Histoires de phares à histoires : il ne s'est rien passé au Phare des Triagoz… Partie 2

Culture nautique
Par Jean-Yves Réguer

Plongée au cœur de la fascinante histoire du phare des Triagoz, ce récit nous invite à découvrir un lieu empreint de mystère et de solitude. Malgré son apparente tranquillité, ce phare situé au large de la côte bretonne cache des anecdotes captivantes et révèle une part méconnue de son rôle dans la vie maritime.

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Plongée au cœur de la fascinante histoire du phare des Triagoz, ce récit nous invite à découvrir un lieu empreint de mystère et de solitude. Malgré son apparente tranquillité, ce phare situé au large de la côte bretonne cache des anecdotes captivantes et révèle une part méconnue de son rôle dans la vie maritime.

Retrouvez la première partie de ce récit par ici !

« Faisons le tour du phare » suggère-t-elle en desserrant son étreinte.

Marie-Perrine a fait le ménage « en grand ». Le phare des Triagoz, le phare de son mari, son phare à elle, a été nettoyé du haut en bas, de la tourelle à la cuisine située à l’extérieur, sur le côté Est du préau près de la citerne où elle s’est lavée après avoir fait son travail.

« Je vais rester cette nuit et vous allez repartir sur le bateau, Marie-Perrine. »

- Je ne crois pas que ce soit la solution. Vous savez le faire marcher, le phare ?

- Pas très bien, mais vous allez me montrer…

- Une autre fois. Rentrez chez vous et envoyez-moi un gardien dès demain.

- Je ne peux pas vous laisser seule ici, Marie-Perrine…

- Votre chambre est prête, Monsieur l’Ingénieur.

La chambre de l’ingénieur existe dans la plupart des phares en mer. Celle des Triagoz est occupée par les époux Durand quand ils sont ensemble au phare avec leurs enfants. C’est l’administration qui avait insisté, par générosité sans doute, mais aussi parce que l’épouse du gardien est un auxiliaire précieux et bénévole. La femme de cette fin de siècle, femme d’ancien marin, sait tout faire : la cuisine, le ménage, l’entretien du mécanisme et la mise en route du phare.

Christian Quéméneur hésite. S’il laisse Marie-Perrine seule et désemparée au phare et qu’il arrive un incident, il en portera la responsabilité. En même temps, il serait plus efficace à Lézardrieux pour organiser dans la subdivision le remplacement de Jean-Marie Durand qui serait déjà revenu s’il ne s’était pas noyé…

Christian Quéméneur descend jusqu’au bateau, informe René Jaffrenou de sa décision et lui donne ses instructions :

- Je vais devoir rester cette nuit. Retournez à Lézardrieux dès maintenant. Job Le Tonquer ne doit pas être bien loin. Dites à l’ingénieur en chef d’envoyer Job ou un autre gardien ici dès demain matin.

- Bien, Monsieur l’Ingénieur. Je retourne à Lézardrieux et je dis à l’ingénieur en chef que vous attendez la relève demain matin.

Marie-Perrine a voulu rester par devoir et parce qu’elle ne veut pas renoncer à l’infime espoir que Jean-Marie réapparaisse à la faveur du flux ou du jusant, sur sa barque dont il aurait perdu les avirons, ou qui sait, transis de froid mais toujours vivant et accroché à une planche. Ce qu’on appelle une planche de salut... Elle ne sait même pas si elle y croit ou si elle n’y croit pas…Elle réfléchit aussi déjà à l’avenir sans lui et pour faire vivre sa famille, elle se verrait bien à son tour gardienne de phare. Elle veut en parler à l’ingénieur, dès ce soir. Et en même temps, comme si elle n’avait pas assez de tourments, elle ressent des pulsions sexuelles. Elle a honte un peu, et se demande si elle ne devient pas folle…

Quand Christian Quéméneur rejoint Marie-Perrine dans la cuisine, la soupe est sur le feu, le couvert est mis.

