Quatre-vingt-treize ans après, un documentaire pour la télévision en préparation dans le Sud-Ouest sort de l'oubli la tragédie du paquebot Afrique, naufrage civil le plus meurtrier en France avec 565 morts, en ravivant les souvenirs des familles des victimes de ce "Titanic français".
Le 12 janvier 1920 vers 3H du matin, pris dans une mer féroce et plombé par une voie d'eau, le paquebot "Afrique", parti le 9 au soir de Bordeaux à destination de plusieurs ports africains, sombrait au nord-ouest de l'île de Ré, à 40 km de la côte vendéenne après une longue agonie, 21 heures après son premier signal de détresse.
De ses occupants, des tirailleurs africains démobilisés, des épouses et enfants d'expatriés, des missionnaires, 125 membres d'équipage, seules 34 personnes survécurent.
"Pendant des semaines, des corps furent récupérés sur les plages de Vendée, dans des chaluts, dérivèrent jusqu'en Bretagne, l'île de Sein", raconte Roland Mornet, marin reconverti en historien, auteur d'un livre sur l'Afrique en 2006. Cette année-là fut apposée aux Sables d'Olonne une humble stèle, à ce jour seule trace physique de la tragédie.
"Comment la plus grande catastrophe maritime française a-t-elle pu tomber à ce point dans l'oubli ? Il y avait plein de mystères, d'interrogations autour de l'Afrique", résume Daniel Duhand, co-réalisateur avec Mickael Pitiot. Un duo qui signa en 2012 un film sur d'autres oubliés: les "Poilus d'Alaska", chiens de traîneau héros de la 1re Guerre Mondiale.
Le naufrage fit scandale, suscita une session houleuse à la Chambre des Députés. Pierre Dignac, député de la Gironde à l'époque, était "traumatisé", explique Denis Blanchard-Dignac, son petit-fils: "Que la compagnie ait pu affrêter un bateau en mauvais état, et par la responsabilité de l'Etat, incapable d'assurer un sauvetage sur un naufrage à 100 km de Bordeaux".
Mais l'actualité politique (élection présidentielle en ce janvier 1920) reprit le dessus. Plusieurs commissions d'enquête, 12 années de procédure, exonérèrent au final l'armateur, et déboutèrent les familles des demandes de compensation.
Navire surchargé, en état douteux, écoutilles obstruées par la crasse accumulée, choc final avec un bateau-feu, maints facteurs se sont combinés pour le drame. La version officielle en 1932 retint surtout la malchance: le possible choc avec une épave de la Première guerre mondiale, ouvrant une voie d'eau fatale dans la tempête.
Le 52 minutes sur l'"Afrique", prévu pour 2014, est une enquête, qui "va dans le sens" de la thèse d'un navire en coupable état, selon Daniel Duhand, qui dit avoir eu accès à des documents inédits. Le film prévoit une plongée par 45 m de fond, où gît toujours l'épave.