
Figaro Nautisme : Vous avez, en 2003, créé un chantier naval avec votre associé Stéphan Constance. Pourquoi vous et comment vous êtes-vous lancés dans cette aventure ?
Xavier Desmarest : Nous nous sommes rencontrés, Stephan et moi, lors de nos études à Lyon. Stephan avait créé une association qui nous permettait de naviguer, mais rien de plus. Nous nous sommes ensuite retrouvés quelques années plus tard à travailler dans la même société de conseil. Et puis... nous avions envie « d’ailleurs » et de voyages. Cette idée a germé dans nos esprits jusqu’à décider d’acheter un bateau ! Nous avons cherché la « perle rare, l’unité idéale » pour notre projet et nous ne l’avons pas trouvé. Alors, un soir, après une journée difficile au travail et quelques verres est apparue l’idée de créer un chantier naval pour construire le bateau de nos rêves. Le lendemain, les idées pourtant à nouveau au clair, aucun de nous deux n’a osé se dédire. C’est comme cela qu’est né Allures Yachting en 2003. A l’époque, nous croyions dur comme fer qu’un bon bateau de voyage était un monocoque en forme et en aluminium. Je le pense toujours, mais j’ai depuis appris qu’il y a beaucoup d’autres bateaux capables de vous emmener - en sécurité et confortablement - jusqu’au bout du monde et d’en revenir.
Figaro Nautisme : Après Allures, vous avez repris le chantier Outremer puis... l’histoire s’est emballée. Combien de marques sont-elles intégrées aujourd’hui au groupe Grand Large Yachting ?
Xavier Desmarest : Rapidement, Allures a trouvé son créneau et une clientèle de passionnés. Nous avons cependant remarqué qu’il nous arrivait de perdre des ventes. Certains candidats au voyage en bateau se tournaient vers les catamarans. En 2005, l’Allures 40 a été élu Bateau de l’année. Dans les bateaux finalistes, il y avait aussi l’Outremer 42. Et son propriétaire était dithyrambique sur son catamaran et sur le chantier. Il était tellement heureux ; il ressemblait à un client Allures [Xavier Desmarest éclate de rire...]. Fin 2007, nous rachetons Outremer et je m’installe à La Grande Motte. Un vrai challenge pour nous, mais ces bateaux correspondaient vraiment à notre idée du bateau de voyage, une vraie complémentarité avec Allures. Bon, nous venions du conseil et de la stratégie des entreprises mais nous n’avions pas vu venir la crise de septembre 2008 [nouvel éclat de rire...]. On a eu très chaud, tout s’est arrêté d’un coup. Mais l’équipe Outremer, le chantier, la communauté, tout était vraiment au top. On s’est battu et c’est passé ! Par la suite, nous avons racheté Garcia en 2010. Pour nous, Garcia était la Rolls du bateau en aluminium.
Avec ces trois chantiers - Allures, Outremer et Garcia -, nous voulions offrir un service client impeccable. Nous avons créé Grand Large Services, un véritable portail de la grande croisière permettant d’accompagner les propriétaires de la livraison à la revente de leur bateau, en passant par la formation, la maintenance, et le refit. En 2013, nous rachetons Alumarine - plus orienté vers les bateaux professionnels. Un nouveau marché intéressant pour nous, avec des spécificités fortes.
En 2015, Grand Large Yachting et Escale Formation Technique (EFT) se rapprochent pour offrir des formations techniques poussées et surtout permettre aux nouveaux propriétaires de développer leur autonomie en mer.
En 2016, nouvelle aventure... un peu folle avec Gunboat. Racheter un chantier américain construisant des bateaux exceptionnels et très chers n’est pas simple. Un exemple ? Nous avons eu plus de frais d’avocats sur ce dossier que ne nous a coûté la reprise entière de Garcia...
