
Figaro Nautisme : Comment devient-on designeuse navale ? Par passion pour la mer et les bateaux ou par amour du design ?
Isabelle Racoupeau : "J’ai un parcours un peu atypique. Je suis née en Haute-Savoie. Ce n’est pas vraiment le pays des bateaux, vous en conviendrez... Mais mon oncle en avait un et nous partions - toute la famille - en vacances en été en Méditerranée. Ce bateau, un Evasion 37, me semblait immense à l’époque et pourtant il ne mesurait qu’un peu plus de 11 mètres ! C’est de cette époque que vient ma passion pour la navigation.
D’un point de vue professionnel, après des études de commerce international, j’ai eu l’opportunité d’être embauchée dans une entreprise de luxe qui proposait des textiles haut de gamme, notamment pour les yachts. Mon premier travail dans le nautisme a consisté à travailler sur un yacht de 50 mètres... De fil en aiguille, j’ai travaillé avec un agenceur d’ameublement, toujours très haut de gamme, qui voulait se développer sur le marché du bateau... C’est à cette période que je me suis mise à développer des agencements pour des navires plus ou moins grands et exceptionnels. En collaborant avec des designers, j’ai aimé leur approche, cette volonté de trouver une harmonie pour les intérieurs, cette recherche pour offrir un vrai bien-être dans la vie à bord.
En 2008, je me suis installée à La Rochelle et nous avons lancé, dans l’agence d’architecture navale Berret-Racoupeau, un département de design intérieur.
Je suis donc devenue designeuse navale par passion pour la mer, les bateaux et du design. Pour moi, c’est un tout indissociable issu d’un amour pour l’harmonie..."
Figaro Nautisme : Quel est le rôle exact d’une designeuse d’intérieur dans la conception d’un bateau de série ? Et dans le cas d’un yacht ?
Isabelle Racoupeau : "Ce sont deux faces différentes d’une même profession. Quand nous travaillons sur un bateau de série, il faut créer une harmonie assez neutre qui doit plaire au plus grand nombre, à tous les propriétaires. Chacun d’entre eux doit en effet pouvoir se projeter et s’approprier le bateau en fonction de ses goûts. Nous ne pouvons donc pas être trop engagés au risque de déplaire à certains. Nous sommes aussi tenus par des budgets qu’il faut bien sûr respecter. Chaque chantier a sa manière de travailler et ses techniques propres d’agencement qu’il faut bien sûr comprendre et respecter. Nous échangeons beaucoup avec les bureaux d’études des chantiers et les architectes navals. Et nous avons toujours à l’esprit que le plus important reste la sécurité du bateau et ses qualités de navigations qui doivent être préservées.
Dans le cas de la création d’un design intérieur d’un yacht custom, c’est exactement l’inverse. Nous sommes à l’écoute d’un propriétaire et nous devons répondre spécialement à ses attentes, ses demandes, en fonction de ses goûts et de son programme. Nous sommes là dans le sur mesure tout en gardant, bien sûr, en tête la sécurité que ce soit en navigation ou au mouillage et dans la vie de tous les jours !"
Figaro Nautisme : Dans votre travail au quotidien, êtes-vous plutôt en lien avec le chantier ? Ses équipes commerciales ? L’architecte naval ?
Isabelle Racoupeau : "Au quotidien, je travaille essentiellement avec l’architecte, le chantier et son bureau d’études. Dans le cas des bateaux de série, nous devons analyser scrupuleusement le cahier des charges fourni par le chantier. Cet outil essentiel est généralement établi par les services technique, marketing et commercial du constructeur. L’échange est bien sûr constant avec l’architecte naval dont l’expertise sur la structure est essentielle : un navire ne fait qu’un et doit être un ensemble cohérent entre son design extérieur, sa structure, ses œuvres vives et son design intérieur.
Pour vous donner une idée plus précise de notre travail, lors d’une remise de projet pour un bateau de production, nous présentons habituellement trois ambiances différentes. Un travail qui peut s’étendre sur plusieurs mois. Évidemment, dans le cas d’un bateau custom, c’est souvent plus long car les échanges avec le propriétaire font souvent évoluer ses envies et donc... son projet."
Figaro Nautisme : Vous métier consiste à dessiner les bateaux d’aujourd’hui mais aussi à imaginer ceux de demain. A quoi ressembleront les intérieurs de nos bateaux dans 10 ? Dans 20 ans ?
Isabelle Racoupeau : "Selon les chantiers avec lesquels nous travaillons, nous sommes en train d’imaginer le design des bateaux qui seront à l’eau d’ici 3 à 5 ans. Cela implique d’être capable de « sentir » les demandes de demain, d’imaginer les attentes des propriétaires. Nous sommes donc à l’écoute de toutes les nouveautés, que ce soit dans le domaine des matériaux - biosourcés, recyclables etc. mais aussi des nouvelles techniques comme le numérique, l’IA, la gestion des éclairages, et même l’évolution du climat... Notre but est d’anticiper la manière de vivre des marins à bord de leurs bateaux. Après une analyse de ces différents paramètres, on se projette dans la future vie à bord du bateau. Et l’art de vivre que vont rechercher les propriétaires : aventure, vacances, travail, espace, protection, transparence, chaleur, froid etc... C’est cet ensemble qui va dicter nos choix. Ce que je peux vous dire sur les bateaux de demain ? C’est qu’ils seront, comme nos enfants, hyperconnectés ! Les changements climatiques sont aussi au centre de nos préoccupations, ne serait-ce que pour des questions de sécurité et de confort à bord. Nous avons, dans ce domaine, une vraie responsabilité et nous cherchons toujours à utiliser - si possible - des matériaux recyclés, du bois de culture et des cuirs ou simili cuirs les moins impactants possibles."
Figaro Nautisme : Isabelle Racoupeau (Berret-Racoupeau Yacht Design) en chiffres ?
Isabelle Racoupeau : "Nous avons créé le département « design » en 2008 chez Berret-Racoupeau. Depuis, nous avons développé environ 90 modèles de 30 à 150 pieds à une ou deux coques. Nous sommes aujourd’hui 5 personnes à travailler à plein temps sur le design pour, en moyenne, 4 à 5 projets annuels."
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Isabelle Racoupeau : "La dernière navigation était l’été dernier sur notre voilier personnel dans le pertuis rochelais entre les îles de Ré, d’Aix et Oléron. Et la prochaine sera l’été prochain, en catamaran, en famille, dans les fjords de Norvège..."