
Un nouveau cap pour une course mythique
C’est une première pour la RORC Transatlantic Race : l’arrivée se fera cette année à Antigua, au lieu de Grenade. Une différence qui peut sembler minime sur la carte, mais qui change tout pour les navigateurs. Plus au nord, l’île caribéenne expose les concurrents à de nouvelles influences météo.
« En se rapprochant des systèmes venant du continent américain, on peut rencontrer des fronts froids qui perturbent les alizés », explique Brian Thompson, navigateur et barreur sur Argo. « Grenade garantissait presque toujours un vent régulier jusqu’au bout, alors qu’ici, la fin de course pourrait être plus piégeuse. »
La distance globale reste d’environ 3 000 milles, mais la trajectoire devient plus tactique. Le départ de Lanzarote impose de franchir rapidement la zone des Canaries avant de se caler dans le bon flux. Les premières 36 heures seront décisives : c’est là que tout se joue, entre les options nord ou sud, selon la position de l’anticyclone des Açores.
Des rivaux de longue date, séparés par des détails
Depuis 2015, Argo et Zoulou s’affrontent régulièrement sur les grands rendez-vous océaniques. Jason Carroll (États-Unis) et Erik Maris (France) ont chacun bâti autour de leurs MOD70 une équipe de haut niveau, où se côtoient marins professionnels, ingénieurs de performance et navigateurs de course au large.
Ces trimarans de 21,2 mètres, signés VPLP, sont capables de maintenir 35 nœuds sur plusieurs heures et de franchir l’Atlantique en moins de 6 jours. Conçus pour le Trophée Multi One Design, ils ont depuis été optimisés pour le large. Foils de nouvelle génération, gouvernails redessinés, voiles plus légères et électronique de bord sur mesure : chaque détail compte.
« Les deux bateaux sont aujourd’hui quasi identiques », confirme Thompson. « Les différences se jouent sur le réglage du rake, la tension des haubans ou la profondeur de dérive. Ce sont des écarts minuscules, mais à ces vitesses, le moindre nœud fait la différence. »
Les cerveaux de la performance
À bord de Zoulou, Ned Collier Wakefield, skipper et tacticien, peut compter sur le navigateur Miles Seddon, fin connaisseur de la météo et des modèles de routage. « Miles est un vrai métronome », confie Wakefield. « Il maîtrise la lecture des polaires et des systèmes. Avec lui, on optimise chaque choix, notamment dans les 48 premières heures. C’est souvent là que la course se gagne. »
En face, Argo aligne un équipage expérimenté, emmené par Brian Thompson, vétéran de la Volvo Ocean Race et du Vendée Globe. Son approche est plus instinctive, forgée par des années à naviguer sur des machines extrêmes. « Sur ces bateaux, tu ressens les pressions avant de les voir à l’écran. L’ordinateur te confirme juste ce que ton corps a déjà compris », explique-t-il.

Vie à bord : la vitesse, la fatigue et le vacarme
À 30 nœuds de moyenne, tout devient difficile : manger, dormir, se concentrer. Le bruit, le tangage et les chocs répétés transforment chaque quart en test d’endurance.
« Tu dors littéralement dans une caisse de résonance », raconte Wakefield. « Le bruit des coques qui frappent les vagues, le sifflement des foils... certains portent des casques antibruit pour espérer fermer les yeux. »
Chaque équipage compte six marins, répartis en deux équipes de trois, sur un rythme de trois heures de quart, trois heures de repos. En réalité, le sommeil effectif dépasse rarement une heure et demie. « On limite les périodes de barre à une heure », ajoute Thompson. « Après ça, la concentration chute et les performances aussi. »
Malgré les chiffres impressionnants, c’est toujours l’humain qui fait la différence. La RORC Transatlantic Race exige une vigilance constante : réglages de voiles, surveillance des polaires, anticipation des grains.
Les fameux squalls, ces nuages d’orage tropicaux accompagnés de rafales et de pluie, sont à la fois opportunité et piège. « Le but, c’est de rester juste devant le grain pour profiter de sa pression sans se faire enfermer dans le trou d’air derrière », détaille Thompson. « C’est là que les erreurs coûtent cher. »
À cette allure, la coordination d’équipe devient cruciale. Un empannage raté ou un foil mal ajusté peut faire perdre plusieurs milles. Chaque manœuvre mobilise tout l’équipage, y compris ceux "off watch", censés se reposer.
Une rivalité forgée dans le respect
Malgré la tension de la compétition, le respect mutuel entre Argo et Zoulou reste fort. « On se connaît tous », reconnaît Wakefield. « On s’est souvent retrouvés sur les mêmes pontons, parfois dans les mêmes projets. J’ai même aidé à convoyer Argo vers Lanzarote une année. »
Les deux équipes partagent une même philosophie : repousser les limites sans jamais perdre l’esprit marin. « Quand tu termines une transat sur un MOD70, tu ne ressens pas de triomphe, juste une immense satisfaction d’avoir tenu », confie Thompson. « Et la première bière, à terre, c’est toujours ensemble. »
Cette édition 2026 réunira plusieurs figures du multicoque océanique. Outre Argo et Zoulou, le catamaran MG5 WellnessTraining de Marc Guillemot, vainqueur des Line Honours en 2025, sera au départ. À 52 pieds, il incarne une autre école : moins extrême, mais redoutablement efficace sous la jauge MOCRA. Guillemot, ancien troisième du Vendée Globe 2008-2009 et double vainqueur de la Transat Jacques Vabre, vise une place sur le podium en temps compensé.
Autre participant notable : Sterec Ultime, trimaran de 50 pieds construit par Dick Newick en 1985. Son propriétaire, Christophe Bogrand, l’engagera ensuite sur la Route du Rhum 2026.
L’esprit RORC : passion et exigence
Derrière les chiffres et les vitesses folles, la RORC Transatlantic Race reste avant tout une école de rigueur. Elle réunit professionnels et amateurs éclairés autour d’un même défi : traverser l’Atlantique dans les règles de l’art.
Pour Thompson, c’est un rappel de ce qui fait la grandeur de la voile océanique : « Que tu sois sur un 35 pieds ou un 70 pieds, tu vis la même chose : planifier, t’adapter, faire confiance à ton équipage. »
Wakefield renchérit : « Ces bateaux sont durs, mais c’est une chance unique. À chaque départ, on sait qu’on va souffrir. Et pourtant, on a tous hâte de repartir. »
Argo et Zoulou s’élanceront de Marina Lanzarote le 11 janvier 2026. Le duel promet d’être serré, les écarts mesurés en heures, voire en minutes, à l’arrivée à Antigua. Une transat qui s’annonce comme l’une des plus rapides, et des plus intenses, jamais disputées sur la RORC Transatlantic Race.
            
                                                                        
                                    
                                                                        
                                    
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                                                
                    
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