
Héritages marins : quand la tradition devient style
Difficile de passer à côté de la marinière. Issue des uniformes de la Marine nationale, elle a été propulsée sur les podiums dès les années 80 par Jean Paul Gaultier, qui en a fait sa signature. Elle revient régulièrement dans les défilés, chez Chloé ou Dior, souvent stylisée avec des volumes modernes ou des matières satinées. Chez Chanel, elle prend parfois la forme d’un haut drapé associé à des perles, comme un clin d’oeil chic au bord de mer.
Mais cette pièce iconique ne reste pas cantonnée aux maisons de luxe. Elle se décline aussi chez Petit Bateau, Armor Lux, Uniqlo ou Sézane, et traverse les styles : citadine, rétro, minimaliste.
Autre incontournable du vestiaire marin : le caban, popularisé par Yves Saint Laurent dans les années 60, remis en lumière par Celine sous Hedi Slimane. Longtemps associé à la rigueur militaire, il est aujourd’hui revisité en version oversize ou ceinturée dans les collections de COS, A.P.C. ou même Zara.
Le pantalon à pont, avec ses boutons latéraux et sa taille haute, refait surface dans les défilés, notamment chez Jacquemus, tout en s'invitant chez Sessùn ou Mango. Le ciré jaune, autrefois purement fonctionnel, devient pièce mode, avec des coupes épurées chez Rains ou colorées chez Faguo.
Et les bottes de pêche ? Elles quittent le pont pour le pavé, portées en look urbain par les modeuses. Miu Miu, Prada ou Bottega Veneta les ont hissées au rang de « statement ». Mais des marques comme Aigle, Hunter ou Ganni en proposent aussi des versions plus accessibles.

Esthétique de la mer : formes, couleurs et textures
Bleu marine, blanc éclatant, rayures, dégradés d’aqua, motifs de coquillages ou de coraux... Le code couleur de l’océan inspire un grand nombre de collections. Chez Versace, le défilé printemps-été 2021 plongeait dans un univers de sirènes futuristes, avec des tissus scintillants, des broderies d’anémones et des perles en cascade. Chez Burberry, Riccardo Tisci a joué avec des imprimés de vagues et des silhouettes comme sorties d’un navire.
Mais l’esthétique sous-marine dépasse les podiums. Les marques comme H&M, Monki ou Weekday déclinent chaque été des pièces aux textures fluides, aux imprimés aquatiques, dans des gammes abordables. Les tops en organza, les robes en tulle translucide, les pantalons en vinyle évoquent tous, à leur manière, l’eau et le mouvement.
Les créateurs plus expérimentaux s’approprient aussi cet imaginaire. Iris van Herpen en a fait sa signature, avec des robes imprimées en 3D qui rappellent des créatures abyssales. Alexander McQueen, de son vivant, avait proposé une vision plus sombre et mystérieuse des fonds marins avec sa collection "Plato’s Atlantis" en 2010. Ces propositions, bien qu’artistiques, nourrissent aussi les tendances diffusées ensuite par des marques intermédiaires ou indépendantes.
La mer comme manifeste : mode engagée et écoresponsable
Aujourd’hui, la mer n’est plus seulement source d’inspiration : elle devient aussi un cri d’alerte. La pollution plastique, le réchauffement des océans, la surexploitation des ressources poussent la mode à se remettre en question. Et certaines marques réagissent concrètement.
Ecoalf a été l’une des premières à recycler des filets de pêche pour fabriquer des vestes, des sacs ou des baskets. Patagonia utilise des matériaux recyclés pour ses maillots de bain et ses vestes techniques, tout en finançant des campagnes de préservation des milieux aquatiques. Stella McCartney s’est associée à la Fondation Ellen MacArthur pour imaginer une mode circulaire incluant la biodiversité marine.
Adidas a frappé fort avec sa gamme Parley for the Oceans, utilisant des déchets plastiques récupérés sur les plages. Des modèles iconiques comme les Ultraboost ou les Stan Smith en version recyclée ont fait mouche auprès d’un large public. D'autres marques plus jeunes, comme Hopaal ou Nosc, conçoivent des vêtements 100 % recyclés, en minimisant l’impact sur les littoraux.
La haute couture elle-même s'engage. Lors de la Fashion Week de Paris en 2020, Marine Serre a présenté une collection intégrant des matériaux récupérés en bord de mer. Chez Dior, Maria Grazia Chiuri a imaginé un défilé évoquant la puissance des éléments, avec des messages écologiques en filigrane. Certaines présentations ont même lieu en plein air, sur des plages ou des quais, comme un rappel à l'urgence climatique.

Qu'elle soit uniforme, inspiration ou manifeste, la mer traverse la mode avec une intensité renouvelée. À la fois imaginaire poétique et terrain concret d’innovation, elle pousse les marques à repenser leur langage, leurs matériaux, leur responsabilité. Et cette dynamique ne concerne pas que les grandes maisons : elle se diffuse dans tous les pans de la mode, des collections de créateurs à la fast fashion, des vestiaires pointus aux marques citoyennes.
Plus qu’une tendance, c’est une lame de fond. Une manière de repenser notre rapport à ce que l’on porte, et à ce que l’on protège.