La lune : quel est cet astre qui commande vraiment la navigation ?

Culture nautique
Par Virginie Lepoutre

Invisible mais toute-puissante, la Lune dicte chaque jour le rythme des océans. Marnage, courants, seuils de ports, navigations de nuit et grandes marées : son influence façonne directement la vie des navigateurs depuis toujours. Comprendre cette mécanique astronomique, c’est gagner en sécurité, en confort et en liberté en mer. Voici comment l’astre nocturne redessine notre terrain de jeu à chaque cycle.

Invisible mais toute-puissante, la Lune dicte chaque jour le rythme des océans. Marnage, courants, seuils de ports, navigations de nuit et grandes marées : son influence façonne directement la vie des navigateurs depuis toujours. Comprendre cette mécanique astronomique, c’est gagner en sécurité, en confort et en liberté en mer. Voici comment l’astre nocturne redessine notre terrain de jeu à chaque cycle.
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À quelques centaines de milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes, la Lune exerce une force infime... mais suffisante pour faire monter et descendre des milliards de tonnes d’eau, sculpter des baies, accélérer des courants à plus de 10 nœuds et décider si une quille passera - ou non - sur le seuil d’un port. De la baie de Fundy, où le marnage atteint jusqu’à 16 m, au Mont-Saint-Michel, qui voit la mer reculer sur plusieurs kilomètres avant de revenir à toute vitesse, c’est bien la mécanique lunaire qui impose le tempo.
Pour nous, plaisancier, comprendre l’impact de la Lune sur les océans et les marées ne relève pas de la poésie, mais de la sécurité et du plaisir de naviguer.


Une force minuscule... qui déplace des océans entiers

Physiquement, la marée est la conséquence d’un équilibre subtil entre l’attraction gravitationnelle de la Lune et du Soleil, les forces d’inertie liées au mouvement du système Terre-Lune et la rotation de la Terre sur elle-même. Ce mécanisme, bien connu des océanographes, a une traduction très concrète sur la carte marine : une oscillation régulière du niveau de la mer, deux fois par jour dans la plupart des régions, que les navigateurs surveillent de près.
Contrairement à une intuition répandue, ce n’est pas le Soleil, pourtant plus massif, qui domine les marées. Sa distance réduit fortement son effet de « force de marée ». Les mesures montrent que l’influence de la Lune est environ deux fois plus forte que celle du Soleil. C’est pour cela que l’océan « suit » d’abord la Lune et que les horaires de marée se décalent d’environ 50 minutes chaque jour, comme le lever de notre satellite.
Bien que cette force reste infinitésimale, appliquée à des bassins océaniques entiers, elle produit des effets spectaculaires : marnage de quelques dizaines de centimètres en Méditerranée, plus de 14 m en Manche, jusqu’à 16 m au Canada.
La Lune fournit ainsi l’impulsion astronomique, mais la géographie locale amplifie ou atténue le signal : forme des côtes, bathymétrie, résonance d’un bassin ou étranglement d’une passe.


Vives-eaux, mortes-eaux : ce que la Lune change concrètement pour la croisière

Pour le plaisancier, la première traduction de cette dynamique est l’alternance vives-eaux / mortes-eaux. Lorsqu’en nouvelle lune ou en pleine lune la Terre, la Lune et le Soleil sont alignés, les marées sont plus fortes : ce sont les vives-eaux. Lors des quartiers, les forces se compensent partiellement : ce sont les mortes-eaux.
Sur les côtes françaises de l’Atlantique et de la Manche, cette alternance se lit grâce au coefficient de marée, de 20 à 120. En dessous de 70, on parle de mortes-eaux ; au-dessus, de vives-eaux, avec des « grandes marées » particulièrement spectaculaires lorsque les coefficients dépassent 100.
En vives-eaux, le marnage augmente : les hauteurs d’eau en pleine mer sont plus élevées et les basses mers plus basses. Un chenal accessible en mortes-eaux peut devenir impraticable lorsque le coefficient grimpe. À l’inverse, une grande marée peut offrir suffisamment d’eau pour franchir un seuil ou remonter une rivière.
Plus le marnage augmente, plus les courants de marée s’intensifient. Raz, passes ou estuaires deviennent de véritables accélérateurs que l’on ne traverse qu’en choisissant soigneusement son horaire.


