
À quelques centaines de milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes, la Lune exerce une force infime... mais suffisante pour faire monter et descendre des milliards de tonnes d’eau, sculpter des baies, accélérer des courants à plus de 10 nœuds et décider si une quille passera - ou non - sur le seuil d’un port. De la baie de Fundy, où le marnage atteint jusqu’à 16 m, au Mont-Saint-Michel, qui voit la mer reculer sur plusieurs kilomètres avant de revenir à toute vitesse, c’est bien la mécanique lunaire qui impose le tempo.
Pour nous, plaisancier, comprendre l’impact de la Lune sur les océans et les marées ne relève pas de la poésie, mais de la sécurité et du plaisir de naviguer.
Une force minuscule... qui déplace des océans entiers
Physiquement, la marée est la conséquence d’un équilibre subtil entre l’attraction gravitationnelle de la Lune et du Soleil, les forces d’inertie liées au mouvement du système Terre-Lune et la rotation de la Terre sur elle-même. Ce mécanisme, bien connu des océanographes, a une traduction très concrète sur la carte marine : une oscillation régulière du niveau de la mer, deux fois par jour dans la plupart des régions, que les navigateurs surveillent de près.
Contrairement à une intuition répandue, ce n’est pas le Soleil, pourtant plus massif, qui domine les marées. Sa distance réduit fortement son effet de « force de marée ». Les mesures montrent que l’influence de la Lune est environ deux fois plus forte que celle du Soleil. C’est pour cela que l’océan « suit » d’abord la Lune et que les horaires de marée se décalent d’environ 50 minutes chaque jour, comme le lever de notre satellite.
Bien que cette force reste infinitésimale, appliquée à des bassins océaniques entiers, elle produit des effets spectaculaires : marnage de quelques dizaines de centimètres en Méditerranée, plus de 14 m en Manche, jusqu’à 16 m au Canada.
La Lune fournit ainsi l’impulsion astronomique, mais la géographie locale amplifie ou atténue le signal : forme des côtes, bathymétrie, résonance d’un bassin ou étranglement d’une passe.
Vives-eaux, mortes-eaux : ce que la Lune change concrètement pour la croisière
Pour le plaisancier, la première traduction de cette dynamique est l’alternance vives-eaux / mortes-eaux. Lorsqu’en nouvelle lune ou en pleine lune la Terre, la Lune et le Soleil sont alignés, les marées sont plus fortes : ce sont les vives-eaux. Lors des quartiers, les forces se compensent partiellement : ce sont les mortes-eaux.
Sur les côtes françaises de l’Atlantique et de la Manche, cette alternance se lit grâce au coefficient de marée, de 20 à 120. En dessous de 70, on parle de mortes-eaux ; au-dessus, de vives-eaux, avec des « grandes marées » particulièrement spectaculaires lorsque les coefficients dépassent 100.
En vives-eaux, le marnage augmente : les hauteurs d’eau en pleine mer sont plus élevées et les basses mers plus basses. Un chenal accessible en mortes-eaux peut devenir impraticable lorsque le coefficient grimpe. À l’inverse, une grande marée peut offrir suffisamment d’eau pour franchir un seuil ou remonter une rivière.
Plus le marnage augmente, plus les courants de marée s’intensifient. Raz, passes ou estuaires deviennent de véritables accélérateurs que l’on ne traverse qu’en choisissant soigneusement son horaire.
Les courants de marée : le tapis roulant lunaire des navigateurs
Pour de nombreux navigateurs, l’impact le plus tangible de la Lune n’est pas vertical mais horizontal. Les courants de marée, liés à la variation du niveau de la mer, deviennent particulièrement sensibles dans les zones resserrées.
Raz de Sein, Raz Blanchard, Fromveur ou golfe du Morbihan : les vitesses de courant y atteignent régulièrement plusieurs nœuds, parfois plus de 10 à 12 nœuds lors de grandes marées. Aucun voilier de croisière ne peut remonter un tel flot.
Partir avec le courant portant, viser l’étale pour passer un raz, éviter le vent contre le courant... Dans ces régions, la Lune impose une véritable stratégie de navigation.
En Méditerranée, le signal de marée est plus discret, mais il existe. Quelques dizaines de centimètres de variation peuvent suffire à rendre une passe délicate ou à modifier l’accès à certains ports... Les hauteurs d’eau restent un paramètre à surveiller, surtout lorsque vent, houle et chocs de pression atmosphérique s’y ajoutent.

Pleine lune : nuits magiques, marées extrêmes
Naviguer par pleine lune fait partie des plaisirs rares de la croisière. La lumière argentée adoucit la nuit, souligne le relief côtier, améliore les repères visuels et rend la veille plus confortable.
Mais cette magie a une contrepartie : la pleine lune correspond à un maximum de marée. Les grandes marées d’équinoxe peuvent ainsi dépasser 110 de coefficient, avec des marnages de plus de 14 m au Mont-Saint-Michel.
Au mouillage, la variation de hauteur d’eau devient considérable : l’ancre travaille davantage, le rayon d’évitage demande une surveillance accrue, et le courant peut devenir sensible. À l’entrée d’une rivière, la rencontre d’un fort jusant et d’une houle résiduelle peut créer une barre dangereuse.
Beaucoup de plaisanciers profitent pourtant de ces fenêtres de vives-eaux pour accéder à des ports d’échouage, remonter des estuaires ou découvrir des zones habituellement impraticables. À l’inverse, les mortes-eaux offrent des courants plus doux, parfaits pour l’apprentissage dans les zones macrotidales.
Quand la Lune rallonge les jours... et amplifie les effets du climat
À très long terme, les forces de marée exercent une friction sur la Terre qui ralentit lentement sa rotation : la durée du jour augmente d’environ 2 millisecondes par siècle, tandis que la Lune s’éloigne d’environ 4 cm par an.
À l’échelle d’une vie de navigateur, ces variations n’ont aucune conséquence pratique. La hausse du niveau moyen de la mer (lié au dérèglement climatique), en revanche, change déjà la manière dont les marées interagissent avec nos côtes. Depuis la fin du XIXe siècle, le niveau des océans a augmenté d’environ 20 cm et continue de monter à un rythme accéléré.
Une grande marée de coefficient 110 dans plusieurs dizaines d’années se produira donc sur un niveau moyen plus élevé, augmentant les risques de débordement et de submersion lors des coups de vent.
Pour la plaisance, cela signifie que marées, surcotes et météo devront être observées ensemble, avec d’autant plus de rigueur.
Lire la Lune avant d’appareiller : un réflexe de navigateur
Au final, lire la Lune n’est pas un exercice poétique : c’est un outil de navigation.
Observer la phase indique immédiatement si l’on se dirige vers des vives-eaux ou des mortes-eaux. Les annuaires de marées et services spécialisés permettent ensuite d’anticiper hauteurs d’eau, courants et créneaux d’appareillage.
En Méditerranée, quelques centimètres peuvent suffire à compliquer l’accès à un port à seuil. En Atlantique et en Manche, les marées dictent l’essentiel du rythme : départs calés sur le courant portant, calcul précis de la hauteur d’eau, gestion des mouillages à fort marnage.
La Lune n’est pas un simple décor nocturne : elle façonne, cycle après cycle, le terrain de jeu des navigateurs. La comprendre, c’est améliorer chaque décision en mer.
Et avant de partir en mer, ayez les bons réflexes en consultant la météo sur METEO CONSULT Marine et en téléchargeant l'application mobile gratuite Bloc Marine.
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