Le premier ne sera peut-être pas vainqueur

Par Figaronautisme / Vendée Globe

Ce n’est pas une révélation. C’est un fait qui agite les cerveaux depuis le 16 décembre, jour où le jury international du Vendée Globe* a rendu son verdict quant aux bonifications en temps accordées à Jean Le Cam (16h15), Yannick Bestaven (10h15), Boris Herrmann (6h00), les trois marins qui ont stoppé leur course pour aller porter secours à Kevin Escoffier. Ces légitimes compensations alliées à une tête de flotte extrêmement groupée, vont faire monter la pression à son paroxysme pendant les 48 prochaines heures. Car pour la première fois dans l’histoire du Vendée Globe, le premier à franchir la ligne d’arrivée en fin de journée le 27 janvier, ne sera peut-être pas le vainqueur…

Le 30 novembre après-midi, dans le Sud-Ouest de l’Afrique du Sud, par 40 degrés Sud, PRB s’ouvre en deux. Son skipper n’a que quelques minutes pour sauter dans son radeau de survie et prévenir la terre de sa situation. Heureusement, ses concurrents ne sont pas loin. La Direction de Course met aussitôt en branle le dispositif de secours maritimes (Cross Gris-Nez, MRCC de Cape Town) et demande à Jean Le Cam, navigateur le plus proche, de se rendre sur zone pour secourir Kevin. Yannick Bestaven, Boris Herrmann et Sébastien Simon (qui abandonnera par la suite), sont à leur tour réquisitionnés pour quadriller la zone car la nuit est tombée, la houle est importante, la communication est interrompue avec le naufragé et le radeau est peu visible. Ils seront les anges gardiens de Kevin pendant une bonne partie de la nuit. Cet événement qui aurait pu être dramatique pour le skipper de PRB va finalement avoir un impact très important sur l'issue de ce 9e Vendée Globe.

Le haut niveau des skippers, l’état de préparation des bateaux, une météo très particulière, ont donné à la flotte le visage qu’elle présente aujourd’hui à 48 heures de l’arrivée : tellement compacte, tellement groupée qu’il est impossible de dire qui l’emportera. Y a t-il eu un autre critère moins visible ? Refroidis par « l’épisode Kevin » les marins ont-ils tiré sur leurs machines autant qu’ils auraient pu ou voulu ? « Ponctuellement, peut-être, tempère le Directeur de Course Jacques Caraës. Mais ils ont aussi une capacité à oublier vite. C’est surtout, je pense, les casses mécaniques qui ont empêché Thomas Ruyant et Charlie Dalin (victimes de leur foil bâbord) d’intercaler un système météo entre eux et leurs poursuivants et de créer le break, comme c’est souvent le cas sur un Vendée Globe ».

Le deuxième impact du naufrage de Kevin, lui, est parfaitement tangible, puisqu’il va influer sur le classement final.

Chronos, Dieu du temps, est aussi celui de la destinée. Aujourd’hui, les 5 à 6 marins en lice pour la victoire et le podium – Dalin, Burton, Herrmann, Ruyant, Bestaven et plus loin Jean Le Cam - n’ont plus tout à fait leur destin en main. Car il ne suffira pas au premier de déflorer cette ligne d’arrivée tant attendue pour être sacré vainqueur du Vendée Globe 2020-2021. Il faudra ensuite compter les heures, les minutes, les secondes.

Sortez les calculettes ! 6 heures de bonus pour l’Allemand Boris Herrmann : c’est  un écart de 120 milles à 20 nœuds de moyenne, 90 à 15 nœuds, 60 à 10 nœuds. Impossible de savoir, pour le leader actuel, le nombre de milles à intercaler. Et quand bien même, sa volonté n’y pourrait rien. Sa seule option est celle de la perfection, celle qui consiste à être à 100% de son potentiel, le plus rapide possible sur le chemin le plus court possible. Vaste programme ! On vous passe le calcul qui concerne Yannick Bestaven (10h15), et le débours entre ce dernier et le skipper de SeaExplorer – Yacht Club de Monaco (4h15). Sans parler de Jean Le Cam, fort de ces 16h15. Une prise de tête à en perdre… la tête !

Les compensations en temps ne sont pas inédites en course au large où le premier sur la ligne, celui qui remporte ce que les anglo-saxons appellent le « line honours » lors des régates en temps compensé, doit attendre l’arrivée des suivants avant de connaître son classement définitif. Plus proche du cas qui nous intéresse, il y a celui de Transat Anglaise 1984 remportée par Yvon Fauconnier dont le temps avait été bonifié après le sauvetage de … Philippe Jeantot. Et à l’inverse, des pénalités en temps, comme c’est souvent le cas sur la Solitaire du Figaro, peuvent faire rétrograder un concurrent.

En revanche, cette situation est totalement inédite sur un Vendée Globe. Elle est même extraordinaire après 23 800 milles et bientôt 79 jours de navigation en solitaire par les trois caps. Et elle donne un caractère dramatique à ces 650 derniers milles pendant lesquels Charlie Dalin, Louis Burton, Boris Herrmann, Thomas Ruyant et Yannick Bestaven vont tout donner en dépit de leur niveau de fatigue très élevé .

Peut-on craindre des réactions de frustration de la part de ceux qui seront battus sur le tableau de classement, tout en s’étant battus avec leurs armes et qui auront parfois dominé la course ? « Non ! répond Jacques Caraës. Même si avec l’extrême fatigue de l’arrivée, certains pourront laisser parler leur amertume et qu’il faudra d’ailleurs les laisser réagir, tous ont bien intégré et accepté le fait. Ils ont tous du panache et il n’y aura pas de polémique. Cela ne veut pas dire qu’au fond d’eux cela soit simple. Et quelque part, nous sommes conscients qu’ils font tous une course énorme. »

Alors à moins que d’ici là, la situation se décante et que les écarts soient tels qu’ils effacent toute conjecture, il faudra être patient, mercredi en fin d’après-midi, car le vainqueur et le podium de cette édition hors du commun ne seront peut-être pas identifiés tout de suite.  « Aujourd’hui, il faut les laisser faire leur course, les laisser placer leurs empannages et on va les laisser arriver aussi ! » lance Jacques Caraës qui pense avant tout à « ses » marins et à ce qu’ils vivent en ces instants cruciaux.

Pour l’organisation et la Direction de Course, ce scénario incroyable sera également une première. « Ce sera une arrivée complexe. On va donner un résultat provisoire tant que nous n’aurons pas de certitudes. Et peut-être même tant que Jean Le Cam ne sera pas arrivé. Nous allons devoir nous adapter, rester souple dans les protocoles pour trouver la meilleure solution, afin que chaque coureur soit respecté »

*Composition du jury international du Vendée Globe : Georges Priol (IJ-FRA), Président ; Lance Burger (IJ-RSA) ; Romain Gautier (IJ-FRA) ; Trevor Lewis (IJ-GBR) ; Ana Sanchez (IJ-ESP).

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
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Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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