Coulé à deux pas d'une plage de Floride, qu'il avait mission de coloniser au nom de la couronne de France, La Trinité vient d'être retrouvé par une société de fouilles privée, mais la France le réclame.
Pour les autorités de Floride, le navire est bien celui qui dirigeait la flotte de sept vaisseaux emmenée par le corsaire français Jean Ribault en 1565. Parmi les objets trouvés sur le site situé non loin de Cap Canaveral se trouvent trois canons en bronze ornés d'une fleur de lys et de signes caractéristiques du roi Henri II (1519-1559), dont le règne précéda celui de Charles IX.
Les équipes de la société de fouilles privée Global Marine Exploration, qui ont découvert le site en mai, ont également identifié une stèle portant l'emblème de la couronne de France. Ces restes sont "similaires à des objets ayant appartenu à la flotte disparue de 1565", explique Meredith Beatrice, directrice de la communication du département d'Etat de Floride. Directeur du Centre d'archéologie historique (CHA), John de Bry estime qu'il s'agit là, ni plus ni moins, que de "l'épave la plus importante jamais trouvée en Amérique du Nord".
Depuis 1564, les Français étaient implantés en Floride, à Fort-Caroline, situé sur le territoire de ce qui est aujourd'hui Jacksonville, à l'extrême nord-est de l'Etat. Jean Ribault avait été dépêché sur place l'année suivante pour renforcer cette présence et envisager de prendre le contrôle de la région. Décidé à contrecarrer ce projet, la couronne d'Espagne envoyait à sa rencontre une flotte emmenée par Pedro Menendez de Aviles. Avant même l'affrontement, un ouragan balayait plusieurs des bateaux français, dont La Trinité. Jean Ribault et ses hommes se rendaient alors à Pedro Menendez de Aviles, qui les massacrait, au motif qu'ils étaient huguenots (protestants) et non pour leur nationalité française.
Cet épisode est un tournant historique majeur, car l'enjeu de cette bataille n'était ni plus ni moins que d'établir la première colonie sur le territoire des Etats-Unis actuels.
Fort de sa victoire, l'amiral espagnol a établi, en septembre 1565, St. Augustine, souvent considérée comme la plus vieille ville des Etats-Unis. "Si les Français n'avaient pas pris la direction du sud et coulé à cause de l'ouragan, l'histoire aurait été totalement différente", affirme John de Bry. Pour lui, "la Floride aurait pu parler français pour de nombreuses années".
Le lieu exact où se trouve l'épave est tenu secret par GME, la société à l'origine de la découverte. "Ce ne serait pas une bonne chose", estime le Consul général de France à Miami, Clément Leclerc. "Il s'agit potentiellement d'une découverte majeure et nous pensons qu'elle nécessite une analyse scientifique et rigoureuse, car elle pourrait, plus tard, être présentée au public compte tenu de son intérêt historique", dit-il.
En vertu des textes applicables, les Etats-Unis reconnaissent la souveraineté d'autres Etats sur leurs navires de guerre coulés dans les eaux territoriales américaines. La Floride prévoit ainsi de remettre les restes de l'épave à la France. L'actionnaire principal et PDG de GME, Robert Pritchett, ne l'entend pas de cette oreille, lui qui affirme avoir investi trois millions de dollars dans le projet. "Ce n'est pas un navire de guerre français", lance-t-il. "Demandez à la France de le prouver. Ils ne le peuvent pas. Je vous affirme que la France n'a aucune preuve de quoi que ce soit".
Comme souvent en pareil cas, l'affaire a été portée devant les tribunaux. Par GME d'abord, qui a déposé un recours pour faire reconnaître son droit de propriété, puis par la France et l'Etat de Floride, pour le contester.
L'issue ne devrait pas être connue avant plusieurs mois.
"Nous sommes impatients et curieux de connaître le sort judiciaire de cette affaire", explique l'archéologue sous-marin Chuck Meide, "mais nous pensons que la France a de solides arguments".