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Ainsi ont été inventés les boulets de canons chauffés à blanc c’est-à-dire jusqu’à ce qu’ils soient rouges, pour mettre le feu aux navires ennemis. Le système a été expérimenté d’abord dans les combats terrestres. Quand ? On ne sait pas bien. L’invention est attribuée à Frédéric-Guillaume 1er Roi de Prusse qui entendait améliorer la puissance destructrice des boulets. C’était au XVIe siècle. Sans doute les boulets rouges ont-ils été utilisés avant, dès que les boulets taillés dans la pierre ont été remplacés par des boulets en métal. On raconte qu’au cours de la bataille d’Algésiras en 1342, les Maures, inventeurs du canon qui allait remplacer la catapulte, les Maures donc, ont utilisé des boulets rouges pour mettre le feu aux galères de leurs ennemis espagnols. C’était plutôt des torches enflammées que des boulets. En effet, le métal ainsi que la poudre commençaient tout juste à être employés en artillerie.
Mais c’est surtout pour mettre le feu aux bateaux que les boulets rouges ont été utilisés. Au Fort La Latte au Cap Fréhel haut lieu stratégique à l’entrée ouest de la baie de Saint-Malo, on peut voir un four à boulets daté de 1793. Il est vrai que de tout temps, les matériaux combustibles sont omniprésents sur les bateaux : les voiles, les cordages, le bois… Il est vrai aussi que le feu sur un bateau, c’est panique à bord. Maintenant le boulet rouge a vite montré ses limites. D’abord parce qu’il faut plusieurs heures pour chauffer des boulets à 800°. Ensuite parce qu’il faut prendre bien des précautions pour charger le fût à poudre noire. Le boulet rouge, s’il n’est pas expédié aussitôt, esquinte, voire détruit le canon qui se dilate sous l’effet de la chaleur.
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Quant à utiliser le boulet rouge d’un bateau pour canarder un autre bateau, c’était bien une invention de biffin (1)… Les essais n’ont évidemment jamais été concluants : manipuler un boulet rouge à terre, c’est déjà dangereux. Chauffer des boulets sur un navire qui le plus souvent tangue et roule exige de telles précautions et de telles conditions, que la pratique a vite été abandonnée. D’autant que les boulets tirés devaient être d’un petit calibre pour être moins lourds et plus faciles à manipuler. Autre argument : l’objectif de l’attaquant était autant que possible de saisir le bateau ennemi, pas de le détruire corps, biens et équipage. C’est bien joli de mettre le feu au navire ennemi, mais dans ce cas, il faut se résigner : rien à récupérer. Et comme les prises de guerre constituaient une partie appréciable de revenu des marins, facile à comprendre…
Dans l’Histoire, l’homme a beaucoup plus souvent tiré à boulets rouges au sens figuré qu’au sens propre…
(1) Biffin est un terme un peu péjoratif employé surtout par les marins pour désigner le soldat qui combat à pied et qui est considéré comme ne connaissant rien à la mer.