Zone d'Exclusion Antarctique : une surveillance spatiale en amont et pendant le Vendée Globe

Depuis 2008, CLS, Fournisseur Officiel des données glace pour le Vendée Globe, détecte, grâce à des technologies et des satellites conçus et déployés par le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales français) et l’ESA (Agence Spatiale Européenne), les icebergs menaçant la route des skippers. Mais quelles sont les étapes de détection ? Comment cela fonctionne-t-il ?

Cette année, une dizaine de satellites dont les Sentinels 1 et 3, et pas moins de 300 images radar seront utilisés pour détecter ces OFNI (Objet Flottant Non Identifié) qui hantent tout marin qui navigue dans les mers australes.

Les analystes en imagerie radar de CLS ont détecté une vingtaine d’icebergs douteux sur une cinquantaine d’images sur la zone de Crozet et de Kerguelen, dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF). Face à ces doutes, la direction de course du Vendée Globe, en concertation avec les équipes de CLS, n’a pas hésité à relever la Zone d’Exclusion Antarctique de 5 degrés plus au Nord, allongeant de plus de 400km ce cordon de sécurité. La Zone d’Exclusion Antarctique est une zone virtuelle où les skippers ont interdiction de naviguer sous peine de croiser ces monstres glacés, un franchissement qui pourrait mettre en danger leur sécurité mais aussi leur coûter des pénalités.

Zone d’Exclusion Antarctique : une Zone de grands dangers à ne pas franchir

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© CLS

Elle fait 26 223 km de circonférence, elle entoure l’Antarctique et elle abrite plusieurs millions d’icebergs : c’est la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA). Parmi eux des milliers ont été clairement identifiés grâce aux satellites de l’ESA et du CNES, et par l’expertise des équipes de CLS en analyse et observation de la Terre.

Depuis juillet dernier, les analystes en imagerie de CLS scrutent les courbes altimétriques et les images radar, à la recherche d’icebergs pouvant menacer les skippers chevronnés du Vendée Globe. De ces campagnes une première version (V0) de cette Zone d’Exclusion Antarctique a été communiquée cet été à la Direction de Course du Vendée Globe, puis avant le départ : une (V1) légèrement modifiée a été transmise aux skippers. Une information stratégique qui conditionne la distance de la course, la performance des résultats et l’emport de vivre et de matériel à bord.

Une surveillance spatiale en amont et pendant la course

ETAPE 1 : Prévoir les zones à risque avec l’altimétrie

Bien en amont du départ de la course, les équipes de CLS ont travaillé sur les données de 4 satellites altimétriques, normalement utilisés pour mesurer le niveau moyen de la mer et détournés de leur usage premier pour pré-détecter des icebergs. 

Une étape très importante qui a permis de savoir où concentrer les recherches avec les images radar toujours en amont de la course mais aussi en mode opérationnel quand les skippers sont dans les zones australes.

Sophie Coutin-Faye, Responsable de la filière projets d’altimétrie au CNES :

« L'altimétrie spatiale consiste à embarquer sur des satellites, en orbite autour de la Terre, des radars altimètres qui vont être capables de mesurer avec une précision centimétrique la hauteur des océans. Pour simplifier, le principe de la mesure altimétrique consiste à émettre vers l’océan une onde depuis un satellite dont on connait la position à quelques millimètres près et à mesurer son temps de trajet retour. On en déduit ainsi la hauteur de la surface de l’eau survolée par le satellite. Les applications sont nombreuses, on peut citer celle bien connue de la surveillance de l'élévation du niveau moyen des océans en lien avec le réchauffement climatique, mais également celle d'une meilleure connaissance des courants marins, dans tous les océans utiles en particulier à la navigation.

Cette technologie de haute-précision a été développée dans les années 90 conjointement par le CNES et la NASA et se poursuit dans un cadre élargi à d‘autres agences telles que l’ESA. Pour la prédétection des icebergs, il faut savoir que lorsque le faisceau de l’altimètre rencontre une montagne de glace, cela entraîne une modification de l’écho retour qu’il faut analyser pour en conclure qu’il s’agit bien là de la signature d'icebergs. A l’évidence, nous ne pourrions pas déployer des satellites altimétriques pour cette seule utilisation, mais je trouve très intéressant d’avoir des applications aussi inattendues que la sécurisation d’une course au large telle que le Vendée Globe. »

ETAPE 2 : Détecter les icebergs les plus menaçants

L’ESA a donné à la course un accès privilégié aux satellites européens Sentinel-1A & 1B, ces satellites financés par la Commission européeenne, permettent de prendre des images radar, ils sont capables de voir de jour comme de nuit et même au travers des nuages.

