Les poissons boivent-ils de l'eau ?

Culture nautique
Par Figaronautisme.com

C’est le genre de question qu’on se pose parfois en observant les mouvements gracieux d’un banc de daurades ou la silhouette furtive d’un bar dans les herbiers : mais… est-ce qu’un poisson boit de l’eau ? La réponse n’est pas aussi évidente qu’elle en a l’air. Et pour les plaisanciers qui croisent poissons d’eau douce et d’eau salée au gré de leurs navigations, comprendre comment ces animaux gèrent leur hydratation permet de mieux appréhender leur comportement… et parfois même de mieux les pêcher. Finalement, c'est une question pas si bête que cela... Alors, à votre avis ?

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C’est le genre de question qu’on se pose parfois en observant les mouvements gracieux d’un banc de daurades ou la silhouette furtive d’un bar dans les herbiers : mais… est-ce qu’un poisson boit de l’eau ? La réponse n’est pas aussi évidente qu’elle en a l’air. Et pour les plaisanciers qui croisent poissons d’eau douce et d’eau salée au gré de leurs navigations, comprendre comment ces animaux gèrent leur hydratation permet de mieux appréhender leur comportement… et parfois même de mieux les pêcher. Finalement, c'est une question pas si bête que cela... Alors, à votre avis ?

Sous ses airs anodins, cette question en ouvre bien d’autres : comment un poisson survit-il dans l’eau salée ? Pourquoi certains se plaisent en rivière alors que d’autres ont besoin du grand large ? Et surtout, comment les espèces migratrices, comme le saumon ou l’anguille, réussissent-elles à passer de l’un à l’autre sans y laisser leur écaille ? Autant de mystères que la science a, en grande partie, élucidés — et qui intéressent aujourd’hui de plus en plus le monde du nautisme.

Boire ou ne pas boire, voilà la question

La réponse dépend en réalité du milieu dans lequel le poisson évolue. En eau douce, les poissons ne boivent presque pas. Leur environnement, beaucoup moins salé que leurs fluides corporels, crée un déséquilibre osmotique : l’eau entre naturellement dans leur corps par osmose, notamment à travers la surface très vascularisée des branchies. Résultat : ces poissons doivent constamment lutter contre une surhydratation passive. Leur stratégie ? Produire une urine abondante, très diluée, et quasiment dénuée de sels minéraux. C’est le cas de nombreuses espèces d’eau douce que l’on croise dans les rivières, les lacs ou les zones de confluence à faible salinité : carpes, brochets, perches ou silures vivent ainsi dans un bain d’eau douce permanent… qu’ils filtrent et expulsent sans relâche.

À l’inverse, en mer, l’environnement est hypertonique : l’eau de mer, plus concentrée en sels, attire l’eau contenue dans le corps du poisson. Résultat : l’eau a tendance à quitter leur organisme par osmose. Pour compenser cette déshydratation, les poissons marins doivent boire de l’eau de mer en continu. Ce n’est pas un simple réflexe : ils avalent de grandes quantités d’eau volontairement, parfois jusqu’à plusieurs dizaines de millilitres par heure selon les espèces. Le défi ensuite est de recycler cette eau salée sans se charger en ions nocifs (sodium, chlorure, magnésium…). Cela passe par une machinerie cellulaire très spécialisée : des cellules dites “chlorure” situées dans les branchies, capables de rejeter activement le sel excédentaire, et des reins qui concentrent les déchets dans une urine très réduite.

Ces adaptations sont coûteuses sur le plan énergétique, mais elles permettent aux poissons marins — maquereaux, bars, morues, thons… — de survivre dans un environnement salé sans jamais se dessécher. Une gymnastique chimique permanente, parfaitement maîtrisée.

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Quand le poisson change de monde : les migrations osmotiques impossibles

L’un des phénomènes les plus impressionnants du monde aquatique, c’est la capacité de certaines espèces à passer de l’eau douce à l’eau salée, voire l’inverse, au cours de leur vie. On parle alors de poissons euryhalins, capables de tolérer de larges variations de salinité. C’est le cas du saumon atlantique, sans doute le plus emblématique : il naît en rivière, grandit en mer, puis revient se reproduire dans son cours d’eau natal. Mais aussi de l’anguille, de l’alose, ou encore de certains gobies et plies.

