
Quand les pontons se vident et que les maillots de bains restent au vestiaire, une partie des plaisanciers continue de sortir, parfois avec le sourire un peu coupable de ceux qui savent qu’ils vont vivre des journées uniques. La lumière rase, les mouillages déserts, les dépressions qui se succèdent font de la navigation hivernale un plaisir... exigeant mais réel ! Exigeant, parce que la marge d’erreur se réduit brutalement. En hiver, un homme à la mer en eau à 10 ou 12 °C n’a tout simplement pas le même temps devant lui qu’en août sous les tropiques.
Chaque sortie hivernale doit donc être organisée autour d’une idée simple, presque obsédante, qui guide le choix du matériel comme les bonnes pratiques à bord. Cette idée tient en une phrase : vous n’avez pas le droit de tomber à l’eau, et si cela arrive, tout doit être en place pour que vous puissiez être remonté à bord en quelques minutes.
Hiver : même mer, risques différents
Les chiffres le rappellent sèchement. En 2022, plus de 9 300 opérations ont été déclenchées par les CROSS pour la plaisance et les loisirs nautiques, soit une hausse d’environ 14 % par rapport à 2021. La quasi-totalité des accidents mortels en plaisance ont pour cause la noyade ou l’hypothermie, directement liés à la chute à la mer.
En hiver, ces deux risques s’additionnent et se renforcent. La température de l’eau sur les côtes françaises descend souvent entre 8 et 13 °C. Or les travaux sur la survie en eau froide montrent que le choc thermique, puis l’épuisement à la nage, deviennent critiques dès que l’eau se situe entre 10 et 15 °C. La perte de contrôle respiratoire peut survenir en quelques secondes, la perte de mobilité des mains en quelques minutes.
À ces facteurs s’ajoutent des journées courtes, une météo plus changeante, des ports parfois en effectif réduit et moins de plaisanciers alentour pour donner l’alerte. Bref, le cadre change. Les règles de sécurité aussi, même si la réglementation - elle - ne connaît pas les saisons.
Division 240 : un socle qui reste valable toute l’année
Pour les navires de plaisance de moins de 24 m battant pavillon français, c’est la fameuse Division 240 qui fixe le matériel d’armement et de sécurité en fonction de la distance à un abri, du basique (jusqu’à 2 milles) au côtier (jusqu’à 6 milles), puis au semi-hauturier et au hauturier.
Depuis les dernières mises à jour, cette réglementation précise clairement trois points essentiels pour notre sujet. D’abord, les performances minimales des équipements individuels de flottabilité selon la zone : niveau 50 N jusqu’à 2 milles d’un abri, 100 N jusqu’à 6 milles, 150 N toutes zones. Les enfants de moins de 30 kg doivent porter en permanence un équipement de performance au moins égale à 100 N, quelle que soit la distance d’éloignement d’un abri.
Ensuite, le texte insiste sur l’obligation d’emporter harnais et longe pour les voiliers (un par personne) et sur la présence d’un dispositif lumineux individuel fixé au gilet, capable de fonctionner au moins 6 heures.
Enfin, la règle officielle rappelle que le matériel prescrit par la réglementation constitue le minimum requis et invite les plaisanciers à embarquer systématiquement du matériel complémentaire.
En été, certains s’autorisent à jouer avec cette frontière entre minimum réglementaire et bon sens marin. En hiver, ce luxe disparaît.
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Gilets portés, harnais accrochés : la règle non négociable
Sur le papier, la Division 240 vous autorise encore à embarquer des aides à la flottabilité de niveau 50 N pour une navigation basique, voire à n’en porter qu’en fonction des situations. Dans la vraie vie, dès que la température de l’eau descend sous les 15 °C, ce débat n’a tout simplement plus lieu d’être.
Pour une navigation hivernale, la base reste un gilet de sauvetage de 150 N, gonflable, bien ajusté et révisé, équipé d’une sous-cutale, d’un dispositif lumineux homologué.
