
Grâce au capteur de microplastiques embarqué sur son IMOCA, Fabrice Amedeo collecte des échantillons tout au long des courses sur lesquelles il s’engage. L’objectif de cette mission, menée en partenariat avec l’IFREMER, l’Université de Bordeaux et l’IRD est double : échantillonner les microplastiques dans les eaux océaniques de surface, au large et dans des zones encore peu étudiées, afin de mieux cartographier et modéliser les déplacements de ces microparticules.
53 échantillons ont été prélevés sur le dernier Vendée Globe. Les premiers enseignements issus de l’analyse des filtres à 300 µm ont été dévoilés à Marseille au printemps dernier. Ils ont notamment montré que les eaux de surface de l’océan Atlantique sont deux fois plus polluées par les fibres de cellulose que par les microplastiques. Les différentes équipes menées par Enora Prado, Chercheur à l’Ifremer Brest, Lab. LDCM, Jérôme Cachot, Professeur des Universités à l’Université de Bordeaux, Lab. EPOC, Sophie Lecomte, Directrice de recherche CNRS, Lab. CBMN et Christophe Maes, Chargé de recherche IRD, Lab. LOPS, viennent de terminer l’analyse des filtres contenant les particules comprises entre 300 µm et 100 µm. Ils livrent leurs premières analyses après plusieurs mois de travail.
Une plus grande concentration de fibres de cellulose et de microplastiques
Tout d’abord, et ceci confirme les résultats publiés l’année dernière, il y a toujours dans ces nouveaux échantillons une grande majorité de fibres de cellulose, à hauteur d’environ 70%.
L’analyse spectroscopique montre que les fibres de cellulose sont 40 fois plus concentrées sur les tamis de 100 µm avec une répartition dans la colonne d’eau quasi équivalente à celles des microplastiques. « Malgré des différences hydrodynamiques entre leurs morphologies, les microplastiques et les fibres subiraient une dispersion dynamique similaire dans l’Océan du grand large » explique Christophe Maes.
On note une plus grande diversité de plastiques sur les tamis à 100 µm. Leur abondance augmente avec la diminution de leur taille : 100 % des échantillons issus des tamis de 100 µm contiennent des microplastiques contre 64 % pour les tamis 300 µm. La concentration moyenne est de 38 particules/m3 (34 fois plus importante que celle des particules de taille supérieure à 300 µm). Ceci peut notamment s’expliquer par une fragmentation plus rapide de certain type de plastique en très petites particules due à des processus à la fois biologiques, chimiques et physiques : l’abrasion, l’action des UV ou encore la biodégradation : « On s’y attendait, mais on avait peu d’idée sur le coefficient multiplicateur », confie Enora Prado. Y trouve-t-on plus de microplastiques primaires ou secondaires ? C’est difficile à dire dans l’état actuel des outils à disposition, mais au vu de la durée très longue de dégradation des macroplastiques, on peut estimer que ces échantillons très fins comportent principalement des primaires, c’est-à-dire issus du lavage des textiles en machine, à l’abrasion des pneus sur les routes et aux poussières des villes.
La différence entre l’Atlantique sud et l’Atlantique nord se confirme
Cette deuxième vague d’étude des eaux de surface au large confirme une véritable différence entre l’Atlantique Sud et l’Atlantique Nord. En effet, l’Atlantique Sud semble être légèrement moins contaminé par les microplastiques, ce qui soulève des questionnements au regard de la dynamique interne du gyre océanique subtropical (vers 30°S). Les prélèvements sur les filtres 30 µm ainsi que ceux de la dernière Transat Jacques Vabre entre le Havre et le Brésil, permettront de mieux cartographier la pollution microplastique de l’Atlantique Nord et d’affiner la différence de concentration entre le Sud et le Nord.
Comprendre les erreurs du passé et trouver les remèdes
Rappelons que ce projet d’envergure représente une opportunité sans précédent pour la communauté scientifique, collecter et analyser les microplastiques de différentes classes de taille, présents dans les eaux océaniques de surface pour lesquelles peu de données sont actuellement disponibles. Ce sont les négligences du passé qu’il s’agit de comprendre pour en définir les sources et entamer les actions correctives. Aujourd’hui la sensibilisation des citoyens à ne pas jeter les produits plastique dans la nature et le développement du recyclage à grand échelle sont des axes d’amélioration incontestables.
« Nous avons besoin de mieux quantifier et caractériser la pollution des eaux du large pour savoir d’où elle vient, mais aussi pour mieux évaluer le risque associé à cette pollution pour les écosystèmes marins océaniques », explique Jérôme Cachot. « Globalement, c’est un terrain de jeu relativement nouveau pour la communauté scientifique. Cartographier les eaux marines du large représente un challenge car cela couvre des aires géographiques immenses pour lesquelles on a très peu de données. L’objectif est de parvenir à une modélisation pour obtenir une dynamique de la pollution aux microparticules : le transport de ces particules, les sources de production et les zones d’accumulation. Comme on ne peut pas agir partout, en même temps, il est important d’identifier les principales sources de pollution pour savoir où agir en priorité. Cet état des lieux de la pollution océanique au large devrait permettre d’initier de nouvelles politiques et réglementations pour limiter ces sources de pollution. Puis de mesurer ensuite l’efficacité de ces politiques et en suivre l’évolution dans le temps ».