
La Méditerranée tient sa réputation, transformant le sprint vers Carthagène en véritable calvaire. Après avoir franchi Gibraltar à 30 nœuds, Paprec Arkéa ce matin dérivait à peine à un nœud, impuissant face à Biotherm et Holcim-PRB qui filaient au nord, tandis que le peloton revenait par l’arrière.
Il y a à peine douze heures, l’équipage de Yoann Richomme semblait pourtant intouchable, creusant son avance en entrant en Méditerranée en tête. « On a fait un super coup dans la nuit de mercredi à jeudi, avec une bonne configuration de voiles, on marchait à près de 30 nœuds », raconte Richomme. Mais à l’aube, la douche froide : « Le ventilateur s’est complètement arrêté ! On est passés de 25 nœuds à 4 nœuds en dix secondes. »
Le choix de Paprec Arkéa de rester au large s’est révélé coûteux. En espérant garder le vent de gradient, ils n’ont rien trouvé. Biotherm, de son côté, a longé la côte espagnole et accroché une faible brise thermique, passant d’une quasi-immobilité à cinq nœuds.
L’équipage de Paul Meilhat a parfaitement négocié la transition, prenant la tête aux premières heures de la matinée grâce au vent côtier. Dans son sillage immédiat, Holcim-PRB s’est emparé de la deuxième place, mais le skipper Franck Cammas reste prudent : « Dans ces conditions, il y a toujours une chance que les bateaux derrière reviennent. » Son coéquipier Alan Roberts ajoute : « C’est plat et il n’y a pas de vent. Rien à voir avec il y a quelques heures - on avait 30 nœuds. Ça va être du petit temps jusqu’à l’arrivée. »
Derrière le trio de tête, la flotte a flairé l’opportunité. En lutte pour la 4e et 5e place, Team Malizia et Allagrande Mapei Racing ont atteint plus de 30 nœuds dans la nuit, avant de s’écraser dans la même molle que Paprec. Ce vendredi matin, ils étaient repartis à 7-9 nœuds, réduisant un déficit de 100 milles à Gibraltar à seulement 35.
« La nuit dernière le vent est monté à 25 nœuds avec de grosses vitesses. On a dû changer de voile, enchaîner les empannages, on volait littéralement », raconte Manon Peyre d’Allagrande. « On a eu un moment dingue à près de 35 nœuds - je m’accrochais comme je pouvais ! »
Le co-skipper de Malizia, Will Harris, savoure la bagarre : « C’est bien d’avoir un autre bateau à pousser avec nous. Les autres sont encore loin devant, mais la Méditerranée est imprévisible. On n’est pas là pour jouer la 4e ou 5e place - on vise plus haut. » Loïs Berrehar confirme : « Ce n’est jamais fini tant que la ligne n’est pas franchie. Il faut juste saisir les opportunités et tirer le meilleur de notre météo. »
À la mi-journée, Biotherm avait creusé une avance de 18 milles sur Holcim-PRB, avec Paprec Arkéa six milles plus loin, toujours empêtré dans la molle au large. Derrière, Malizia et Allagrande Mapei sont bord à bord et reviennent. Canada Ocean Racing - Be Water Positive a franchi Gibraltar vendredi matin en sixième position, tandis que Team Amaala ferme la marche.
Pour l’équipage de Richomme, cela a un goût de déjà-vu. Lors de la première étape, Paprec Arkéa s’était déjà fait piéger dans une transition molle au large de Douvres, laissant revenir Team Malizia et perdant finalement une place. Maintenant, avec moins de 100 milles restants, ils risquent non seulement de perdre la tête, mais aussi de sortir du podium. Pour Richomme, les prochaines heures seront cruciales : « On a encore plusieurs transitions à passer - ça va être très imprévisible. On s’attend à basculer des vents d’ouest aux vents d’est, mais ce sera léger toute la journée. »
Cammas confirme l’incertitude : « On progresse dans du petit temps, au près, en attendant la brise de nord-est qui nous mettra dans l’axe. Ça peut être long, mais on va essayer de saisir toutes les opportunités. C’est ça, la Méditerranée... au moins le jeu reste totalement ouvert, et rien n’est jamais fini ! »
Dans ces conditions capricieuses, l’arrivée à Carthagène pourrait se jouer à tout moment entre 23h00 et 5h00, heure locale. Ce qui ressemblait hier à une simple course de vitesse est devenu une régate au ralenti où chaque souffle de vent compte, et où aucune place n’est acquise.