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Figaro Nautisme : Claire, peux-tu nous raconter ton parcours, tes débuts dans la voile ?
Claire Renou : "Je m’appelle Claire Renou, j’ai 41 ans. Je travaille depuis 20 ans dans le milieu de la voile et de la course au large. J’ai fait de la voile petite car ma maman naviguait beaucoup : elle a fait 6 fois ce qu’on appelait à l'époque la Course de l’Aurore puis la Solitaire du Figaro. Donc la voile c’est de famille, c’est dans les gènes ! Mais petite je n’aimais pas cela en réalité… je ne m’y suis remise que plus tard lors du Trophée des Lycées en habitable. Ensuite habitant à La Rochelle, j’ai fait pas mal de régates ainsi que du match racing en équipage féminin au Pôle France. Mais côté entraînements et régates, à certains moments cela devenait un peu compliqué entre les études, les retours dans les familles pour certaines, les petits copains pour d’autres…
Puis une année pendant mes études supérieures, une copine m’a dit « je pars sur le Tour de France à la Voile pour faire des baptêmes en mer sur chaque étape pour le grand public, il reste une place : tu veux venir ? ». J’ai répondu oui, en plus je venais d'avoir mon permis E (le permis remorque). J’ai trouvé l’ambiance tellement géniale que l’année d’après j’ai envoyé mon CV pour essayer d'intégrer l'équipe d'organisation !
C’est Sylvie Viant, navigatrice et aujourd’hui directrice de course entre autres de la Transat Jacques Vabre, qui a reçu mon CV (elle s'occupait de la partie sportive de l'épreuve) et qui m’a prise dans son équipe. J’ai donc commencé avec elle en 2001 sur le Tour de France à la Voile (que j'ai fait de 2001 à 2007) et de fil en aiguille, elle m’a emmenée sur la Route du Rhum en 2002, la Jacques Vabre en 2003, le Vendée Globe 2004 etc… Cela plutôt en faisant partie soit de l’équipe direction de course, soit de l'équipe comité de course, avec le contrôle des bateaux, du matériel de sécurité etc. J’ai commencé par des stages pendant mes études et ensuite, n’ayant pas trouvé de travail dans ce milieu, j’ai travaillé dans le cabinet d’expertise comptable de mon papa pendant 4 ans (j'ai obtenu une maîtrise d'éco-gestion à Nantes) tout en continuant à travailler dans le milieu de la voile pendant mon temps libre et mes vacances.
Lors de la Route du Rhum 2006 (je faisais partie de l'équipe comité de course de Sylvie Viant), j’ai rencontré Pierre Bojic et Jean Maurel qui m’ont proposé d’intégrer Pen Duick. Ce fut donc mon premier poste officiel dans le milieu! J’ai commencé en janvier 2007 en tant que coordinatrice nautique et adjointe à la direction de course sur toutes les courses organisées par Pen Duick. Je travaillais en étroite collaboration avec Mathieu Sarrot sur tous les aspects nautiques mais aussi avec les directeurs de course de chacune des courses, à savoir Jean Maurel (de 2007 à 2012), Gilles Chiorri (de 2012 à 2016), Francis Le Goff (de 2017 à 2019) et Jacques Caraës sur la dernière Route du Rhum et auprès desquels j'ai appris ce métier. Une belle aventure de 13 ans !
Aujourd’hui, après avoir quitté Pen Duick – OC Sport en décembre, j’ai eu une petite période de transition, puis j’ai eu une "belle" proposition de Jacques Caraës pour intégrer l’équipe du Vendée Globe, aux côtés d’Hubert Lemonnier et Pierre Hays."
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Figaro Nautisme : Dans chacune de tes expériences citées, tu n'as travaillé quasiment qu'avec des hommes, encore aujourd'hui.
Claire Renou : "Je fais partie aujourd’hui des rares femmes dans le milieu de la direction de course. Il y a Sylvie Viant qui est directrice de course depuis de nombreuses années mais elle est la seule à ce poste et en tant qu’adjoints, nous sommes je crois 2, Annabelle Moreau qui assiste Denis Hugues sur la Mini Transat et moi-même. Sinon dans les organisations de manière générale, on retrouve pas mal de femmes principalement à la communication, la logistique, les partenariats… mais dans le sportif, dans la course, il y en a très peu."
Figaro Nautisme : Quel est ton rôle au sein de la direction de course du Vendée Globe ?
Claire Renou : "Je suis adjointe direction de course aux côtés de Jacques Caraës, le directeur de course et de Hubert Lemmonier et Pierre Hays, adjoints comme moi. Pour ma part, je suis arrivée assez tard car je n’ai commencé que le 1er septembre officiellement, la machine était déjà bien lancée. Il y a toute la phase de préparation où les rôles sont répartis selon les compétences de chacun et Jacques supervise le tout.
Dès le mois d’octobre, nous étions sur place aux Sables d’Olonne pour organiser l’arrivée des bateaux, les places aux pontons, les briefings des skippers qui cette année avec la COVID se faisaient en visio, ce qui a un peu compliqué les choses, donc on a eu beaucoup moins d’échanges avec les marins. Sans oublier les échanges avec les Affaires Maritimes pour préparer le jour du départ, avec la Fédération Française de voile pour les contrôles de sécurité des bateaux…
Le jour du départ, toute l’équipe direction de course était sur l’eau pour superviser le bon déroulement du départ et la sécurité des marins. Cette année était un peu particulière car du fait de la COVID et du confinement il n’y avait pas de plaisanciers sur l’eau. Côté météo, le départ n’a pas été simple car la brume est venue se mêler à la fête et la procédure de départ a dû être retardée plusieurs fois.
