Longtemps unique en son genre, l'usine marémotrice de la Rance commence à faire des émules à travers le monde comme source fiable et propre d'énergie grâce au mouvement des marées, 45 ans après sa mise en service en Bretagne (ouest de la France).
"Elle fonctionne sans interruption depuis 1967, avec une régularité d'horloge, fournissant l'équivalent de la consommation d'une ville de 240.000 habitants", se réjouit Jean-Paul Boulheret, directeur hydraulique grand Ouest chez EDF, alors que s'ouvre ce jeudi le débat sur la "transition énergétique" promise par François Hollande.
Barrant l'estuaire de la Rance sur 750 m, entre Saint-Malo et Dinard (Ille-et-Vilaine), l'usine de 240 mégawatts (MW) produit plus de 500.000 MW/h par an grâce à 24 turbines de 5,35 m aux pales orientables selon le sens de la marée.
"Une usine marémotrice a deux gros avantages: contrairement à une centrale nucléaire, elle dure très longtemps et ne produit pas de déchets. En outre, elle dispose d'un carburant gratuit qui, à la différence de l'hydraulique, de l'éolien et du photovoltaïque, est éminemment prévisible", souligne le responsable.
Si son principe est simple -utiliser l'amplitude des marées pour produire de l'électricité-, la conception de ce prototype a nécessité une vingtaine d'années, en raison d'"un grand nombre de problèmes technologiques à résoudre en amont", souligne l'ingénieur.
Cette complexité, ajoutée notamment à la nécessité de disposer d'un estuaire à fortes marées, explique que l'usine soit restée sans équivalent dans le monde pendant des décennies, selon M. Boulheret.
Mais la recherche de nouveaux gisements d'énergies renouvelables fait regarder d'un oeil nouveau cette réalisation, longtemps considérée comme une aimable incongruité.
Ainsi, la Corée du Sud a inauguré en août 2011, à Sihwa (ouest), en partenariat avec EDF, une centrale marémotrice de 255 MW qui a détrôné en puissance celle de la Rance.
Très dépendant énergétiquement, le pays, à la côte très découpée, prévoit l'ouverture en 2017 d'une deuxième usine, cinq fois plus puissante, en baie d'Incheon, pour 3 milliards d'euros. Un projet de 480 MW y est également envisagé en baie de Garolim.
En Europe, la Grande-Bretagne réfléchit à la construction d'un barrage géant de 18 km sur la Severn, près de Bristol (sud), qui pourrait coûter jusqu'à 37,5 milliards d'euros. Selon ses promoteurs, l'usine, équivalant à trois centrales nucléaires, pourrait produire plus de 5% de l'électricité du pays.
Dans le cas de la Rance, EDF ne communique pas sur le prix de revient du kW/h, mais le site est "tout à fait rentable", dit M. Boulheret. Le groupe, qui n'a pas d'autre projet marémoteur en France, vient de débloquer 100 millions d'euros sur dix ans pour renouveler l'ensemble des équipements... pour un nouveau demi-siècle.
Les barrages marémoteurs suscitent toutefois des inquiétudes quant à leur impact sur l'écosystème des estuaires.
Le barrage de Rance a causé "des perturbations écologiques pour un certain nombre d'espèces et a favorisé une sédimentation accrue dans l'estuaire", selon Gilles Huet, de l'association Eau et Rivières de Bretagne. EDF assure toutefois que l'estuaire a retrouvé un "riche équilibre écologique" et que sa situation sédimentaire est "stable".
L'usine de la Rance est également un des sites industriels les plus visités de France, avec quelque 70.000 entrées chaque année, selon l'opérateur.