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Première partie : LES FORTIFICATIONS MODELES de 1811
UNE CONCEPTION REVOLUTIONNAIRE
Les années 1809 à 1811 marquent un tournant dans la conception des ouvrages de défense militaire. Du fort original et remarquable par le site qu’il occupe, l’architecture militaire entre dans l’ère industrielle. L’ouvrage se voit retirer sa personnalité pour gagner en efficacité
Auparavant si chaque architecte, Vauban en est l’exemple le plus fameux, déploie sous diverses formes le même thème défensif, la construction reste identifiable et unique car entièrement adaptée au terrain sur lequel elle est érigée. On ne peut confondre la forteresse de Belle-Île avec celle de Saint-Martin-de-Ré ou la tour de Fouras. Cette singularité est renforcée par la décoration des portes et frontons qui distingue les constructions entre elles et participe au charme que nous leur accordons aujourd’hui, débarrassées qu’elles sont de leurs parures guerrières.
A compter de 1810 rien ne doit plus différencier la tour de la pointe des Saumonards qui veille sur les Pertuis Charentais, de la tour qui protège le goulet de Brest à la pointe de Cornouailles sur la commune de Roscanvel. Ce sont les redoutes et les tours modèles.
En 1810 l’Empereur déploie un vaste programme de protection des côtes : de la Hollande à…la Dalmatie. Une vision européenne.
Voir et communiquer par les sémaphores, s’opposer rapidement à un débarquement par la création d’une garde littorale comprenant cavalerie, artillerie et infanterie, et repousser l’ennemi en assurant la sécurité de l’artillerie concentrée dans des forts et des tours bien défendus qui protègent les endroits stratégiques.
Bonaparte est l’inventeur de la guerre de mouvement et de l’engagement total. Hormis Toulon qui ouvre sa carrière, il n’y a pas de siège dans l’épopée Napoléonienne. Cependant l’Empereur est un soldat, un artilleur, un mathématicien et sa formation initiale l’incline à considérer avec beaucoup d’attention les plans, la construction et la réalisation des défenses du territoire.
Dans un souci de cohérence : à problème identique réponse identique, et dans une volonté d’économie ; les mêmes plans sont utilisés pour plusieurs fortifications. Il est décidé de modéliser dans leur conception comme dans leur construction les bâtiments, comme cela a été réalisé dans la marine avec le vaisseau de 74 canons. Sont ainsi définis dès 1809 trois types d’ouvrages standardisés : la redoute, la tour et le corps de garde.
Cette année de l’édification des fortifications modèles 1811, Ludwig van Beethoven débute la composition de la 7éme symphonie. Passez le célébrissime allegretto lent et mélancolique, sautez au final énergique, joyeux, et un peu martial (5). En avant !
LES REDOUTES MODELES : Ce sont des forts, carrés, bastionnés qui allient les qualités de défense et la possibilité de loger un grand nombre de combattants, ces fortifications sont imposantes.
La redoute modèle N°1 :
A été construite à un seul exemplaire : le fort Liédot dans l’ile d’Aix (1). C’est le plus volumineux ouvrage conçu. Il mérite un chapitre à lui tout seul, et cela sera !
La redoute modèle N° 2 :
Carré de 66 mètres de côté elle peut abriter 200 hommes. Construite à un unique exemplaire, elle se visite sur la colline Caire endroit éminemment stratégique qui domine la rade de Toulon, il s’agit du fort... Napoléon bien sûr ! L’empereur l’a fait ériger sur le lieu même du fort Mulgrave qu’il avait conquis lors du siège le 16 décembre 1793 et qui marque le début de son irrésistible ascension.
LES TOURS MODELES : Sont de dimensions plus modestes que les redoutes. Elles comprennent toutes un premier niveau destiné à recevoir les réserves, un étage lui aussi vouté qui accueille les hommes et dans le cas de la tour N°1 les canons, et une terrasse d’artillerie ainsi que des postes de fusillades comme à l’étage intermédiaire.
Tour modèle N°1
Destinée à abriter soixante hommes, elle présente deux bretèches par côté. L'armement "régulier" consiste en quatre canons de 24 livres ou de 16 livres. Elles sont les plus imposantes des tours destinées à constituer le maillage structurel de la défense des côtes de l’empire. Leur largeur à la base est de 16 mètres.