Pendant la période de course, on fait les trois-huit : les trois adjoints tournent sur des quarts : un quart de 6h à 14h, un de 14h à 22h et un de 22h à 6h. Jacques Caraës, lui est hors quart mais supervise le tout et intègre les quarts de temps en temps, pour nous permettre un peu de repos. Enfin, l'ensemble de l'équipe intervient lors d’évènements, comme ce fut le cas il y a une semaine avec Kevin Escoffier sur PRB.
Pendant les quarts, on vérifie le positionnement des bateaux toutes les 30 minutes via des balises de positionnement. Notre rôle est de surveiller si les skippers et les bateaux vont bien, que les bateaux vont à la bonne vitesse par rapport aux fichiers météo, qu’ils vont dans la bonne direction… Nous avons une ligne rouge sur laquelle les bateaux peuvent nous appeler en cas d'urgence. Les communications "courantes" passent finalement plutôt par Whatsapp et les skippers nous informent de leurs "petites" avaries. C’est important pour nous de le savoir car si ensuite il y a un gros coup dur, cela nous permet de comprendre, ou si la vitesse d’un bateau diminue, on sait que le skipper est en train de réparer par exemple. Tout cela nous permet de comprendre ce que l’on voit sur les écrans.
Et enfin nous gérons les coups durs, comme ce fut le cas la semaine dernière avec le naufrage de Kevin Escoffier (PRB). Je venais de commencer mon quart à 14h, et à 15h la ligne rouge a sonné : c’était le CROSS qui nous prévenait qu’une balise s’était déclenchée. Au même moment, Jacques qui était présent au PC course avait l’équipe de PRB au téléphone pour prévenir du message de Kévin « Je coule ce n’est pas une blague MAYDAY ». De là, nous avons regardé les bateaux les plus proches et Jean Le Cam était quasiment sur la route, à un peu moins de 30 milles. Une fois qu’il est arrivé sur place et qu’il nous a dit avoir vu Kévin, nous étions rassurés. Malheureusement, il a eu des problèmes avec son moteur, il s’est éloigné de Kevin et ne le voyait plus. Nous avons commencé à nous poser des questions, surtout avec l’état de la mer à cet endroit et le vent qui était encore fort. Ensuite tout s’est enchaîné, le CROSS nous donnait des positions très régulières, nous étions en contact avec notre service météo avec qui nous avons essayé d’étudier les courants et les dérives possibles… En cumulant toutes les infos, nous avons défini un cône dans lequel les autres bateaux que nous avions déroutés (Seaexplorer - Yacht Club de Monaco, Maître CoQ et Arkea Paprec) pouvaient rayonner, chacun dans une zone précise. C’est finalement Jean Le Cam qui a retrouvé Kevin et l’a embarqué à son bord. L’histoire se termine bien, heureusement."
Figaro Nautisme : Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce que tu fais actuellement ?
Claire Renou : "Bonne question ! Un peu tout… le milieu de la course au large me plaît, j’ai acquis pas mal d’expériences au fil des années mais j’ai toujours besoin d’apprendre. Ce qui est bien c'est que j’ai travaillé avec pas mal de directeurs de course, c’est une façon de fonctionner différente à chaque fois donc c’est super intéressant. De faire le Vendée Globe, alors que j’avais plus l’habitude des transats, c’est une autre dimension, avec d’autres systèmes de suivi notamment en météo. Je n’avais jamais étudié la météo des mers du sud et c’est toujours intéressant d’apprendre et la météo est un sujet que je souhaite approfondir. Contrairement aux directeurs de course qui sont ou ont été de grands marins, je n’ai pas fait de course au large mais j’ai acquis mon expérience à leurs côtés depuis ces 20 dernières années. J’apprécie également l’ambiance des évènements et j’aime la mer tout simplement."
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Figaro Nautisme : Être une femme dans un milieu plutôt masculin : pas trop compliqué ?
Claire Renou : "Quand je naviguais, je me suis vite retrouvée en équipage féminin car c’était plus compliqué d’embarquer avec des hommes. C’est un peu frustrant car on est capable de faire les mêmes choses. Mais j’ai tout de même navigué avec des hommes intelligents qui acceptaient les femmes à bord, heureusement ! Après c’est vrai, il y a peu de femmes qui naviguent, même s’il y en a de plus en plus aujourd'hui.
Dans le travail, la première personne avec qui j’ai travaillé et qui m’a introduite dans le milieu c’était une femme (Sylvie Viant) et donc cela s’est bien passé même s’il m’est arrivé d’avoir quelques réflexions parfois parce que j’étais une fille mais globalement, je n’ai pas eu de problème. Quand Jean Maurel et Pierre Bojic m’ont recrutée, ils ont vu que j’étais capable de faire des choses et ils m’ont recrutée pour mes compétences, homme ou femme peu importe. Idem pour Jacques aujourd'hui qui après notre collaboration sur la Route du Rhum m’a prise dans son équipe du Vendée Globe."
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