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Le fort Liédo
Il devrait ravir la vedette à Fort Boyard ! Quand on considère le plan initial présenté à l’Empereur, le fort de la sommité, c’était son nom de baptême, était conçu pour dominer les pertuis et manger le nord de l’île d’Aix. Si le projet avait été réalisé comme on peut le voir sur le plan qui accompagne ce texte, c’eut été l’ouvrage le plus important des fortifications des défenses côtières projetées en 1810 : son enceinte s’étendait de l’Anse du Saillant à l’anse des Fougères …elle mesurait presque un mille marin de développé !

Regardez attentivement ce plan initial. Le témoignage de cette ambition se limite, « uniquement » de nos jours, au « petit » carré central qui couvre quand même un hectare. De ce vaste projet n’a en effet été construit que le cœur du dispositif : un fort unique, révolutionnaire magnifique… et inutile.
Unique car c’est le seul exemple de Fort Modèle A version 1811. C’est aussi le centre du dispositif de protection des pertuis commandés à la suite du désastre des brûlots. L’ingénieur Duvigneau dès novembre 1809 développe un schéma général de protection des pertuis Dans le sens horaire et partant du continent ces sont à l’Est : la tour St Jean de Châtelaillon type tour modèle N°2, et le Fort Enet ; à l’ouest ce sont deux tours modèles N°1 à la pointe de Boyardville et à la pointe des Saumonards et bien sûr Fort Boyard.
Novateur à la suite de Montalembert
Révolutionnaire car sa conception rompt totalement avec la tradition de Vauban. Elle s’inspire largement des théories de Montalembert qu’il avait mis en œuvre pour le fort de la rade dans cette même île d’Aix à la fin des années 70. En dépit d’essais de tirs particulièrement démonstratifs ce projet n’avait pas été retenu, à tort, et Montalembert en avait conçu une grande amertume.
L’ingénieur Thuillier dès 1810, sur les instructions de Napoléon, aura l’occasion de mettre en chantier l’œuvre du visionnaire.
Qu’est-ce qui rend cette conception totalement novatrice ?
Sur presque cent mètres de longueur, le bâtiment est très ramassé et ne dépasse pas sept mètres de haut. Ainsi le fort de la Sommité, comme l’avait décidé Napoléon en 1808, siège à l’endroit le plus élevé de l’île : il domine l’horizon, mais il n’est pas visible et voilà ce qui est nouveau !
Il en devient beaucoup moins vulnérable aux tirs directs qui passent au-dessus ou s’épuisent dans le remblai. Pour les tirs « en cloche » le fort est casematé et vouté à l’épreuve des bombes. On eut l’occasion en 1863, sous les ordres du colonel Liédot, le fils de l’ingénieur du génie à qui l’ouvrage doit son nom, de valider l’excellence de la résistance du dispositif, le fort servant de cible dans le cadre de l’expérimentation des nouveaux canons rayés.
Par contre pour ce qui est de tirer au canon à partir de ce type d’ouvrage les détracteurs, arguaient qu’au premier coup d’un de ces canons protégés par ces murs et ces plafonds, les servants seraient asphyxiés. C’était oublier que l’entrepont des bateaux qui accueillent les bouches à feu est beaucoup moins spacieux et que les systèmes de ventilation sont efficaces.
Magnifique le fort l’est d’abord par ces dimensions : le réduit est un carré de 90 mètres de côté, bastionné aux quatre coins. Quatre casemates peuvent accueillir jusque 600 hommes. La cour intérieure mesure 30 mètres de côté. Il est prévu d’installer sur les terre-pleins recouverts de terre et auquel on accède par deux escaliers, des pièces d’artillerie destinées à allonger la portée efficace des canons.
Magnifique il l’est surtout par sa construction : la pierre de Saint Savinien est travaillée avec énormément de soin et les appareillages remarquables, comme on peut s’en rendre compte dans ces pièces voutées à l’acoustique parfaite.
Inutile enfin car son histoire n’est qu’une succession de difficultés techniques à résoudre, puis de difficultés financières, et même de difficultés guerrières puisque jamais l’ennemi ne viendra s’offrir aux tirs du redoutable du Fort de la Sommité…. Il nous reste fort heureusement un joli but de promenade.
Le fort de la Sommité : un destin russe
Le ci-dessous Fort de la Sommité semblait destiné, du haut des monts Aixois, à entretenir d’étranges relations avec la plaine russe :
Son nom d’abord : Liédot, officier du génie s’est fait remarquer par Bonaparte en Italie comme en Egypte. L’Empereur nomme l’ouvrage en décembre 1812 en mémoire du chef d'état-major du Génie de la Grande Armée qui succomba des suites de ses blessures à la bataille de Witepsk le 27 juillet 1812 durant la campagne de Russie (1).
Nous sommes en 1854, des russes, des vrais, et mille débarquent dans l’île pour être incarcéré dans le fort Liédot. Napoléon III détient ainsi les prisonniers qui se sont rendus à la suite de la capitulation de la forteresse de Bomarsund en Finlande qui tombe en aout sous les coups de l’action combinée des troupes anglo-française durant la guerre de Crimée (2).
En avril 1916 le tsar Nicolas III envoie, à la demande de son allié français, 45 000 hommes sur le front occidental. Ils participent à l’offensive meurtrière de Nivelle au Chemin des Dames et se constituent en comité de soldat le 1er mai 1917, réclamant leur retour en Russie où l’empereur a été destitué. Ils sont acheminés, avant que la situation ne se dégrade, dans un camp en Creuse, à la Courtine. On leur a laissé leurs armes ! Ils se mutinent. Après trois jours de combat et plus de cent morts la rébellion est maitrisée le 19 septembre 1917. Les 81 meneurs sont envoyés en détention au fort Liédot. Trois d’entre eux se noieront en tentant de s’échapper. Ils sont enterrés au cimetière d’Aix (3).