En 2020, les anciens consultants en stratégie d’entreprise montrent encore l’étendue de leurs talents [petits rires de Xavier Desmarest] : nous nous portons acquéreurs de RM, 15 jours avant le confinement ! Encore une vraie aventure entrepreneuriale dans un moment extrêmement compliqué. Mais ces RM sont tellement fabuleux. Au début des années 2000, on ne pouvait pas aller sur un salon sans aller les admirer. Des monocoques de voyage encore différents de nos autres propositions.
Enfin, en 2023, c’est au tour d’ORC de rentrer dans le groupe Grand Large Yachting.

Figaro Nautisme : L’ADN de votre groupe c’est la grande croisière. Quel est le meilleur bateau pour voyager ?
Xavier Desmarest : Bonne et difficile question. Le meilleur bateau, c’est celui qui va correspondre à son programme, à son voyage, à son équipage. Chaque marin est différent, a sa propre manière de naviguer, d’appréhender ses navigations et surtout son voyage. Et pour chacun de ces marins, nous avons une proposition différente. L’ADN de Grand Large Yachting est là : offrir des solutions, des bateaux et des formations si besoin, pour aider chacun à passer le pas et à oser se lancer dans cette belle aventure du voyage en bateau. En ce qui me concerne, je suis l’heureux propriétaire d’un Outremer 4X avec lequel je prends beaucoup de plaisir à voyager que cela soit avec des amis ou la famille. C’est celui qui correspond le mieux à mes envies et à mes besoins aujourd’hui...
Figaro Nautisme : Les bateaux d’aujourd’hui sont de plus en plus complexes mais aussi plus confortables et paradoxalement plus faciles à manoeuvrer. Comment voyez-vous vos bateaux dans 10 ans ?
Xavier Desmarest : Vaste question. Nous nous orientons vers des bateaux plus simples à manier et à entretenir et pourtant toujours plus techniques. Nous regardons avec intérêt les nouveaux gréements qui simplifieront encore plus la navigation, l’aide que pourrait apporter l’IA et bien sûr les nouvelles motorisations. Mais, dans ce domaine, je reste persuadé que les meilleurs hybrides sont ceux qui se basent avant tout sur le vent. Nos bateaux sont rapides, marins et surtout naviguent à la voile au moindre souffle d’air. Avec un Outremer ou un RM, nul besoin de moteur dès qu’il y a un peu de vent... Un des propriétaires d’Outremer vient de finir un tour du monde en faisant... seulement 3 pleins de gasoil !
Je pense que nous sommes arrivés à un bon compromis sur les performances. Pour l’habitabilité, je pense que le travail va plus s’orienter sur la modularité dans les années à venir que sur le volume disponible à proprement parlé.

Figaro Nautisme : Grand Large Yachting en chiffres ?
Xavier Desmarest : Le parc de voiliers qui naviguent est d’environ 1500 bateaux à l’eau. Ce qui fait un nombre conséquent de personnes autour du monde, sachant que certains de nos bateaux ont été revendus de nombreuses fois. Notre chiffre d’affaires est d’environ 140 millions d’euros (dont 80% à l’export) et nous sommes aujourd’hui 1080 à travailler dans le groupe. Et nous avons été classés par le Financial Times dans les 300 entreprises européennes avec le plus haut taux de croissance sur une période de 10 ans. Une belle reconnaissance du parcours effectué. Ca et les 7 titres de bateaux européens de l’année.
Figaro Nautisme : Dernière question : votre dernière navigation et la prochaine ?
Xavier Desmarest : La dernière « vraie » navigation était en Corse l’été dernier sur mon Outremer 4X. La prochaine sera cet été entre Copenhague et Stockholm dans le cadre du rallye Nordic Odyssey organisé par Grand Large Services. Je rêvais d’y aller, mais je n’avais pas le temps de « monter » mon bateau. De retour d’un tour du monde, un propriétaire d’Outremer qui venait de revendre son bateau, m’a proposé d’emmener mon 4X. La navigation s’annonce fabuleuse...