Entretien avec Julie Mira, coach pour futures skippeuses : "Il faut que les femmes osent prendre la barre"
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Qu'est-ce qui vous a encouragé à développer une offre à destination des femmes ?
"J'ai navigué à travers le monde, particulièrement dans le grand nord sur des projets d'expédition. Et pendant toutes ces années j'ai toujours été une des rares femmes, voire la seule à bord. Dans les ports je n'en croisais que très peu, souvent elles suivaient leur mari comme elles pouvaient sans comprendre ce qu'il se passait, sans être trop à l'aise... Et puis il y a trois ans j'ai eu envie de répondre à cette problématique, de trouver une solution."
Le machisme est-il volontaire dans le milieu de la voile ?
"Non, je ne pense pas. Tout cela n'est pas délibéré, ce n'est pas du machisme pur, c'est inconscient. Dans l’imaginaire collectif, l’image du marin, ça reste un capitaine, plutôt costaud et grisonnant. C’est le fruit de plusieurs siècles d’histoire maritime et de superstitions, on ne s’en débarrasse pas comme ça ! La voile a très peu de représentations féminines. Il y a certes de grands noms de la course au large, à commencer par Florence Arthaud ou Ellen MacArthur mais il s’agit d’une élite qui ne permet pas de s’identifier.
Le terme macho est peut-être fort mais il y a une représentation masculine qui est omniprésente. Je suis skipper professionnelle depuis presque 15 ans et on me demande encore qui est le capitaine lorsque je rentre dans un port. Il y a toujours quelqu’un pour m’expliquer comment mettre mon ancre dans un mouillage ou faire une manœuvre de port. Cela arrive 9 fois sur 10 et ce genre de situations génère du stress pour une plaisancière, d’autant plus si elle est débutante. Les femmes doivent oser prendre la barre et assumer ce rôle."
Les bateaux sont-ils conçus « par et pour » des hommes ?
"La majorité des bateaux ne sont pas ergonomiques et ceci, quel que soit le sexe du propriétaire. Ils sont de plus en plus pensé pour le confort et l’habitabilité alors que la fluidité des manœuvres vient en second, même si les équipements ont considérablement évolué. On va considérer qu’un bateau pour une femme est un « petit » bateau car il est plus facile, moins puissant. Un petit bateau est forcément plus facile mais les femmes peuvent tout à fait maîtriser de grosses unités pourvu que le bateau soit adapté. Je mesure 1m60 et lorsque je suis sur de gros bateaux, il m’arrive de barrer sur la pointe des pieds. J’ai du mal à voir au-delà du roof qui est souvent trop haut et encombré de winchs. Lorsque je le fais remarquer aux constructeurs, ils expliquent qu’ils ne se sont même pas posés la question."
En quoi les attentes des femmes sont différentes de celles des hommes à bord ?
"Dans leur apprentissage les femmes ont besoin d’avoir conscience de l’ensemble des éléments et de bien comprendre pour oser se lancer. Elles ont besoin d’être rassurées sur leurs forces physiques et de voir que d’autres femmes peuvent le faire. C’est pour ça qu’un encadrement féminin permet de libérer la parole et de parler de tous les sujets, mêmes intimes."
En quoi cette pédagogie est-elle différente ?
"Il y a autant de manière de naviguer que de marins. Mon approche de la pédagogie est bienveillante et tournée sur l’écoute. Même aujourd’hui, on voit encore de nombreux professionnels qui ont une pédagogie de l’échec, qui vont forcer, crier, parce que la voile : « ça doit être dur ». Rien de mieux pour dégouter les néophytes ! Ce que je mets en place, c’est un temps où chacun peut apprendre a son rythme, la pédagogie des Marinettes, c’est de laisser au stagiaire la place pour s’exprimer, s’interroger et progresser avec plaisir."
Des hommes font également appel à vos services. Que cherchent-ils ?
"Dans la majorité des cas, les hommes que j’encadre viennent dans le cadre d’un coaching de couple. Ils viennent car ils peuvent avoir des lacunes techniques où ont besoin de valider ce qu’ils savent pour progresser. Lorsqu’on ne sait pas, on se crispe, on s’énerve et le coaching permet d’apporter de la sérénité, notamment lors des manœuvres de port, qui sont un moment de tension."