Le sabordage : de l’auto-destruction à la préservation des récifs artificiels

Plongée
Par Figaronautisme.com

Pendant des siècles, le sabordage a été un acte de guerre, un choix stratégique souvent désespéré pour éviter qu’un navire ne tombe aux mains de l’ennemi. Mais aujourd’hui, cette pratique a trouvé une nouvelle vocation, bien plus pacifique et surprenante : la création de récifs artificiels. Loin de son image de destruction, le sabordage contrôlé de navires en fin de vie est devenu un outil de préservation marine, favorisant la biodiversité et boostant le tourisme sous-marin.

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Pendant des siècles, le sabordage a été un acte de guerre, un choix stratégique souvent désespéré pour éviter qu’un navire ne tombe aux mains de l’ennemi. Mais aujourd’hui, cette pratique a trouvé une nouvelle vocation, bien plus pacifique et surprenante : la création de récifs artificiels. Loin de son image de destruction, le sabordage contrôlé de navires en fin de vie est devenu un outil de préservation marine, favorisant la biodiversité et boostant le tourisme sous-marin.

Pourtant, cette approche ne fait pas l’unanimité et pose d’importantes questions écologiques. Entre opportunité environnementale et dérives potentielles, comment s’assurer que ces épaves volontairement coulées deviennent réellement des sanctuaires marins et non de nouvelles sources de pollution ?

D’un geste militaire à une stratégie écologique
Historiquement, saborder un navire était un ultime recours pour empêcher sa capture. La flotte française de Toulon, en 1942, en est un exemple marquant : plus de 70 navires ont été coulés par leur propre équipage pour ne pas tomber aux mains des Allemands. De nombreux autres épisodes de l’Histoire maritime témoignent de ces naufrages volontaires, souvent synonymes de pertes humaines et de drames stratégiques.
Mais dans les années 1970, les scientifiques et les plongeurs ont commencé à voir ces épaves d’un autre œil. Dans certaines régions, des épaves anciennes, coulées accidentellement, s’étaient transformées en refuges pour la faune et la flore sous-marines. Pourquoi ne pas reproduire volontairement ce phénomène naturel ? Ainsi est née l’idée d’immerger des navires pour recréer des habitats artificiels et soutenir la biodiversité.
L’un des premiers cas emblématiques remonte aux États-Unis, où la Floride a initié des programmes de récifs artificiels dans les années 1980. L’État a commencé par couler des barges et des petits bateaux, avant de passer à des unités plus imposantes, comme l’USS Oriskany, un porte-avions de 275 mètres de long sabordé en 2006. Ce géant de métal repose aujourd’hui à 64 mètres de profondeur et attire non seulement une faune variée, mais aussi des milliers de plongeurs chaque année.

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Quand les épaves deviennent des oasis sous-marines
Les épaves immergées volontairement sont rapidement colonisées par la vie marine. Coraux, éponges, crustacés et poissons tropicaux y trouvent refuge. En l’absence de récifs naturels suffisants, ces structures métalliques offrent des surfaces idéales pour l’implantation des organismes marins.
Un cas récent en Méditerranée illustre bien ce phénomène : en 2019, le patrouilleur P-31, un ancien navire de la marine maltaise, a été coulé au large de l’île de Comino. Deux ans seulement après son immersion, des biologistes marins ont constaté une explosion de vie autour de l’épave : mérous, murènes, bancs de sars et même des raies y ont trouvé un habitat. L’attrait pour les plongeurs a été immédiat, faisant de cette immersion un succès à la fois écologique et touristique.
Dans d’autres régions du monde, des expériences similaires ont été menées avec d’anciens cargos, des ferries ou même des bus et des tanks. Au Japon, des wagons de train ont été immergés pour servir de récifs, tandis qu’en Australie, un projet de grande ampleur a vu le sabordage d’un ancien destroyer, le HMAS Brisbane, qui est devenu un sanctuaire pour les tortues et les requins de récif.

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Une préparation méticuleuse pour éviter la catastrophe
Si ces initiatives sont porteuses d’espoir, elles nécessitent une planification rigoureuse. Immerger un navire ne se fait pas à la légère : avant d’être coulé, chaque bateau doit être intégralement dépollué pour éviter toute contamination marine.
Les hydrocarbures, les peintures toxiques, les matériaux plastiques et l’amiante doivent être retirés. Un désamiantage complet peut coûter plusieurs centaines de milliers d’euros, un budget qui peut dissuader certaines structures d’opter pour cette solution. De plus, la localisation du sabordage est cruciale : il faut s’assurer que l’épave ne perturbe pas les courants marins ni ne menace des écosystèmes fragiles déjà existants.
En France, les réglementations sont strictes. La convention de Londres de 1972 sur la prévention de la pollution des mers impose un encadrement rigoureux de ces opérations. Pourtant, certaines ONG restent sceptiques. Pour elles, il existe un risque que ces immersions deviennent un prétexte économique pour éviter des démantèlements coûteux à terre, transformant potentiellement les océans en cimetières de métal incontrôlés.

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Entre atout touristique et menaces environnementales
Les récifs artificiels générés par ces épaves attirent les plongeurs du monde entier. À Key West, en Floride, l’USS Oriskany génère à lui seul plusieurs millions de dollars de revenus annuels grâce aux excursions sous-marines. En Méditerranée, l’immersion d’épaves contribue à diversifier l’offre touristique, attirant un public de passionnés tout en désengorgeant les récifs naturels déjà fragilisés par la surfréquentation.
Mais cette attractivité peut avoir un revers : trop de visiteurs sur une même épave accélère sa détérioration et peut perturber l’équilibre fragile de son écosystème. En Australie, des chercheurs ont observé que sur certains sites de plongée, la concentration de plongeurs pouvait stresser la faune locale et altérer la croissance des coraux fixés sur les épaves.
D’où la nécessité d’une gestion rigoureuse : quotas de plongée, suivi scientifique régulier, et interdiction de certaines pratiques comme le nourrissage artificiel des poissons. Certaines associations militent aussi pour des sabordages encadrés par des biologistes, qui pourraient déterminer les meilleurs emplacements et anticiper les effets à long terme.

Un avenir sous condition
L’immersion de navires en fin de vie offre une opportunité unique pour les océans, mais elle ne doit pas devenir une solution de facilité. Bien préparées et bien encadrées, ces épaves peuvent devenir des refuges pour la biodiversité et dynamiser les économies locales. Mais mal gérées, elles risquent de se transformer en nouvelles sources de pollution.
À l’heure où les océans subissent les assauts du changement climatique et de la surpêche, ces récifs artificiels pourraient jouer un rôle clé dans la préservation des écosystèmes marins. La clé du succès repose sur une approche scientifique rigoureuse et une volonté politique forte pour éviter toute dérive.
Alors, le sabordage peut-il réellement être synonyme de renaissance ? Si l’histoire nous a appris qu’il était autrefois un acte de destruction, l’avenir pourrait bien prouver qu’il peut aussi être un geste de préservation. Mais à condition que chaque immersion soit pensée non comme une simple solution de recyclage, mais comme un véritable projet de restauration écologique.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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