Depuis son canoë, à l'ombre des peupliers qui bordent la Garonne à Saint-Nicolas-de-la-Balerme (Lot-et-Garonne), Vincent Prié prélève des échantillons de l'eau du fleuve. Son but : détecter la présence de la grande mulette.
Cette moule d'eau douce, dont la coquille peut atteindre la taille de la main, figure sur "La Liste rouge des espèces menacées en France - Mollusques continentaux de France métropolitaine", publiée mercredi par l'Union internationale pour la conservation de la nature.
"La grande mulette n'est pas connue mais elle est encore plus menacée que le panda", affirme le biologiste, attaché au Muséum national d'Histoire naturelle.
Autrefois présente à l'ouest d'une ligne du Danemark à l'Italie, la grande mulette a presque disparu des cours d'eau d'Europe : "Son aire de répartition a diminué de 95%", dit le scientifique. Aujourd'hui, on la retrouve dans le sud-ouest de la France, "surtout dans la Charente, en plus de petites colonies dans la Vienne, la Dronne, l'Adour, la Save et l'Ebre en Espagne."
Devenu spécialiste du mollusque après l'avoir observé lors d'une plongée dans la Charente, Vincent Prié traque la mulette aux quatre coins du pays. "Historiquement, il y avait des grandes mulettes dans la Garonne mais nous n'en avons jamais retrouvé", confie-t-il.
Penché sur son embarcation, le chercheur prépare de petites bombonnes pour recueillir les prélèvements d'eau. "L'idée, c'est d'analyser ces échantillons pour voir si la mulette est là", dit-il.
Les flacons sont reliés à un système très artisanal qui permet de pomper l'eau du fleuve mais la manipulation se base aussi sur une technologie de pointe : l'ADN environnemental (ADne).
"Tous les êtres vivants laissent une trace dans la nature, un peu comme nous quand nous perdons de petits bouts de peau", explique M. Prié.
Les échantillons seront envoyés au laboratoire Spygen, en Savoie, le plus compétent en France pour réaliser ce type de séquençage ADNe. "Cette technologie constitue une révolution dans l'analyse des écosystèmes", se réjouit le biologiste, par ailleurs conscient de la faible probabilité de détecter la présence de l'animal.
Parmi les principales causes de disparition de la grande mulette, Vincent Prié met en avant le colmatage des lits des cours d'eau : "Des sédiments s'écoulent des terres agricoles et viennent combler les espaces entre les cailloux au fond de la rivière". Or, la moule se développe précisément dans cette partie du fleuve lors des huit premières années de son existence.
Autre possible raison : la disparition des poissons-hôtes comme la lamproie marine et l'esturgeon d'Europe. Ces poissons jouent un rôle clé dans la reproduction de la grande mulette en transportant les larves. "Ces espèces sont en forte diminution du fait de l'artificialisation des cours d'eau avec la construction de barrages", observe-t-il, "nous sommes face à une extinction en cascade".
Cela inquiète le chercheur : "Nous observons très peu de jeunes. Dans la Save, il pourrait ne plus y avoir de mulettes dans cinquante ans", alors que le mollusque filtre l'eau pour se nourrir, ce qui permet aux plantes de mieux pousser et à l'écosystème de se développer.
Vincent Prié aimerait pouvoir "multiplier ce type d'analyses pour avoir une idée plus précise de leur distribution sur le territoire."
Un Plan National d'Action (PNA) en faveur de l'animal a été mis en place en 2012 et doit être relancé pour la période 2021-2031. Vincent Prié a participé à la conception d'une feuille de route mais "le PNA dit ce qui devrait être fait. C'est bien, mais nous avons aussi besoin de moyens et de mesures concrètes".
De retour sur la terre ferme, il range soigneusement ses précieux échantillons avant de se diriger vers l'Aiguillon, quelque 50 km en aval, pour en réaliser d'autres : "Préserver des cours d'eau naturels, sans intervention humaine : voilà le meilleur moyen de sauver la grande mulette", dit-il.