Les images de 400km x 400km ont une résolution de 50m. Les satellite de l’ESA, Sentinel-1A & 1B ont été programmés bien en amont de la course pour fournir des images jusqu’à la sortie des glaces  du dernier skipper. La programmation des satellites a été ajustée en fonction des itinéraires et des besoins de la course, entre mi-novembre et fin décembre. Pour compléter cette vision stratégique, CLS utilise également le satellite canadien privé Radarsat-2 qui sur commande peut aller jusqu’à 25m de résolution.

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© ESA Copernicus

Simonetta Cheli, Chef du bureau stratégie, programme et coordination, de la Direction Observation de la Terre à l’ESA : « Sentinel-1 est une série de satellites d'observation de la Terre développée par l'Agence Spatiale Européenne dans le cadre du programme européen Copernicus dont le premier exemplaire a été placé  en orbite en 2014. L'objectif de ce programme est de fournir aux pays européens des données complètes et actualisées leur permettant d'assurer le contrôle et la surveillance de l'environnement. Nous sommes ravis qu’ils soient aujourd’hui utiles à l’amélioration de la sécurité des skippers du Vendée Globe. »

ETAPE 3 : Suivre à la trace ces icebergs détectés

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© CLS

Chaque iceberg détecté se voit attribué un identifiant unique puis est ingéré dans un modèle de dérive et de fonte développé par CLS. Il est possible d’observer des icebergs de l’ordre de 50 ou 25 m. Or, ce sont les petits icebergs (growlers) issus de la fonte et de la dislocation des plus gros qui sont dangereux pour les bateaux de la course.

C’est pourquoi, l’utilisation du modèle de dérive de CLS permet de simuler la dérive mais aussi la dislocation et la fonte des icebergs afin de définir des zones de risques (carrés orange et rouges sur les images). Ce modèle de dérive et de fonte prend en compte les courants, le vent, l’état de mer (hauteur du niveau de la mer, etc.), la température de surface ainsi que la forme et la taille de l'iceberg.

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Image optique d'un iceberg géant A86 de 130 km de long, à la dérive.© NASA

Ainsi, CLS est en mesure de fournir aux organisateurs du Vendée Globe des cartes de l’océan austral avec l'emplacement des populations d'icebergs et la prévision de leur dérive. CLS en partenariat avec le CNES et l’ESA accompagne donc la direction de course du Vendée Globe dans ses prises de décisions.

Zone Crozet – Kerguelen : Icebergs détectés sur la route des skippers, la Zone d’Exclusion Antarctique relevée

Une vingtaine d’icebergs ont été détectés au dessus de la ligne, sur près de cinquante images radar, dans la zone de Crozet - Kerguelen, dans les TAAF, la semaine dernière, ce qui a entrainé l’élévation de la ZEA de 5 degrés, allongeant de plus de 400km la circonférence de ce cordon de sécurité.

Sur la figure ci-dessous, la ligne bleue est la nouvelle ZEA (V2), la ligne blanche (V1), les flocons bleus, les icebergs détectés, les filaments blancs représentent leur dérive, les carrés orange et rouges : les zones à risque.

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© CLS

Sophie Besnard, Directrice aux affaires internationales, en charge de la direction du projet Vendée Globe à CLS : « Depuis le début de la course, nous avons détecté environ 60 icebergs à suivre de près, la plupart sous la ZEA, hormis ceux detectés au large de l'iîe de Crozet. Dans l'Océan Indien il n'y a pour l'instant rien, dans le Pacifique, il y a quelques icebergs, en face de la mer de Ross, où se trouve une zone d’eau très froide. Cette année nous sommes dans une situation de densité d’icebergs plus faible que les années précédentes. Toutes nos équipes sont mobilisées, il nous reste encore la moitié des images à analyser d’ici la fin de la course sur les 300 prévues. La période la plus compliquée se trouve après le passage du Cap Horn, le leader devrait passer ce point tendu un peu avant Noël, le dernier devrait le passer fin janvier. Nous sommes fiers d’être Fournisseur Officiel des données glace du Vendée Globe et de pouvoir utiliser les technologies et satellites développés et placés en orbite par le CNES et l’ESA. »

L'équipe
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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