À chaque changement de milieu, leur organisme se transforme littéralement : la perméabilité des branchies évolue, la composition hormonale fluctue, les reins changent de mode opératoire. Cette adaptation peut prendre plusieurs jours, parfois plusieurs semaines, selon les conditions extérieures. Le cortisol, une hormone clé chez ces poissons, joue un rôle central dans la régulation du transport de sel et la réorganisation des tissus branchiaux.

Pour le navigateur, ces cycles ont une vraie résonance. Dans l’estuaire de la Gironde, du Rhône ou de la Loire, les variations de salinité au fil des marées, des crues ou des saisons influencent directement la présence et l’activité de ces espèces migratrices. Ce n’est pas un hasard si certains pêcheurs guettent les coefficients de marée ou les débits fluviaux : la distribution des poissons dépend étroitement de cet équilibre osmotique fragile.

Pourquoi c’est utile en navigation ?

Comprendre cette dynamique n’est pas qu’une curiosité de ponton. Pour ceux qui naviguent en eaux mixtes, notamment dans les estuaires, les deltas ou les zones de balancement entre marée douce et marée salée, ces mécanismes d’adaptation permettent de mieux anticiper les comportements de certaines espèces.

Prenons l’exemple du bar européen (Dicentrarchus labrax), poisson emblématique des côtes atlantiques et méditerranéennes. Le bar tolère des salinités très variables, ce qui lui permet de fréquenter les lagunes, les estuaires, voire certains ports fluviaux. En période de fortes pluies ou de crues, il peut modifier sa répartition en quelques heures, se repliant vers la mer ou s’approchant des côtes selon l’équilibre salin. Pour un plaisancier amateur de pêche au leurre, comprendre cette mécanique, c’est anticiper les bons postes au bon moment.

Autre cas : les mulets, qui fréquentent indifféremment les eaux saumâtres, les canaux, les embouchures. Leur plasticité osmotique leur donne un avantage décisif dans des zones instables, où les conditions varient en fonction des marées ou des précipitations.

Enfin, pour les passionnés de grande croisière ou les amateurs d’aquariophilie embarquée (de plus en plus de catamarans de voyage embarquent de petits bacs récifaux), connaître ces principes permet aussi de comprendre pourquoi un choc osmotique peut être fatal à un poisson mal acclimaté. Changer d’eau trop vite, c’est condamner un organisme incapable de réguler le flux d’eau et de sels.

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Une résilience menacée par les déséquilibres environnementaux

Ces mécanismes d’adaptation, fascinants et millimétrés, sont aujourd’hui mis à rude épreuve. Le changement climatique bouleverse les équilibres des milieux aquatiques : hausse du niveau des mers, salinisation des nappes phréatiques, intrusion d’eau salée dans les estuaires, sécheresses prolongées, multiplication des barrages qui empêchent les migrations naturelles…

Certains poissons, très spécialisés, ne parviennent pas à s’adapter à ces changements rapides. C’est le cas notamment de nombreuses espèces de poissons amphihalins (qui migrent entre eau douce et eau salée), dont les populations sont en fort déclin sur plusieurs bassins français. L’anguille européenne, en particulier, est aujourd’hui classée en danger critique d’extinction par l’UICN. Non seulement à cause de la pollution et des obstacles à la migration, mais aussi en raison des déséquilibres osmotique de plus en plus fréquents dans les zones de transition.

Oui, les poissons boivent… mais pas tous, et pas de la même manière. Tout dépend de la salinité de leur milieu. En eau douce, ils évitent de boire pour ne pas se surhydrater ; en mer, ils boivent et filtrent intensément pour éviter de se dessécher. Et entre les deux, certains virtuoses de l’adaptation passent d’un monde à l’autre grâce à une biologie taillée pour le changement.

Pour les navigateurs, comprendre ces subtilités, c’est mieux lire les eaux qu’on traverse. C’est savoir où se trouvent les poissons quand le fleuve grossit, où jeter l’ancre en période de transition, ou encore comment respecter des équilibres fragiles qu’on perturbe parfois sans le savoir. Car derrière une simple question se cache un monde d’équilibres invisibles, que le nautisme — par passion ou par conscience — ne peut plus ignorer.

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L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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