
Le golfe du Saint-Laurent accueille une île mythique pour l’histoire du cacao, autrefois détenue par le chocolatier Henri Menier. Mais le futur de ce paradis sauvage est désormais lié aux enjeux pétroliers.
Au cœur du golfe du Saint-Laurent, le parc national d’Anticosti offre une nature brute, baignée par la lumière limpide du Nord. L’île, prisonnière de la banquise plusieurs mois par an, accueille les visiteurs au cœur de l’été, de fin juin à mi-août. A vol d’oiseau, 72 kilomètres séparent la pointe sud-ouest de l’île de la presqu’île de Forillon en Gaspésie. Mais le sous-sol de cet immense territoire de nature brute recèle aussi des réserves de pétrole estimées à 40 milliards de barils selon les trois groupes pétroliers impliqués. Portrait d’une île tiraillée.
Une genèse au parfum de cacao
Un passé riche et troublant flotte sur les falaises blanches, les canyons vertigineux, les chutes puissantes, les rivières sauvages et les grottes secrètes. Anticosti, surnommée « le cimetière du golfe » depuis le 17e siècle en raison de la dangerosité de ses côtes pour les navires, est l’ancienne propriété du chocolatier Henri Menier. Cet aventurier atypique, tourné vers le sud par impératifs professionnels mais passionné par les régions nordiques, a souvent navigué dans les eaux septentrionales, en Scandinavie et au Groenland, avant de tomber sous le charme d’Anticosti, une île placée sur la carte par Jacques Cartier en 1534. L’héritier de la famille Menier, ayant fait fortune dans l’industrie pharmaceutique puis dans le cacao, signa son acte de propriété en 1895 après une transaction de 125.000$. Anticosti était alors entièrement sauvage - n’hébergeant qu’une compagnie forestière - mais l’homme avait de grands projets pour dompter sa terre : il voulait en faire une colonie modèle, paradis de chasse et de pêche. Le riche héritier français décida donc d’installer sur l’île des compatriotes venus de Saint-Pierre-et-Miquelon en créant une ville : Port-Menier. Il s’agit, aujourd’hui encore, de l’unique localité de l’île avec 216 habitants. Henri Menier se rêva ensuite châtelain et construisit sa demeure d’exception pour 130.000$. Il tenta également de développer l’agriculture, envisagea une centrale hydro-électrique et introduisit 220 cerfs de Virginie et des élans. Un peu plus d’un siècle plus tard, 200.000 cerfs se nourrissent d’algues sur les rochers d’Anticosti et l’île est un paradis pour les chasseurs (4.000 par an) comme pour les touristes qui peuvent observer les nombreux cervidés, les saumons frétillants et les phoques se prélassant sur le rivage. Entre 800 et 1.000 touristes parcourent chaque année les chemins de l’île d’Anticosti. Mais cet été, les 216 habitants de l’île – qui vivent essentiellement grâce à la chasse et à la pêche - accueilleront également les ouvriers pétroliers. En effet, le gouvernement du Québec a donné cet hiver son feu vert à l’exploration pétrolière, pour favoriser l’indépendance énergétique du Québec. Les habitants sont divisés sur cette nouvelle activité économique qui pourrait apporter un nouveau souffle à l'île, en difficulté après la fermeture de la société forestière locale, tout en menaçant ce paradis sauvage.
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