Principal composant des déchets marins, le plastique, charrié par les fleuves le plus souvent, arrive par millions de tonnes depuis des décennies dans l'océan. Histoire d'une submersion annoncée.
Une production exponentielle
Des chercheurs américains, dans la revue américaine Science Advances, ont évalué en 2017 que le monde avait produit 8,3 milliards de tonnes de plastique depuis 1950. Ce chiffre fait depuis référence dans les milieux scientifiques.
Jeroen Sonke, chercheur en géochimie de l'environnement au CNRS, a actualisé ces calculs pour arriver à 10 milliards de tonnes en 2023.
"Des incertitudes perdurent, tant les analyses des flux de plastiques sont difficiles à faire et les méthodes varient", explique-t-il, "mais nous avançons vers une convergence sur les ordres de grandeur".
Différents organismes s'accordent sur une production annuelle supérieure à 400 millions de tonnes, que ce soit l'organisation professionnelle du secteur Plastics Europe (413,8 millions en 2023) ou l'OCDE (435 millions en 2020).
L'Asie en produit 53% (dont 33,3% en Chine), l'Amérique du Nord, 17,1%, et l'Europe, 12,3%, détaille Plastics Europe.
Sans action, l'OCDE s'attend à un bond de 70% de la production annuelle d'ici 2040, à 736 millions de tonnes.
Une montagne de déchets
Seulement 31% du plastique produit depuis 1950 est encore utilisé, estime M. Sonke, qui souligne la déconnexion entre les bénéfices financiers et le coût écologique et sanitaire exponentiel engendré par les déchets.
"Nous pensons que les objets en plastique ne sont pas taxés à la hauteur des coûts écologiques et sociétaux qu'ils engendrent à chaque étape de leur cycle de vie", juge également Manon Richert, responsable de la communication de l'association environnementale Zero Waste France.
"Dans le monde, moins de 9% du plastique est actuellement recyclé, et nous n'aurons pas d'autre choix que de réduire la production plastique", abonde Marine Bonavita, chargée de plaidoyer chez Zero Waste France.
Pour Joseph Tayefeh, secrétaire général de Plastalliance The European Plastics Alliance représentant des plasturgistes français et européens, réduire le plastique est "une illusion", car c'est le "matériau de la croissance". Il appelle plutôt à réduire la pollution en interdisant notamment l'enfouissement des déchets et en s'occupant des pays qui n'ont même pas de système de collecte des poubelles.
Un raz-de-marée
14 millions de tonnes de déchets plastique finissent chaque année dans l'océan, via les fleuves surtout, portant le total à 263 millions, selon les dernières estimations de M. Sonke.
Globalement les plastiques représentent "75 à 85% des déchets marins", évalue auprès de l'AFP François Galgani, chercheur à l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), spécialiste des déchets marins et microplastiques.
"Les macrodéchets retrouvés sur les littoraux et en mer sont principalement constitués d'emballages alimentaires et plastiques à usage unique ; à cela s'ajoute selon les zones des déchets issus des activités maritimes (transport, pêche, aquaculture)", précise à l'AFP Ika Paul-Pont, écotoxicologue au laboratoire des sciences de l'environnement marin (Lemar) à Brest, directrice de recherche au CNRS.
"Le foyer principal est l'Asie du Sud-Est, en raison des concentrations de population près du littoral et le Pacifique Nord où trafic maritime et pêche sont importants", note M. Galgani.
Pour les microplastiques venus de la terre, poursuit-il, les sources les plus importantes sont les granulés plastiques industriels (GPI) qui servent de base à la fabrication des objets en plastique, et les abrasifs présents dans les produits d'hygiène et cosmétiques.
Mais, ajoute-t-il, dans l'eau il y a encore plus de microplastiques issus de la fragmentation inexorable de morceaux plus grands, sous l'effet des UV, du frottement des vagues ou des micro-organismes qui colonisent leur surface.
Portés par le courant ou le vent, le plastique est partout
Une fois dans l'océan ces plastiques se déplacent au gré des courants. Certains s'échoueront pour un temps sur des plages quand d'autres se rassembleront au coeur des grands tourbillons marins, appelés gyres. "C'est le même effet que dans un lavabo", illustre M. Galgani.
"Il y a aussi une dispersion des plus petites particules par les voies atmosphériques, ce qui explique leur arrivée dans les zones polaires", explique M. Sonke. Le plastique se dissémine ainsi partout de l'Arctique à l'Antarctique, de la surface aux abysses.