Les courants de marée : le tapis roulant lunaire des navigateurs

Pour de nombreux navigateurs, l’impact le plus tangible de la Lune n’est pas vertical mais horizontal. Les courants de marée, liés à la variation du niveau de la mer, deviennent particulièrement sensibles dans les zones resserrées.
Raz de Sein, Raz Blanchard, Fromveur ou golfe du Morbihan : les vitesses de courant y atteignent régulièrement plusieurs nœuds, parfois plus de 10 à 12 nœuds lors de grandes marées. Aucun voilier de croisière ne peut remonter un tel flot.
Partir avec le courant portant, viser l’étale pour passer un raz, éviter le vent contre le courant... Dans ces régions, la Lune impose une véritable stratégie de navigation.
En Méditerranée, le signal de marée est plus discret, mais il existe. Quelques dizaines de centimètres de variation peuvent suffire à rendre une passe délicate ou à modifier l’accès à certains ports... Les hauteurs d’eau restent un paramètre à surveiller, surtout lorsque vent, houle et chocs de pression atmosphérique s’y ajoutent.

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Pleine lune : nuits magiques, marées extrêmes

Naviguer par pleine lune fait partie des plaisirs rares de la croisière. La lumière argentée adoucit la nuit, souligne le relief côtier, améliore les repères visuels et rend la veille plus confortable.
Mais cette magie a une contrepartie : la pleine lune correspond à un maximum de marée. Les grandes marées d’équinoxe peuvent ainsi dépasser 110 de coefficient, avec des marnages de plus de 14 m au Mont-Saint-Michel.
Au mouillage, la variation de hauteur d’eau devient considérable : l’ancre travaille davantage, le rayon d’évitage demande une surveillance accrue, et le courant peut devenir sensible. À l’entrée d’une rivière, la rencontre d’un fort jusant et d’une houle résiduelle peut créer une barre dangereuse.
Beaucoup de plaisanciers profitent pourtant de ces fenêtres de vives-eaux pour accéder à des ports d’échouage, remonter des estuaires ou découvrir des zones habituellement impraticables. À l’inverse, les mortes-eaux offrent des courants plus doux, parfaits pour l’apprentissage dans les zones macrotidales.


Quand la Lune rallonge les jours... et amplifie les effets du climat

À très long terme, les forces de marée exercent une friction sur la Terre qui ralentit lentement sa rotation : la durée du jour augmente d’environ 2 millisecondes par siècle, tandis que la Lune s’éloigne d’environ 4 cm par an.
À l’échelle d’une vie de navigateur, ces variations n’ont aucune conséquence pratique. La hausse du niveau moyen de la mer (lié au dérèglement climatique), en revanche, change déjà la manière dont les marées interagissent avec nos côtes. Depuis la fin du XIXe siècle, le niveau des océans a augmenté d’environ 20 cm et continue de monter à un rythme accéléré.
Une grande marée de coefficient 110 dans plusieurs dizaines d’années se produira donc sur un niveau moyen plus élevé, augmentant les risques de débordement et de submersion lors des coups de vent.
Pour la plaisance, cela signifie que marées, surcotes et météo devront être observées ensemble, avec d’autant plus de rigueur.


Lire la Lune avant d’appareiller : un réflexe de navigateur

Au final, lire la Lune n’est pas un exercice poétique : c’est un outil de navigation.
Observer la phase indique immédiatement si l’on se dirige vers des vives-eaux ou des mortes-eaux. Les annuaires de marées et services spécialisés permettent ensuite d’anticiper hauteurs d’eau, courants et créneaux d’appareillage.
En Méditerranée, quelques centimètres peuvent suffire à compliquer l’accès à un port à seuil. En Atlantique et en Manche, les marées dictent l’essentiel du rythme : départs calés sur le courant portant, calcul précis de la hauteur d’eau, gestion des mouillages à fort marnage.
La Lune n’est pas un simple décor nocturne : elle façonne, cycle après cycle, le terrain de jeu des navigateurs. La comprendre, c’est améliorer chaque décision en mer.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...
Irwin Sonigo
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Irwin Sonigo
Capitaine 200 et ancien embarqué dans la Marine nationale, Irwin Sonigo a exploré toutes les facettes de la navigation. Des premiers bords sur un cotre aurique de 1932 à la grande plaisance sur la Côte d’Azur, en passant par les catamarans de Polynésie, les voiliers des Antilles ou plusieurs transatlantiques, il a tout expérimenté. Il participe à la construction d’Open 60 en Nouvelle-Zélande et embarque comme boat pilote lors de la 32e America’s Cup. Aujourd’hui, il met cette riche expérience au service de Figaro Nautisme, où il signe des essais et reportages ancrés dans le réel.