« Votre souper est prêt, Monsieur l’Ingénieur,

- Je ne sais pas si je dois accepter…

- Vous êtes chez vous…

- Pas vraiment. Je suis plutôt chez vous Marie-Perrine. Chez vous et votre mari…

- Je suis inquiète, vous savez. Pire, je n’y crois pas à son retour. Vous savez bien qu’il n’est pas du genre à quitter son phare. Il lui est arrivé malheur, j’ai bien peur. Si c’était le cas, Monsieur l’Ingénieur, je souhaiterais que vous donniez un phare. Pas les Triagoz, parce que

- J’ai cinq enfants, mais un phare à terre. S’il y a…

- Je comprends Marie-Perrine. Soyez confiante, votre mari va revenir, il faut continuer d’espérer. Maintenant, je pense à quelque chose pour vous. Le gardien du Phare de Ploumanach n’est plus tout jeune et a des soucis de santé. Ce n’est pas bien loin de chez vous. Vous pourriez même vous y installer avec vos enfants… Vous nous dépanneriez bien !

- Je suis votre homme, Monsieur l’Ingénieur ! conclut Marie-Perrine qui dans ses tourments trouvait quand même un peu d’humour…

A l’époque, l’administration des Ponts et chaussées dont dépendent les Phares et Balises rencontre bien des difficultés dans le recrutement des gardiens de phare. Des problèmes de compétence car il faut un minimum d’instruction pour comprendre le fonctionnement des appareils. Pour rédiger des rapports, il faut aussi une connaissance suffisante de la langue française, ce qui n’est pas donné à tous les marins parmi lesquels sont recrutés les gardiens de phares de Bretagne, d’Occitanie ou de Corse. Les Phares et Balises sont aussi confrontés à des problèmes de comportement. Dans les phares en mer, les gardiens sont livrés à eux-mêmes. A eux-mêmes et à la boisson. Pas tous, mais il faudrait qu’il n’y en ait aucun… La profession est réservée aux hommes, mais préférence est donnée à ceux qui sont mariés et qui seront suivis par leur épouse quelle que soit leur affectation. Jean-Marie Durand a le profil du poste. C’est un homme intelligent, consciencieux et sobre. Bien sûr, il s’adonne à la pêche pendant ses heures de présence au phare ce que n’aime pas beaucoup l’administration, mais il est assisté le plus souvent par son épouse Marie-Perrine qui maitrise parfaitement le fonctionnement des phares où elle a suivi son mari. Elle est allée à l’école jusqu’à ses 14 ans et à quelques expressions bretonnes près, elle s’exprime dans un très bon français. Dans un phare, l’épouse apprend vite à suppléer son mari, elle empêche le gardien de se morfondre, elle l’empêche de boire aussi, elle fait le ménage, au besoin astique les cuivres et étale la peinture. Sans la moindre rémunération. Pour l’administration, ça n’a pas de prix…


« On y va, si vous voulez, Monsieur l’Ingénieur… »

Leur repas expédié, il fait encore jour. Marie-Perrine a débarrassé la table sans que Christian ne bouge. En 1886, un homme de son rang ne s’abaisse pas à assister une femme dans les travaux ménagers. Marie-Perrine s’est dirigée vers l’escalier en hélice qui monte jusqu’à la lanterne. Christian Quéméneur la suivait. C’est bien elle la maîtresse des lieux, même si c’est lui le patron. Marie-Perrine a attendu le moment où Christian tournait la tête et a glissé sa main en un instant pour descendre jusqu’au genou sa jarretelle pour y coincer le bas de sa robe. Un côté. Puis l’autre… Christian a bien compris qu’elle faisait cela pour ne pas marcher sur les ourlets dans l’interminable montée des marches, mais l’éclair de chair blanche qu’il a entrevu deux fois en rajoute au trouble dont il n’arrive pas à se débarrasser depuis qu’il a vu Marie-Perrine entièrement nue.

