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C’est sûr il y a plus grave dans le monde mais il se trouve que ma passion c’est la voile. C’est, ou c’était, un magnifique sport la voile. A l’abri, jusqu’ici, des polémiques, du dopage, de l’argent roi, des enjeux politiques. L’une des rares disciplines où femmes et hommes courent ensemble, les uns contre les autres. Sauf aux Jeux Olympiques bien sûr, mais il est de notoriété publique que si Monsieur de Coubertin avait de bonnes idées, il n’avait ni une ouverture d’esprit, ni une vision très moderniste de la société, fin de la parenthèse. Bien sûr il y a eu des petites querelles, souvent avec nos meilleurs ennemis britanniques d’ailleurs, sur des questions de longueur, de liberté de partir, de technologie… Mais c’était toujours, ou presque à fleurets mouchetés, entre gentlemen/women serait-on tentés de dire. Seule l’America Cup, avec ses millions de dollars et ses egos démesurés de milliardaires, tombait régulièrement dans la fange des batailles juridiques entre avocats grassement payés, mais cela intéressait qui ? Personne ou presque, en tous cas pas le grand public, et plus beaucoup d'amateurs de voile il faut bien l’avouer.
Les grands médias généralistes et le grand public s’intéressent généralement à la voile une fois tous les deux ans, au rythme des Vendée Globe et des Routes du Rhum. Seules exceptions à ce rythme immuable depuis des décennies, un record autour du monde battu, de préférence en solitaire, ou si un drame survient malheureusement. Avec la « Banque de la Voile » en revanche, tout change. En un an ils ont réussi à mettre la voile à la une de l’actualité deux fois, hors courses ! Malheureusement pour de mauvaises raisons. Il y a quelques mois déjà avec « l’affaire Gabart » dans laquelle ils étaient largement partie prenante via la classe Ultim. Leur skipper en titre se demandait même s’il serrerait la main de son concurrent en cas de victoire, alors qu’ils se connaissent depuis les bancs de l’école de la course au large… du jamais vu dans le monde de la voile. Le trimaran des financiers ayant fini loin derrière, la question ne s’est pas posée. Mais aujourd’hui, deuxième épisode avec la mise à pied de Clarisse Crémer. Le point commun entre ces deux affaires ? Se cacher derrière les règlements émis par d’autres pour se dédouaner de manœuvres peu, voire pas du tout, élégantes.
J’ai une pensée pour le ou la dircom de l’établissement en question. Si il ou elle a été prévenu(e) il/elle peut faire ses cartons. Si il/elle a été mis(e) devant le fait accompli, il/elle doit être au bord de la dépression. Car qui, en 2023, peut prendre la décision de débarquer une femme pour cause de maternité ? Oui parce que la manœuvre grossière pour rejeter la faute sur l’organisation du Vendée Globe est fallacieuse, nous sommes bien d’accord ? Car si c’était là le problème, ils n’auraient pas viré Clarisse, ils auraient mis le sujet sur la place publique et c’est l’organisateur de la course qui se retrouverait aujourd’hui en fâcheuse posture. Donc non, c’est bien un acte délibéré de machisme archaïque (pléonasme) brut, violent, vulgaire, dégueulasse. Après quelques années de #Metoo, j’avais bon espoir que mon beau pays soit sur la voie de la rédemption en matière d’égalité hommes/femmes. Mais non, on veut donner des leçons de démocratie, d’humanisme, de pluralité, au monde entier, mais il y a toujours un imbécile pour nous remettre une poutre dans l’œil.
Je ne suis pas inquiet pour Clarisse Crémer, elle va rebondir, elle a tellement de talent, d’énergie et elle mérite tellement mieux, qu’elle va demain crouler sous les propositions j'espère. Mais je suis en colère pour elle. En colère contre ces gens qui abiment ma passion, foulant de leurs pieds sales ses valeurs et font surtout reculer notre société quand on a tant besoin d’avancer. Le point positif malgré tout dans cette histoire, ce sont toutes ces réactions indignées de personnes anonymes ou pas. Une petite lueur d’espoir dans un monde de brutes. Merci Clarisse de nous avoir fait rêver hier, de nous avoir ouvert les yeux aujourd’hui, même si l'image n'est pas belle et, j’en suis sûr, de continuer à nous faire rêver demain. Merci Isabelle Autissier, Catherine Chabaud, Sam Davies, Alexia Barrier, Pip Hare, Isabelle Joschke, Miranda Merron, Ellen MacArthur, Anne Liardet, Karen Leibovici, Dee Caffari. Tiens il y a moins de femmes à avoir couru le Vendée Globe que d’hommes à avoir été sur la Lune…