Depuis 40 jours, Maxime Sorel n'a vu que de l'eau. Avoir croisé un caillou - les Bishops -, des oiseaux, dormir, et occuper la 10e place de la flotte réjouissent le skipper de V and B - Mayenne.
« C'est plutôt pas mal : depuis deux jours, il y a du soleil, c'est cool. Les conditions sont plutôt correctes, il y a du vent, qui est assez instable, mais la mer n'est pas trop désordonnée. Et il y a des petits oiseaux partout ! Ce matin (ou c’est après-midi ? Je suis perdu avec le temps TU), je suis passé au sud des îles Macquarie. Je savais qu’il y avait des cailloux, les Bishop, mais je pensais qu’ils étaient au ras de l'eau. Or, une demi-heure avant d'y passer, j'ai vu un énorme truc noir ! Je me suis dit ‘ Mince, j’espère que je suis bien cartographié… Est-ce que j'empanne, par précaution ?’ Il n’y avait pas de raison de le faire, j’ai fait confiance à la technologie. C'était chouette, cela faisait 40 jours que je n'avais rien vu d’autre que la mer. Il était hyper flippant mais chouette, ce caillou venu de nulle part. Vu leur quantité, je pense que tous les oiseaux venaient de l'île. Je suis passé à 1,5 mille, je n’ai pas vu d’autre animal.
J'aurais vu une île, ça m'aurait fait le même effet. Il y a quelque chose d’improbable. On est en Nouvelle-Zélande, on n'a vu que de l'eau depuis 40 jours, j’ai parfois l'impression d'être dans un simulateur, avec la sensation de ne pas avancer. Pour peu que tu passes au sud du cap Horn, tu fais un tour du monde sans jamais rien voir.
Le bateau va plutôt bien, j'ai eu des galères de voile, 72 heures d’efforts pas cool, à enchaîner les trucs sans m'arrêter. Cela a été ‘limite’, mais j'ai réussi. Les voiles ne sont pas à 100%, je dois faire gaffe, mais elles sont en sécurité et je dois faire en sorte qu’elles restent utilisables. Il n’y a pas longtemps, j'étais dans ma bôme, au soleil, à faire du matossage sur une bosse de ris. Il me reste un hydrogénérateur à démonter parce qu'il fuit. Je ne marche qu'avec un, que je change de bord selon l’amure. J’ai également à faire une vidange moteur.
Comme j’ai tapé un truc pas loin des Canaries, j’ai perdu un réservoir, et je m’étais donc calé sur l’idée de connecter le 2e réservoir qu’à mi-course. Quand on est descendu dans les Cinquantièmes il y a quelques jours, ça caillait, mais je n’ai pas relancé le moteur pour me réchauffer. Quand tes capteurs t’annoncent 3,5 degrés, avec le vent tu es à -1 en ressenti, dans une eau à 5 degrés dont tu n’es pas isolé. Et si tu ajoutes l’humidité du brouillard, c’est l’horreur. Remettre le chauffage, ça fait du bien aussi à l’électronique : tu vires de l’humidité. Le relancer une à deux fois par jour, ce n’est pas mal, pour ça.
Physiquement, j'ai eu vraiment du mal à récupérer. J'avais un créneau à respecter, sinon j'étais ‘pendu’. Je n'avais pas le choix, je suis allé très loin, plus que je l'imaginais. Et ce n’est que lorsque j'ai commencé à dormir que j'ai vu qu'il y aurait du boulot pour récupérer. J'ai pris cher physiquement, j’ai mal à une épaule. Je pense que c'est musculaire, et que c’est dû au temps passé dans le mât, à me tenir. J'accuse encore le coup, je fais de bonnes siestes, quand le bateau avance bien. Moralement, ça va. Avec10 jours catastrophiques dans une mer croisée, avec ces problèmes de voiles qui m'ont chamboulé, j’ai vécu un ascenseur émotionnel. C’est une vraie réussite que d'avoir réparé ça !
Je trouve que le décalage horaire est dur. On est à l'opposé de vous. Je suis hyper rythmé par les communications, les vacations, les classements… Toute notre vie est régie en TU (temps universel) et, par moments, on n'a pas de message quand vous parce que vous dormez.
Côté navigation, pour l’heure, c’est un grand ‘tout droit’ le long de la zone d’exclusion antarctique. Et puis un peu avant Noël, une dépression va passer au ras des fesses. Il faut que je cravache pour que ça passe. Si ça ne passe pas, ce sera le drame : je serai quasiment contraint de ralentir pour la laisser passer. Je navigue tout seul depuis un moment, je traîne la patte en suivant… et je suis seul pour prendre mes décisions, puisque j’ai rarement le même système que les autres (devant comme derrière). Cette position est assez chiante.
Si je pouvais recoller un peu devant, comme ça peut arriver dans la course au large, je pourrais rester un peu avec les copains et réfléchir aussi par rapport à eux pour savoir s’il faut vraiment aller à gauche. Quand tu es tout seul, tu te plantes tout seul. Donc tu ne fais pas la même course ».