Dans la lanterne, Marie-Perrine montre son savoir-faire. Elle verse l’huile de pétrole dans la cuve, craque une allumette, remonte les poids et lance le mécanisme qui va faire tourner la lanterne jusqu’à l’aurore. « Il va faire jour de bonne heure. Pas la peine d’en mettre trop… » En bonne gestionnaire des deniers de l’Etat… L’ingénieur la regarde faire, observe chacun de ses gestes pour apprendre déjà, et pour évaluer celle qu’il est sur le point d’embaucher. Il y a peu de place autour de la lanterne. Christian Quéméneur ne sait pas trop où se mettre pour ne pas gêner l’opératrice. Marie-Perrine frotte les murs pour ne pas frôler Christian mais elle le frôle quand même et observe, confuse, qu’il est dans le même état que lorsqu’il est arrivé au phare fin d’après-midi…

- Voilà Monsieur l’Ingénieur. C’est parti pour la nuit. Les premières étoiles apparaissent.

- Allez vous reposer, Marie-Perrine. Vous avez votre bébé. Merci pour ce que vous faites. Je vais rester dans la chambre de veille.

- N’hésitez pas à venir me chercher en cas de problème. Je vous relaie quand vous voulez.

Marie-Perrine descend pour d’abord allaiter son bébé, le laver, le changer, jouer quelques instants avec lui. Il s’endort sans tarder. Marie-Perrine se couche dans des draps frais. Se sent propre, se sent femme aussi. Femme angoissée, mais femme à la hauteur de ce que sa famille, ses employeurs, son mari attendent d’elle. Son mari ? Est-il au moins vivant ? Elle ne sait même pas si elle y croit. Elle pense aux étreintes qu’ils avaient dans ce lit clos, elle ne peut pas s’empêcher de penser à l’état dans lequel elle a mis et laissé Christian Quéméneur. Alors elle s’est mise à pleurer. Elle a ouvert sa chemise de nuit et s’est léché les aisselles. Marie-Perrine se sent submergée et comme elle se connait bien, elle glisse un lange entre ses cuisses pour ne pas maculer les draps, se caresse et s’abandonne aux spasmes que réclamait son corps sain pour venir au secours de son esprit meurtri. Honteuse, mais soulagée, elle s’est endormie.

° ° °

Job Le Tonquer a mené la barque jusqu’à Ploumanach où il est arrivé porté par le courant du flot en début d’après-midi. Il est allé à la Poste télégraphier aux Phares et Balises. Pour ne pas l’accabler, le préposé à qui il raconte l’histoire se garde du moindre reproche. Mais il a compris qu’il aurait dû rester au phare et que de rejoindre la côte aux avirons était une mauvaise décision.

La réponse des Phares et Balises ne tarde pas : « Rejoindre Lézardrieux immédiatement. Stop. Le bateau te conduira au phare pour relève de l’ingénieur. Stop. »

Job s’est fait prêter un cheval et est arrivé dans la soirée aux Phares et Balises à Lézardrieux. Le bateau est parti au petit matin.

° ° °

Christian Quéméneur a quitté la chambre de veille dès l’aurore. Pendant la courte nuit, il a somnolé, préoccupé par la probable disparition d’un gardien-chef et toujours tourmenté par l’image de Marie-Perrine. Il est allé faire une toilette complète à l’endroit même où Marie-Perrine lui avait sans qu’elle s’en doute, dévoilé sa nudité. Il s’est aspergé d’eau froide mais rien n’y a fait. Le trouble qu’elle lui avait occasionné Marie-Perrine ne s’apaisait pas… Marie-Perrine, réveillée tôt par son bébé a entendu Quéméneur se laver près de la citerne. Elle a été tentée d’aller jeter un regard discret. Elle s’est retenue et ça a été pire car son imagination a pris le dessus…

° ° °

La fin... à venir

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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