Des WC sur des barges d’huîtres ? Les ostréiculteurs dénoncent une mesure absurde

L’administration voulait améliorer les conditions de travail des marins, elle a surtout réveillé la colère des ostréiculteurs. Depuis le 22 juillet 2025, un arrêté oblige les constructeurs de bateaux de pêche à prévoir un « point hygiène » à bord : en clair, un WC et un lavabo. Sur le papier, rien de scandaleux. Sauf que la mesure s’applique aussi aux embarcations de moins de 12 mètres, y compris aux barges ostréicoles, ces plateformes légères utilisées pour travailler sur les parcs à huîtres.
Pour les professionnels, la pilule ne passe pas. Philippe Le Gal, président du Comité régional de la conchyliculture de Bretagne Sud, témoigne à nos confrères de France 3 Bretagne : « C’est complètement absurde de la part de l’administration, car c’est juste impossible à mettre en place. On parle de bateaux qui sortent quelques heures, pas de navires hauturiers. »
Sur le terrain, la réalité saute aux yeux : ces barges ne disposent ni de cabine, ni d’alimentation en eau, ni de place pour accueillir un sanitaire. Dans certains cas, installer un WC reviendrait à sacrifier la moitié du pont. Autant dire que l’idée laisse les professionnels perplexes. « On travaille souvent à marée basse, quelques heures à peine, avant de revenir à terre. Il faudrait presque un ingénieur pour réussir à loger un lavabo là-dedans », ironise un producteur du Morbihan.
Du côté des chantiers navals, le constat est le même. Interrogé par Maville, un constructeur vendéen évoque une situation « ingérable » : « On a regardé tous les modèles, il n’y a ni structure ni volume pour installer un tel équipement. »
Résultat : la profession se retrouve dans une impasse. Faute de solution technique réaliste, les syndicats conchylicoles réclament des dérogations pour les bateaux de moins de 12 mètres. « Encore une couche de paperasse, » souffle un ostréiculteur du Morbihan, qui redoute un nouveau casse-tête administratif : « On nous promettait un choc de simplification, et on se retrouve à devoir prouver qu’on ne peut pas mettre un lavabo sur une barge. »
Au-delà du ton moqueur, la situation inquiète réellement. Le secteur sort tout juste d’une période difficile : mortalité des huîtres, hausse des charges, baisse des ventes et manque de main-d’œuvre. « Les jeunes commencent à revenir, la confiance aussi. Ce genre de mesure peut tout casser, » prévient encore Philippe Le Gal.
Les ostréiculteurs rappellent que leurs pratiques sont déjà encadrées par des contrôles sanitaires très stricts : analyses hebdomadaires de l’eau, traçabilité, tests de qualité. « Notre priorité, c’est la sécurité alimentaire, pas les toilettes sur un bateau de dix mètres, » résume un producteur du Finistère.
En coulisses, le président du Comité régional a alerté Éric Banel, directeur des affaires maritimes et de la pêche. Celui-ci aurait reconnu la difficulté, sans pour autant suspendre le texte. L’administration, elle, se retranche derrière un objectif de mise en conformité européenne sur les conditions de travail maritime. Une justification qui passe mal dans la profession : « On veut bien parler d’Europe, mais qu’ils viennent d’abord voir nos bateaux avant de légiférer », glisse un autre ostréiculteur.
Dans les ports, la discussion tourne souvent à la plaisanterie, mais le malaise est bien réel. Certains imaginent déjà des « toilettes portatives homologuées », d’autres envisagent de suspendre symboliquement une lunette WC sur leurs barges pour dénoncer l’absurdité de la règle. Derrière les rires, la lassitude domine.
Car cette nouvelle contrainte n’est qu’un symptôme d’un mal plus profond : un fossé grandissant entre la réglementation et le terrain. Les ostréiculteurs, habitués à composer avec les marées, les contrôles et les crises sanitaires, peinent de plus en plus à suivre le rythme imposé depuis les bureaux parisiens. « On ne demande pas de cadeau, juste un peu de bon sens », glisse un marin du Golfe du Morbihan.
Pour l’heure, la filière attend un assouplissement du texte ou, au minimum, une dérogation claire. En attendant, les ostréiculteurs continuent de ramer entre bancs d’huîtres et paperasse, espérant que cette fois, l’administration acceptera de ne pas pousser le bouchon... trop loin dans la vase.