La tour modèle N°1 de la pointe des saumonards sur l’île d’Oléron (2) constitue actuellement l’entrée du fort construit secondairement autour de cet ouvrage.
Achevée en 1818, elle sera remaniée et intégrée au dispositif de fortification beaucoup plus ambitieux conservé jusqu’à ce jour.
Plus au sud, le fort à la pointe de Boyardville, est aussi une tour modèle N°1 réaménagée en magasin de poudre à la fin de sa construction en 1818.
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Tour modèle N°2
Un exemple en est la Tour St Jean à Châtelaillon achevée en 1812. Elle diffère cependant légèrement de ses consœurs bretonnes par l’embrasure de tir à l’étage. Large de 10,5 m de côté elle peut loger trente hommes, son armement est constitué d’un canon de campagne et de deux carronades*

Beaucoup plus exotique, et bien que construite en 1843, c’est bien une tour modèle N°2 qui chapeaute le morne Chameau, précisément au sud du « Pain de Sucre », à Terre de Haut. Elle veille sur cette magnifique rade qui accueillit en son temps l’escadre de l’Amiral de Grasse : la Baie des Saintes en Guadeloupe ! (4) Voici un beau but de promenade lors d’une croisière antillaise pour découvrir cet éblouissant panorama.
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Large de 9 mètres à la base, pouvant accueillir dix-huit hommes, elle est illustrée par la tour du Toulinguet à Camaret (3). L’armement se limite à deux carronades.

LES CORPS DE GARDE
Ce sont les plus modestes des ouvrages défensifs. Larges de 8.5 mètres à la base, ils se distinguent des tours par l’absence de terrasse. Le corps de garde N°4 possède cependant un étage. Le corps de garde N°5 n’a qu’un niveau.
CENT SOIXANTE OUVRAGES : AMBITION ET POSTERITE
Le programme de défense des côtes et de construction des tours, des redoutes et corps de garde modèles initialement prévu sur dix ans est lancé dès 1810 est abandonné avec l'abdication de Napoléon en 1814. Sur les cent soixante ouvrages modèles prévus (cent six sur la côte Atlantique ; cinquante-quatre en Méditerranée), seules une dizaine de tours sont achevées en 1814 dont six dans la rade de Brest, ainsi que celle de Châtelaillon. Le fort Liédot à l’île d’Aix comme le fort de la colline Caire à Toulon restent les seuls exemples des redoutes modèles.
Cette vision originale et inaugurale de la standardisation des ouvrages de défense côtière de 1811 servira de base au développement de la standardisation de 1846.
Ces forts de 1846 vous les connaissez : ce sont eux qui offrent une ceinture de feu à Belle-Île, pas un vallon où l’on puisse débarquer ou une pointe avancée sur la mer sans son corps de garde. Le plus emblématique est bien sûr celui de la pointe des Poulains : modèle 1846 N°3 plus connu comme Fort Sarah Bernhardt.
Le corps de garde modélisé 1846 complétera le programme des tours de 1811. Surtout, elle connaitra un regain d’intérêt en 1940, la tour modèle comme la redoute sont les ancêtres des redoutables Blockhaus dont nos côtes furent envahies !
… A SUIVRE
*la carronade est une pièce d’artillerie développée par la fonderie écossaise Carron en 1779. Par extension on désigne les canons courts, sans recul et utilisables sur 360°. Ils constituent souvent le seul armement d’une frégate ou d’un brick.
Bibliographie :
1) Nicolas Fauchère , Prost P., Chazette A, Le Blanc F-Y Les fortifications du littoral : la Charente maritime, Patrimoine médias Chauray 2000
2) Inventaire général des fortifications en Charente Maritime 2021 : https://gertrude-diffusion.poitou-charentes.fr/
3) Inventaire général du patrimoine de Bretagne 2021 : https://patrimoine.bretagne.bzh/
4) Chameau (Guadeloupe) https://fr.wikipedia.org/wiki/Chameau_(Guadeloupe)
5) Ludwig van Beethoven Symphony No.7: Allegro con brio https://www.youtube.com/watch?v=bb00PH0fQb4