Ce gilet doit être porté en permanence dès que l’on quitte le ponton, y compris dans les zones très abritées. Le discours consistant à « garder le gilet à portée de main » n’a plus de sens quand l’eau est froide, que la nuit tombe vite et que les vêtements alourdissent la personne tombée à la mer. Les sauveteurs en mer le répètent : un gilet n’est utile que s’il est porté, et s’il reste en état de fonctionner.
À ce gilet vient se greffer le duo harnais et longe. La réglementation impose au moins un harnais et une longe par navire pour les bateaux à moteur et un par personne pour les voiliers. Sur un programme hivernal, l’enjeu n’est pas seulement de les avoir dans un coffre, mais de les utiliser réellement. Ligne de vie correctement frappée au centre du pont, longe double permettant de rester accroché en permanence, règle simple répétée à l’équipage : personne ne sort du cockpit sans prévenir, sans gilet et sans être attaché.
Sur certains programmes, une combinaison isotherme de protection ou une combinaison sèche peut se substituer à l’équipement individuel de flottabilité, à condition d’être portée en permanence et d’offrir une flottabilité suffisante selon la zone. Ces équipements ne sont pas réservés aux professionnels. Ils peuvent faire une vraie différence pour un équipage qui navigue régulièrement l’hiver ou qui traverse des zones particulièrement froides.
Balises, VHF, repérage : gagner la bataille des minutes
Une fois la chute à l’eau survenue, tout devient affaire de temps. En eau froide, la capacité à nager, à garder la tête hors de l’eau et à manipuler un équipement se réduit parfois à quelques minutes.
Là encore, la réglementation fixe un socle. À partir de la zone semi-hauturière, une VHF fixe devient obligatoire, avec veille du canal 16 et capacité à recevoir les bulletins météo. Pour l’hiver, il est très raisonnable d’anticiper ce niveau d’équipement dès la navigation côtière, en complément d’une VHF portable étanche et flottante rangée dans le cockpit.
Les balises individuelles de type AIS-MOB ou PLB ne sont pas obligatoires, mais elles se sont largement démocratisées. Une balise AIS déclenche une alarme sur les écrans du bord et sur les navires à proximité, en affichant un point exact sur la carte. Une balise personnelle de détresse (PLB) transmet une alerte aux centres de secours via le système satellitaire Cospas-Sarsat, avec position GNSS. Couplées à une VHF ASN capable d’envoyer un appel de détresse numérique avec position, ces technologies peuvent réduire drastiquement le délai entre la chute à la mer et la mise en route des secours.
En navigation hivernale, on peut résumer la philosophie de l’équipement ainsi. Le gilet et le harnais servent à ne pas quitter le bateau. La balise, la VHF et le dispositif lumineux individuel servent à permettre au bateau - et aux secours - de vous retrouver en quelques minutes si, malgré tout, vous êtes à l’eau.
Pilote automatique, veille et organisation à bord
En hiver plus qu’à d’autres saisons, beaucoup de navigateurs s’appuient sur le pilote automatique. Sur un voilier de croisière ou un bateau à moteur, le pilote devient vite un équipier indispensable dès que l’équipage est réduit, qu’il faut hisser une voile ou simplement s’abriter sous la capote. Les modèles récents sont d’ailleurs conçus pour aider le skipper dans des conditions météo exigeantes et sur des programmes de navigation solitaire ou en équipage réduit.
C’est à la fois un formidable outil de sécurité et un piège potentiel. Une chute à la mer depuis un bateau gouverné par pilote, notamment de nuit, peut passer inaperçue quelques secondes de trop si nul n’est en veille. Certains systèmes avancés intègrent désormais des scénarios homme à la mer : appui sur le bouton MOB qui enregistre le point de chute, modification automatique de la route, voire couplage avec des bracelets individuels qui déclenchent une alarme et mettent le bateau face au vent pour le ralentir.
