Sur un bateau comme on cause : l'ancre ne se jette pas

Culture nautique
Par Jean-Yves Réguer

Pour prendre un ancrage qui est une expression correcte mais désuète, on ne doit pas dire jeter l’ancre. On doit dire « mouiller ». Mouiller l’ancre ? Non, mouiller tout simplement.

Pour prendre un ancrage qui est une expression correcte mais désuète, on ne doit pas dire jeter l’ancre. On doit dire « mouiller ». Mouiller l’ancre ? Non, mouiller tout simplement.

Jeter l’ancre a deux significations et quelques écrivains qui sont des références ont employé l’expression.

Ainsi toujours poussés vers de nouveaux rivages

Dans la nuit éternelle emportés sans retour,

Ne pourrons-nous jamais sur l’océan des âges,

Jeter l’ancre un seul jour ?

Dans ce poème, Anatole France, académicien et référence incontestée, utilise pourtant l’expression. Mais au sens figuré quand on lit bien… Jeter l’ancre c’est se poser, s’arrêter à un endroit pour un temps déterminé et plutôt long. Au sens propre, on peut l’accepter mais seulement quand on a l’intention de rester longtemps sur le point d’ancrage.

Jeter l’ancre, cela se faisait du temps de la marine à voiles, mais c’était tout à fait autre chose.

Quand un bateau risquait de se perdre sur les écueils à cause du vent, du courant, ou des deux, le commandant se résignait à donner l’ordre de couper l’ancre - en fait la chaine - puis de jeter l’ancre pour gagner du poids et donc de la vitesse ou de la manœuvrabilité. Quelquefois, c’était la cargaison qu’il fallait jeter par-dessus bord, mais c’était moins facile. Il arrive aussi, par mauvais temps, que la cargaison pontée parte toute seule. Ainsi, jadis et aujourd’hui, des conteneurs, des troncs d’arbre et autres OFNI dérivent ainsi sur les océans… D’autres coulent, comme les ancres que l’on jetait du temps de la marine à voiles. Ancre ou cargaison, le « jet à la mer » est une opération réglementée depuis longtemps et qui doit faire l’objet d’un procès-verbal en bonne et due forme.

Depuis que les bateaux sont propulsés par des machines puissantes, plus besoin de se débarrasser de l’ancre pour gagner du poids. On ne jette plus l’ancre au sens propre du terme. Et l’expression a été chassée définitivement du vocabulaire marin avec l’apparition des navires à bulbe, au milieu des années 60. Quel rapport ?

Le bulbe permet de gagner de la vitesse et d’économiser du carburant. Mais sur ces navires, quand l’ancre ne descendait pas bien parallèle à l’étrave, elle touchait le bulbe et lui occasionnait une bosse ! En 1966, l’Ivolina, un cargo frigorifique dernier cri construit pour la NCHP, un des tout premiers navires de commerce équipé d’un bulbe, effectue son premier voyage pour charger des bananes à Madagascar. En rade de Nosy Bé, le commandant décide de mouiller en attendant les chalands. Tout est automatisé de la passerelle. Aux manettes, le lieutenant laisse filer l’ancre. Mais personne n’avait remarqué que l’écubier étant à la verticale de la partie la plus large du bulbe, l’ancre allait au pire lui tomber dessus, au mieux le raguer au passage. « Trois maillons à l’eau ! » rend compte le lieutenant comme si rien ne s’était passé. Gueulante du commandant qui a bien vu, entendu et compris l’incident : « Mais vous avez jeté l’ancre comme un malpropre, nom de D…» « Jeter l’ancre , c’est la balancer à l’eau comme si on s’en débarrassait et ce n’est pas comme ça qu’on doit faire ! Fallait la laisser toucher l’eau, faire arrière lente et prendre un peu d’erre pour qu’elle s’écarte du bulbe. Répétez ce que je viens de dire !»

Comme c’est arrivé à d’autres sur des bateaux de la marine marchande ou de la Royale, les bateaux suivants ont été construits avec un écubier d’ancre installé plus en arrière de l’étrave. On peut ainsi mouiller sans que l’ancre ne vienne toucher le bulbe même si elle fait un quart de tour sur son émerillon.

Et une fois pour toutes, on ne doit pas jeter l’ancre. Une ancre, ce n’est ni un mouchoir ni un fardeau...

Maintenant, si vous dites « Nous avons jeté l’ancre aux Sept-Iles » ou ailleurs, c’est clair pour le monde. On a compris. De nos jours, on ne se débarrasse plus de l’ancre pour alléger le bateau.

Dans les criques abritées et accueillantes du littoral, on essaie de mouiller avec précautions pour que l’ancre chasse le moins possible et ne laboure pas les fonds que les plaisanciers doivent préserver… Les autres marins aussi, mais c’est une autre histoire.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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