La pêche à l'oreille, un art traditionnel en voie de disparition

Par AFP

Une main agrippée à son bateau de pêche, Harun Muhammad plonge pour écouter le son émis par les poissons dans les profondeurs de la mer en Malaisie: la pêche à l'oreille est un art traditionnel en voie de disparition dans ce pays d'Asie du Sud-Est.

A 68 ans, Harun est l'un des derniers à pratiquer cette mystérieuse technique au large de Setiu, sur la côte est de la Malaisie, une nation qui est l'une des plus grandes consommatrices de poissons au monde.

"Quand vous écoutez, c'est comme si vous regardiez à travers un verre, vous pouvez voir des maquereaux, des sardines", explique Harun, en compagnie de son fils Zuraini, 44 ans, qui s'initie à cette forme de pêche très particulière.

"Nous cherchons uniquement des (poissons) gelamas. Mais dans les bancs de gelamas, il y a d'autres poissons. Ce n'est pas possible de copier notre technique. Il faut s'y initier et apprendre comment fonctionnent les eaux", dit le pêcheur.

"Les grossistes me disent +quand vous ne serez plus là, il n'y aura plus de gelamas+", considéré comme "le poisson roi", observe Harun.

Le gelema, un poisson commun consommé par des populations pauvres, est considéré comme le meilleur par les Malaisiens de la côte est, en raison de son goût particulier donné par une cuisson très salée. Mais l'appellation de "roi" vient aussi du fait que dans l'eau, le gelama est entouré par d'autres poissons qui ont tendance à le suivre, selon Harun.

D'autres pêcheurs à l'oreille sont décédés, retraités ou se sont tournés vers des techniques plus modernes de détection de la présence de poissons face l'augmentation du bruit sous les eaux et à des prises de plus en plus maigres.

Les eaux malaisiennes ont en effet perdu environ 92% de leurs ressources en poissons de 1971 à 2007 en raison de la surpêche, selon certaines études.

En Malaisie, la consommation moyenne de poisson atteint 56,5 kilos par personne par an, davantage que les Japonais. Par comparaison, la consommation moyenne mondiale est de 20 kilos par personne par an.

En conséquence, avertit le dirigeant de WWF Malaisie, Dionysisus Sharma, les eaux malaisiennes pourraient être vidées de leurs poissons d'ici à 2048.

 

'Comme si on pouvait voir'


Le pêcheur sexagénaire a du mal à mimer un son de poisson, qu'il décrit comme des bruits de cailloux jetés à l'eau.

"Ils ont une voix. Ce son-là, c'est un poisson, celui-ci, c'est un autre. Quand on est novice, on ne peut pas faire la différence", dit-il.

"Au bout d'un certain temps, c'est comme si on pouvait voir. Même si le poisson est très loin, vous pouvez déterminer la direction et aller dans ce sens. C'est seulement quand vous êtes près que vous pouvez entendre clairement le poisson", explique Harun.

Lorsqu'il repère un banc de gelamas, son équipage sur le bateau -- resté en retrait avec les moteurs coupés -- s'avance et lance les filets.

"Vous pouvez penser que les poissons sont stupides, mais ils vous voient arriver. Quand ils entendent le son du bateau, ils s'éloignent", dit-il.

Les grosses prises étaient possibles quand les stocks étaient abondants, observe le pêcheur. Mais après des décennies de surpêche, Harun doit plonger beaucoup plus qu'auparavant avant de repérer des sons de gelama.

La modernisation de la pêche, notamment l'aquaculture, les usines et chalutiers ont transformé les zones humides de Setiu, et menacent un écosystème riche qui s'étend sur un lagon de 14 km le long de la mer de Chine méridionale. L'Etat du Terengganu, région où se trouve Setiu, cherche à en faire un parc protégé.

Aujourd'hui, les prises de Harun sont imprévisibles. Elles rapportent en moyenne 2.000 USD (1.500 euros) bruts par semaine, soit un maigre bénéfice une fois payés le salaire de l'équipage et les frais de carburant.

Le pêcheur vend ses gelamas de 15 à 18 ringgit (de 3,50 à 4,30 euros) le kilo aux grossistes, mais au marché, son prix peut atteindre jusqu'à 40 ringgit (9,50 euros) le kilo, soit nettement plus que la plupart des autres poissons.

Son fils Zuraini, âgé de 44 ans, tient beaucoup à la pêche à l'oreille du gelema: "Je ne sais rien faire d'autre, je ne veux pas que cette pratique disparaisse".
 

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
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Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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