
Figaro Nautisme : Comment devient-on designer naval ? Par passion pour la mer et les bateaux ou par amour du design ?
Franck Darnet : Très clairement par passion : passion pour le design, la mer et les bateaux. Je viens d’une famille de créateurs : mes parents étaient eux-mêmes designers de mobilier à Paris. Et chaque été, nous partions en vacances en Bretagne. J’ai commencé logiquement par faire de l’Optimist vers 5 ans, puis je suis passé au 470... J’ai un peu régaté mais jamais à un haut niveau, juste pour le plaisir. Depuis tout petit, je savais très clairement ce que je voulais faire plus tard : devenir designer. Et en plus je rêvais que ce soit dans le nautisme. Il n’y avait pas de formation spécifique à l’époque, ce métier n’existait pas vraiment ; alors j’ai intégré l’école Boulle à 16 ans. Lorsque j’y étais étudiant, un évènement a tout déclenché. Annette Roux, l’emblématique patronne du groupe Bénéteau a demandé à Philippe Stark, le designer star de l’époque, d’imaginer l’intérieur du First 35 S 5. Nous sommes en 1988 et le choc est total tant pour le nautisme que pour moi : c’est un vent de fraicheur incroyable. Et surtout cela me conforte dans mon rêve de toujours : ce métier peut devenir le mien, mon rêve de devenir designer de bateau commence à prendre forme. A la sortie de l’école, je vais travailler chez Finot-Conq pendant quelques 6 ans années.
J’y ai appris les fondements de l’architecture navale auprès d’un des plus grands architectes contemporains, qui vient malheureusement de nous quitter récemment. Il dessinait aussi bien des voiliers pour Bénéteau que des ULDB ultra performants. Déjà à l’époque, 27000 bateaux construits sur des plans Finot naviguaient dans le monde.
Figaro Nautisme : Quel est le rôle exact d’un designer dans la conception d’un bateau de série ? Et dans le cas d’un yacht ?
Franck Darnet : Notre rôle consiste à concevoir tout ce qui est 20 cm au-dessus de la ligne de flottaison, nous ne touchons pas aux oeuvres vives ni à la structure qui restent l’apanage des architectes navals. Nous pouvons être amenés à réaliser le style intérieur et/ou extérieur d’un bateau. Pour y arriver, il nous faut tout d’abord bien comprendre l’ADN de la marque et son positionnement sur le marché. Nous avons un tableau général qui répertorie les différents positionnements possibles des bateaux : rapides, confortables, etc. Notre première mission consiste à placer le curseur de la marque qui nous sollicite sur ce tableau. C’est toujours le point de départ de notre réflexion avec le brief le plus complet possible du chantier et les échanges avec les architectes navals, le bureau d’études du constructeur et ses équipes commerciales. Après, à nous d’être créatifs et de proposer des idées innovantes, de nouvelles matières, de nouvelles fonctions...

Figaro Nautisme : Dans votre travail au quotidien, êtes-vous plutôt en lien avec le chantier, ses équipes commerciales, l’architecte naval ?
Franck Darnet : Nous sommes effectivement connectés avec tout ce beau monde - l’équipe des architectes navals, le chantier, ses équipes commerciales et bien sûr son bureau d’études. Et cela pendant toute la phase de conception du projet. Nos différentes tâches aux uns et aux autres sont étroitement liées. Pour savoir jusqu’où nous pouvons aller, il faut bien connaître le chantier et son positionnement sur le marché : on sait, par exemple, qu’un intérieur de bateau représente entre 16 et 19% du prix d’un bateau. C’est une fourchette, bien sûr, mais cela me permet de savoir ce que nous pouvons proposer, ou pas, en termes de matériaux ou de finitions. Voilà pour les bateaux de série. Pour les yachts, le travail est forcément plus libre puisque moins contraint par la réflexion industrielle. Cela nous offre la possibilité d’être plus créatifs, de dessiner des détails plus aboutis et souvent plus luxueux. Nous échangeons forcément beaucoup plus avec le client, futur propriétaire. C’est lui qui est le décisionnaire final et qui donne le LA. C’est tout aussi passionnant. Ce sont 2 approches différentes d’un même métier.
Figaro Nautisme : Votre activité consiste à imaginer les bateaux d’aujourd’hui mais aussi à penser ceux de demain. A quoi ressembleront nos bateaux dans 10 ou 20 ans ?
Franck Darnet : Globalement, nous allons vers toujours plus de volumes avec une orientation pour un équipement « comme à la maison ». Nous trouvons actuellement dans les bateaux de 50 pieds, ce que nous mettions dans ceux de 60 pieds il y a seulement une dizaine d’années. Les bateaux seront aussi forcément plus connectés, plus faciles à vivre et à manoeuvrer. Ils seront aussi un peu plus vertueux en termes d’émission de CO2, même si on est loin d’être encore neutre en termes de bilan carbone, on va dans la bonne direction. A ce titre, nous essayons par exemple d’utiliser des matériaux plus naturels, des vernis à base aqueuse plutôt que des vernis polyuréthane. Mais tout cela est une tendance qui est déjà bien engagée aujourd’hui.
Mais je pense que nous nous orientons aussi vers une spécialisation - toujours plus poussée - de chaque marque dans des créneaux bien spécifiques. Bateaux de voyage, rapides ou confortables, les « niches » me semblent être l’avenir de notre industrie.
Pour finir, même si on voit apparaitre des innovations intéressantes comme par exemple le gréement du Mod X 70 ou bien certaines carènes de scow, je ne vois pas de révolution totale à échéance de 10 ans.
Figaro Nautisme : Darnet Design en chiffres ?
Franck Darnet : L’agence a été créée en 1999. Nous avons réalisé une centaine de projets. Aujourd’hui, ce sont plus de 3000 bateaux dont nous avons fait le design qui naviguent un peu partout à travers le monde. A ce sujet - et pour remettre un peu de modestie dans notre industrie nautique - lorsque nous avons commencé à travailler avec Patrick le Quément (ancien directeur du design de Renault) sur les designs des Outremer, je me suis présenté en expliquant que nous étions fiers d’avoir environ 2 000 bateaux (à l’époque) qui naviguaient déjà. Lui avait 80 millions de voitures à son actif. Pas le même monde, assurément !
Nous réalisons 4 à 5 projets par an et en proposons beaucoup plus mais qui n’aboutissent pas tous. Nous sommes 8 designers dans l’agence pour un CA autour d’un petit million d’euros.
Le plus petit bateau dont nous avons fait le design mesure 11 mètres, le plus grand, 64 mètres.
Figaro Nautisme : Dernière question : votre dernière navigation et la prochaine ?
Franck Darnet : Ma dernière navigation était le tour de Belle-Île mi-mai sur mon Sun Odyssey 379 après une semaine de croisière avec des amis. Je suis super fier d’avoir navigué face à Armel Le Cléac’h [énorme éclat de rire]. Bon, nous n’avons pas fini à la même place ! Bon, nous avons surtout vu l’arrière de son bateau.
Et, si je ne compte pas les sorties du week-end, la prochaine navigation sera à l’occasion de l’Outremer’s Cup début juin où j’espère bien pouvoir naviguer sur l’ensemble de la gamme du chantier...
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