Pour la première fois, quatre anges de mer (Squatina squatina) ont été équipés de balises afin de suivre leurs déplacements durant 10 mois. Les données récoltées permettront de mieux connaître les dernières populations de cette espèce de requin classée en danger critique d’extinction qui a disparu des côtes françaises à l’exception de la Corse.
L’ange de mer commun
Espèce de requin autrefois commune tout le long des côtes françaises (de 5 à 150 m de fond) l’ange de mer commun, Squatina squatina, est classé en danger critique d’extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Il a donné son nom à la baie des Anges près de Nice tellement il y était abondant mais la Corse semble désormais être sa dernière zone de présence pour la France.
Mesurant entre 80 et 160 cm à l’âge adulte, l’ange de mer commun est un prédateur de fond qui peut atteindre 240 cm. Il est très sensible à la pêche de fond et s'emmêle facilement dans les filets à grandes mailles. En tant qu’espèce parapluie1, l’ange de mer commun pourrait donc être vu comme un bioindicateur de la bonne santé des écosystèmes côtiers puisque sa présence serait la conséquence d’une bonne intégrité des fonds, d’abondance de proies et d’une faible pression de pêche.
Une espèce sédentaire ou nomade ?
Concernant l’écologie de l’ange de mer commun, les informations les plus complètes proviennent des Canaries, seul endroit où des zones de nurserie ont été identifiées et où une population de taille importante semble persister. Dans cette zone, les femelles donnent naissance à leurs 7 à 25 petits dans des eaux peu profondes proches de baies et estuaires entre avril et juin. Les adultes vivent plutôt sur des fonds meubles (sable, vase) entre 10 et 50 m de fond mais peuvent descendre jusque 150 m. Nous ne savons pas actuellement si ces informations sont valables pour la Corse et sur quels rythmes (journalier, saisonnier...) et quelles distances se déplacent les individus.
La pose des balises
Quatre balises de type PTT (Platform Transmitter Terminal) ont été accrochées par des plongeurs au niveau de la nageoire dorsale de quatre anges de mer adultes (1 femelle et 3 mâles), deux au nord est de la Corse, et deux au sud est de la Corse. Ces balises mesurent environ 12 cm et possèdent une fine antenne de 19 cm environ pour un poids (dans l’air) inférieur à 50 grammes. Elles enregistrent la profondeur, la température et la luminosité. Après 10 mois, elles se détacheront automatiquement et resteront en surface pour transmettre leurs données et leur localisation à travers la constellation de satellites équipés Argos.
Les coordonnées des scientifiques sont indiquées sur la balise pour permettre à toute personne trouvant une balise détachée (ou accrochée à un individu mort) de les contacter. L’analyse des données récoltées permettra de mieux connaître les comportements et déplacements des anges de mer en Corse. Si les déplacements locaux des anges de mer ont déjà été étudiés aux Canaries grâce à la télémétrie acoustique, aucune balise de type PTT n’avait jamais été utilisée pour cette espèce.
Taille de population et connectivité génétique
Les informations récoltées grâce aux quatre individus équipés de balises complèteront celles des captures-marquages-recaptures réalisées par les pêcheurs de plaisance de l’association Bastia Offshore Fishing. Les analyses de génétique de populations réalisées à partir d’échantillons de tissus prélevés par des plongeurs et des pêcheurs aideront à préciser le nombre de populations, leur taille et leur connectivité.
Le projet de recherche ANGE
Cette étude est réalisée dans le cadre du projet de recherche ANGE. Ce projet de recherche répond aux objectifs du plan régional d’actions de conservation pour les requins ange en Méditerranée paru en 2019 et l’action concertée pour l’ange de mer (Squatina squatina) de la convention sur les espèces migratrices. Il est soutenu par la Manufacture de Haute Horlogerie Blancpain, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée-Corse, la Fondation Prince Albert II de Monaco, les Explorations de Monaco, l’Office français de la Biodiversité, le Parc naturel marin du Cap Corse et de l’Agriate et Bastia Offshore Fishing.
Le projet ANGE (2021-2023) repose sur trois axes de travail :
1. Mieux connaitre son habitat et les pressions qui s’y exercent. Où se trouve l’ange de mer commun ? Sa distribution spatiale peut-elle être expliquée par les activités humaines ou la qualité des habitats marins ?
2. Mieux connaitre sa biologie. Tous les anges de mer de Corse se reproduisent-ils entre eux ou existe-t-il des populations séparées ? Y-a-t-il encore des échanges génétiques avec les autres populations les plus proches (Italie, Afrique du Nord, Grande-Bretagne et Canaries) ? Comment se déplacent et se nourrissent les individus ? Sont-ils en bonne santé ?
3. Faire connaitre. Il s’agit ici d’informer du statut de conservation de l’espèce, les menaces qui pèsent sur elle, son interdiction de pêche, son rôle fonctionnel pour les écosystèmes marins. Des courtes vidéos à destination du grand public sont en cours de réalisation. Un livret pédagogique scolaire sera également fourni et distribué aux aires marines éducatives du Parc naturel marin du Cap Corse et de l’Agriate (AME), partenaire du projet. Les données seront ensuite disponibles sur la plateforme Medtrix.