On peut juger aussi par là des alliances et des ennemis de la France en un siècle : En 1812 nous étions en guerre contre la Russie, alliée de l’Angleterre. En 1854, les anglais étaient cette fois ci nos alliés et toujours contre la Russie. En 1916 les trois nations : française, anglaise et russe étaient coalisées contre les empires centraux… Il y a matière à réflexion !
La redoute de Coudepont
Vous aurez beau chercher, il n’est pas certain, à moins de flâner sur l’estran, que vous l’aperceviez : la batterie de Coudepont se cache dans la frondaison. C’est à la pointe Nord Est de l’ile d’Aix, là où, aux premiers rayons du renouveau, embaume le jaune mimosa.
Sur le plan dressé en 1703, elle est pourtant bien là, dessinée par Vauban.
1703 c’est l’année de la création du Te Deum de Marc Antoine Charpentier, alors frappez tambours et résonnez trompettes pour célébrer, avec cette musique que toute l’Europe connait, la naissance de la Redoute de Coudepont (4)
Elle n’empêchera pas cette redoute l’invasion anglaise de 1757. On recommence tout.
Filley, directeur des fortifications en 1763, propose un projet d’ensemble avec la création de trois redoutes sur la côte : Coudepont, Réchignard et à l’anse des Fougères. Sans suite.
L’Empereur Napoléon, reprend le dossier, ce seront huit batteries destinées à mettre l’île à l’abri d’une nouvelle incursion anglaise : Bois Joli, Jamblet, anse des Fougères, Sainte Eulard, Réchignard, 3 Quartiers, Coudepont et Petites Maisons.
L’ingénieur Malescot en charge du projet réduit le nombre des redoutes indispensables pour surveiller les points de l’île susceptibles d’un débarquement : la pointe de Coudepont, saint Eulard et Fougères avec une garnison estimée entre 150 et 200 hommes. Il faudra attendre l’Affaire des Brulots pour qu’enfin, en 1810, les travaux soient ordonnés.
La batterie de Coudepont a dans la stratégie du moment un double avantage : outre qu’elle est censée empêcher un débarquement dans cette partie de l’île, elle permet aussi en croisant ses feux avec ceux du fort Enet de fermer efficacement la passe d’Enet, le fort Liédot étant trop éloigné pour être efficace, la portée des canons ne le permettant pas …encore.
Comment se présentait l’ouvrage ?
Etablie à 550 mètres des saillants du bastion de l’enveloppe de terre du fort Liédot, la batterie est entourée par un fossé non revêtu. Elle domine la campagne environnante de 3 mètres et les hautes mers de 8 mètres.
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De plan semi-circulaire d’un développé de 45 mètres, elle est fermée à la gorge par une ligne avec un redan à la pointe duquel est construit un bâtiment crénelé mais non voûté renfermant le corps de garde et un magasin à poudre. En 1814, 3 canons de 24 arment la batterie.
Durant la Restauration, son entretien est quelque peu délaissé, mais le regain de tension entre la France et l’Angleterre ouvre une nouvelle phase d’activité. Un projet complet de réaménagement voit le jour en 1846 : le parapet est complètement réaménagé, un masque de terre est établi, un corps de garde est construit pour pouvoir accueillir 50 hommes, et la batterie est armée de 10 pièces d’artillerie. (5)
En 1865, la mise au point de l’artillerie rayée bouleverse les données, la portée des tirs est triplée. Le fort Liédot restauré est réarmé : il suffit à lui seul dorénavant à garder la passe d’Enet. La batterie de Coudepont devient pratiquement inutile.
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Laissons le mot de la fin au Docteur Jean Claude Flandrin (5):
« La batterie de Coudepont, désarmée, déshabitée…oubliée…est proposée par l’Administration des Domaines à la location en 1935.
Mon grand-père, Maurice Flandrin, ancien officier de marine, devient locataire au titre d’un bail emphytéotique de 99 ans dont une clause stipule cependant qu’en cas de conflit l’ouvrage redeviendrait la propriété de l’état : ce fut le cas à la déclaration de guerre de 1939. Cinq années passeront jusqu’à la capitulation des forces de l’Axe.
Mon grand-père, veuf et malade, renonça à renouveler le bail qui lui était à nouveau proposé. Dès lors, après un long moment d’inoccupation, l’administration des Domaines mit en vente le terrain de la batterie et son corps de garde qui devint la propriété des frères Ravet. Ces deux frères, amoureux de la nature, écologistes avant l’heure, mirent toute leur énergie à défricher, planter, entretenir transformant peu à peu une terre « de guerre » en havre de paix…paradis des oiseaux. »
Bibliographie
Ouvrages généraux :
- Philippe Prost in Fauchère N., Prost P., Chazette A, Le Blanc F-Y Les fortifications du littoral : la Charente maritime, Patrimoine médias Chauray 2000
- Pierre-Antoine Berniard: Histoire de l’Ile d’Aix JM.Bordesoulles St Jean d’Angely 2006
- Philippe Foucault L’Ile d’Aix, Fort Liedot, Actes sud 1997
1) Eugène Labaume Relation complète de la campagne de Russie Paris 1816 consultable sur Google.
2) Le fort Liédot (17) http://www.cheminsdememoire.gouv.fr.
3) Rémi Adam Histoire des soldats russes en France 1915-1920 - Les damnés de la Guerre, 1993 l ' Harmattan
4) Marc Antoine Charpentier « Te Deum » https://www.youtube.com/watch?v=I3LIlzPtsmw
5) Jean Claude Flandrin in « Bulletin N°6 de la société des Amis du Commandant Lucas » Fouras 2010