Michel Desjoyeaux : « Il y a vingt ans, j'y serais allé ! »

La course a débuté dimanche dernier et tu étais en mer pour y assister… Qu’est-ce qu’il te reste de cette journée ?
C’était une superbe journée de partage. Après le temps qu’on avait eu, les gens étaient contents de sortir dehors. Il y avait énormément de bateaux et de monde sur la côte. Ça fait vraiment chaud au cœur de voir que la voile attire autant de monde, même dans les lieux où elle est un lieu commun. Ça a été un beau spectacle, on avait l’impression que les skippers partaient pour une régate de quelques heures. Mais ils vont tellement vite qu’on les a perdus en quinze minutes ! C’était une belle fête populaire. Ce n’est pas l’esprit des Fêtes maritimes de Brest mais il y avait du monde partout et c’est top.
Que t’inspire ce défi, le fait que des skippers partent en Ultim seul autour du monde ?
Ça ne m’impressionne pas plus que ça parce que je sais que cette taille de bateaux est adaptée à ce grand parcours océanique. Même dans des conditions très dures et très ventées, les bateaux sont plus gros et tu es moins en appréhension que sur une plus petite embarcation. Il y a vingt ans, j’y serais allé ! Ça reste le plus haut de la pyramide de la course au large.
En tant qu’ingénieur, ce sont des évolutions que tu avais déjà perçues ?
J’ai travaillé sur l’hydroptère en 1993 et on se moquait de nous. Mais on savait déjà voler ! Certes, ce n’était pas le cas dans toutes les conditions, on n’allait pas aussi vite, il n’y avait pas d’assistance électronique, pas de pilotes automatiques aussi performants… Et bien avant l’hydroptère, nous avions la certitude que le vol était la solution pour aller plus vite que l’archimédien. C’était une évidence et maintenant tout le monde vole, même un gamin qui fait de la planche ou de la wing vole ! La technologie, la maîtrise des efforts,, le rendement aérodynamique, les études de fluides hydrodynamiques, ça a progressé en même temps et ça rend service aux Ultim. Il s’agit d’un cercle vertueux qui contribue à ce qu’on voit là.
La fiabilité des Ultim a souvent été pointée du doigt. Que penses-tu de ces questionnements-là ?
Plusieurs éléments composent la fiabilité. Le premier d’entre eux, c’est la résistance à la durée qui est un enjeu en matière de conception des systèmes. On a la culture et le savoir-faire pour faire des bateaux robustes, capables de tenir dans la durée, sans que l’on ait à intervenir. S’ils sont bien utilisés, ils doivent aller au bout. Après, il y a les impondérables à cause d’un facteur extérieur, à l’instar des Ofnis. Il faut néanmoins souligner l’effort qui a été fait avec les zones de protection des cétacés.
On dit que ceux qui vont au bout le seront avec un bateau en mode dégradé. Tu partages ce point de vue ?
Celui qui arrivera, ce sera le premier qui arrive ! Il faut se souvenir qu’au premier tour du monde, le Golden Globe, seulement un marin avait franchi la ligne (Robin Knox Johnston). Forcément, il y aura de la casse, de l’usure. Ce sera un miracle s’ils arrivent tous et ce n’est pas une critique sur la qualité des mecs, des équipes, des bateaux… Mais malgré tout, il y aura des dégâts. Mais ça fait partie du jeu et il ne faudra pas jeter le bébé avec l’eau du bain…
Tu te dis admiratif des bateaux, des skippers aussi ?
Je ne suis pas admiratif d’eux parce que quelques années plus tôt, j'aurais pu être contre eux ! Je les connais tous, j’en ai battu quelques-uns… Ce sont des marins dont j’ai fait partie. J’aurais adoré faire cette course. D’ailleurs, quand on a conçu Géant (en 2001), cela faisait partie du plan de développement qu’il vole.
Revenons sur la course. Comment expliquer que la flotte soit aussi resserrée tout au long de la semaine ?
Je n’aurai pas misé là-dessus parce que les conditions étaient complexes et l’effort physique est important pour faire des manœuvres. Mais c’est génial ! Au départ, ils ont eu un rythme de Figaristes ! Parmi eux, il ne faut pas oublier que certains sont vainqueurs de la Solitaire du Figaro. Après, il faut trouver son rythme, son intensité et c’est d’autant plus difficile que la météo est complexe. Ce n’est pas un long fleuve tranquille !
Comment faire pour tenir sur la durée ?
Il y a un paramètre qu’on oublie : Tom Laperche est celui qui a été le plus au chevet de son bateau et qui a le plus navigué lors des dernières heures avant la course. Ce n’est pas un hasard ! Les deux sorties que SVR-Lazartigue a fait après la mise à l’eau, Tom était à bord à prendre en main son bateau avec son équipe. Le dimanche matin, ce n’était juste qu’une navigation en plus… Sauf que celle-là va durer un peu plus de 40 jours !
Quel regard portes-tu sur Tom justement ?
Je l’ai vu grandir, je ne suis pas surpris du tout. Ce qu’il vit, je trouve ça génial. C’est un skipper qui est brillantissime. Il a le côté cartésien de l’ingénieur, un très bon feeling, il est très à l’aise à bord, il n'en fait pas des caisses, il est content d’être là et surtout il est tout de suite dans le bon rythme. L’âge ne veut rien dire : c’est peut-être son premier tour du monde mais il faut bien commencer un jour. Les gens ont peut-être oublié – mais ce n’est pas mon cas – que j’ai failli perdre le Vendée Globe en 2001 devant une gamine de 24 ans (Ellen MacArthur) !