possibilité de rentrer à mi-jusant de grand coefficient avec un bon coup d’Ouest. « I totally agree » approuvais-je.
Le Cargadeiro est, avec le viaduc et l’ascenseur monumental qui mène au centre-ville, une construction insolite dans cette ria qui s’étale langoureusement. Comme à San Esteban de Pravia, quelque 40 milles plus à l’Est, cette estacade en surplomb était destinée au chargement du minerai dans les bateaux vraquiers, rappelant le destin de Gijon : « mine et mer ». Le fer était transporté par une voie ferroviaire, longue de 34 km depuis le point d’extraction Vilaoudriz. Cargadeiro : 1901-1964.
Si l’embouchure de l’estuaire est large d’un demi mille, il faut venir reconnaitre le passage sous le pont à son extrémité Ouest pour accéder aux ports, les cargos rouliers eux aussi s’y astreignent. Devant nous s’offre alors ce vaste plan d’eau en forme de Y. A bâbord, côté Asturies le port de Figueras et ses constructions navales, les grues et les cargos en construction surprennent dans ce site champêtre. Le Bras oriental du Y est une baie, large de plus d’un mille, elle s’étend sur un mille et demi et découvre largement à marée basse.
A l’embranchement du Y, sur un petit promontoire, se dresse fièrement le clocher de Castropol. A notre droite, vers le sud, s’enfonce sur cinq milles le bras droit du Y, large de mille mètres il fait le lit du Rio Eo. En arrière-plan et à l’infini, apaisant le regard, ondulent de hautes collines boisées que coiffent les nuages.
C’est à Porcillan, la marina au pied de Ribadeo que nous sommes accueillis. En dépit de l’heure tardive deux membres du club qui gère les pontons, gentiment nous attendent, nous installent, nous confient une clef et présentent les commodités du lieu : eau, électricité, laverie. Le Wifi ? on oublie ! Aux visiteurs sont réservés les places face à l’entrée de la marina, ce ne sont pas les plus protégées quand rentrent à grande vitesse les bateaux de pêche qui se dirigent vers leur port à eux, plus au Sud. Le bassin de plaisance est encombré de petites embarcations de 4 à 6 mètres et en particulier « El Bote a vela de Ribadeo ». Cette construction locale en bois est remarquable par son grément à voile latine et un très joli petit cul en forme de cœur. Le Club nautique perpétue avec passion une tradition vivace de ce navire utilisé autrefois de manière professionnelle pour la pêche et le transport dans la ria.
On visite Ribadeo? Allez on visite Ribadeo ! On laisse aux mollets fatigués le ci devant ascenseur extérieur, il a du mal à rivaliser avec celui de Salvador de Bahia. C’est donc à pied que l’on gravit les rues de cette petite cité qui, à l’évidence, redouble d’efforts pour se hisser au rang d’attraction touristique. Par chance pour nous elle peine à convaincre les visiteurs. Cela reste authentique et charmant. Ribadeo est sur le « Camino del Norte » du chemin de St Jacques, les indices ne manquent pas. On peut imaginer qu’à défaut de pont autoroutier et d’ascenseur pharaonique, les pèlerins traversaient l’estuaire en barque. Petit détail qui pourrait apparaitre bénin : brusquement du rouge des tuiles d’Asturies, les toits se couvrent de lauzes noires : nous sommes bien chez des celtes, en Galice.
La Place de España s’offre à nous, elle est déserte. La tour de « Los Morenos » s’effrite sans bruit, elle a été conçue par un élève de Gaudi. Outrance, sophistication, insolence. Insolite un dôme la chapeaute qui lui aussi menace ruine. A sa droite le « Pazo de Ibanez » dont un cartel nous précise qu’il fut édifié par Antonio Raimundo Ibanez : « Asturien de provenance mais Ribadense d’adoption » suggérant à « l’estranger » qu’il serait outrageant de confondre Asturies et Galice. Les celtes, gens d’honneur, sont reconnaissants à Antonio l’asturien d’avoir, par la création d’une industrie de fonte et de céramique, participé au développement et à la richesse de leur bourgade Galicienne. La maison d’Antonio Ibanez est aujourd’hui le siège de la mairie de Ribadeo…On flâne vers le couvent de Santa Maria do Campo. Il se dégage de ces lieux un paisible et réconfortant ennui que de majestueux palmiers escortent. On est bien, on est tranquilles.
On passe à table ? On passe à table ! Mais avant cela une petite halte au supermercado. C’est rue San Francisco, Eroski center ça s’appelle. Manque de chance pour les restaurateurs locaux, on y trouve tout ce que l’on veut, et même plus. Comme en Cantabrie et en Asturies des produits de qualité, et en particulier des tentacules de pieuvre cuites et conservées sous vide, conservation longue durée s’entend. Coupée en rondelle, passée à la poêle avec du piment de de l’ail cette tentacule c’est déjà l’Espagne.
Des pieuvres et des calamars, justement, ce n’est pas ce qui manque rue San Francisco en retournant au bateau : Pulperia, Botelleria… : nous les ignorons, fiers comme des goélands notre pieuvre dans la musette. Nous avions pourtant le projet de grimper à la racine Ouest du Viaduc pour honorer une adresse recommandée par le Michelin*. Ce sera pour vous, ou pour nous une autre fois.
Eroski center : San Francisco 25.
Pulperia y taberna Casa Villaronta san Francisco 11
*Hotel restaurante Javier Montero As Barreiras 14
L’après-midi, “A la tarde » nous voit bucoliques. Longeant la rive Ouest, galicienne, de la ria, nous découvrons successivement : Le port de pêche, le port de commerce, les entrepôts de bois d’eucalyptus et de grains, les deux sont vides aucun cargo à quai. Cela reste une surprise cette activité maritime de commerce dans ses agrestes paysages. Plus au Sud se dévoilent les activités balnéaires et les jeunes filles. Les lycéennes se dorent sur la pelouse, papotent, font les belles. Les gars, font les fiérots, plongent, tapent mollement dans le ballon, avironnent, kayakent. La vie quoi !
Au loin vers Castropol les voiles latines se réjouissent de la marée haute, tirant des bords à la rive. Nous aurions pu poursuivre au-delà de Casa de las Alguas, vers le moulin à marée, et puis, plus au sud encore, en direction de l’observatoire ornithologique. Mais il se fait tard, demain est un autre jour et il faudra quitter Ribadeo dont la ria mérite plus qu’une escale.