Même sans ces scénarios sophistiqués, l’organisation du bord doit tenir compte de la réalité de l’hiver. Veille visuelle et auditive permanente, personne seul sur le pont sans être harnaché, manœuvres anticipées pour éviter les interventions en urgence à l’avant, consignes claires en cas de chute à la mer. L’objectif est simple : que chacun sache quoi faire si le skipper passe par-dessus bord alors que le pilote tient la barre.
Fenêtre météo et navigation courte
La meilleure sécurité reste encore de choisir soigneusement sa journée. En hiver, la préparation météo n’est pas une formalité, c’est une condition de départ.
Les outils ne manquent pas. METEO CONSULT propose des prévisions côtières, des bulletins par port et des cartes de vent à 15 jours, accessibles en ligne ou via des services spécifiques pour les plaisanciers. Ces informations permettent d’identifier les créneaux de vent maniable, de houle acceptable et de visibilité suffisante.
La démarche gagne à être structurée. D’abord, on regarde la situation générale : succession de dépressions, épisodes de grains, risque de coup de vent ou de coup de vent violent, présence éventuelle de BMS. Ensuite, on affine sur la zone de navigation choisie en observant la direction du vent, la hauteur de la houle, le courant de marée quand il y en a, mais aussi la température ressentie au vent.
Sur cette base, chaque équipage doit se fixer des limites personnelles. Par exemple : pas de sortie au-delà d’un certain nombre de nœuds de vent établi dans le secteur de face, pas de sortie si la houle dépasse un certain seuil, etc. Une fois la fenêtre météo identifiée, on construit la navigation autour d’une logique de parcours court : départ assez tôt pour rentrer de jour, distance adaptée à la vitesse moyenne réaliste en hiver, un ou deux ports de repli identifiés à l’avance.
Le froid, ce qui use vraiment l’équipage
Le froid ne tue pas seulement par hypothermie en cas de chute à la mer. Il use progressivement l’équipage, rend les décisions moins claires, la vigilance moins efficace et le mal de mer plus agressif.
Les spécialistes de la navigation hivernale insistent sur l’importance d’un système de vêtements en couches. Une première couche respirante qui évacue la transpiration, une couche intermédiaire isolante, souvent en polaire ou en laine technique, et une couche extérieure imperméable et respirante, veste et salopette. On y ajoute des gants adaptés, un bonnet qui couvre les oreilles, éventuellement un tour de cou, ainsi que des chaussures étanches ou des bottes isolées.
À bord, il faut prévoir un jeu de vêtements de rechange toujours sec, protégé dans un sac étanche, ainsi que de quoi préparer rapidement des boissons chaudes et des en-cas riches en calories. Le chauffage à bord, s’il existe, doit être entretenu sérieusement et utilisé avec ventilation adéquate pour éviter tout risque lié au monoxyde de carbone.
Même pour une navigation qualifiée de « petite sortie », le skipper doit surveiller l’état de fatigue et la capacité de réaction de son équipage. En hiver, ce sont souvent les détails qui font la différence entre un bord superbe et un retour pénible au radar, avec un équipage transi.
Faire de chaque sortie hivernale une petite course au large
La bonne nouvelle, c’est que la sécurité en navigation hivernale n’a rien d’une science obscure. Elle repose sur des textes clairs, comme la Division 240, sur des équipements désormais bien maîtrisés - gilets gonflables, harnais, VHF ASN, balises personnelles - et sur des réflexes que les plaisanciers expérimentés appliquent déjà en grande croisière.
La vraie différence, c’est la discipline. Considérer chaque navigation de décembre ou de février comme une petite course au large, même si l’on reste en côtier et s’y préparer comme un skipper professionnel !
L’hiver en mer offre des moments rares, presque intimistes, que connaissent bien ceux qui continuent à sortir quand les pontons semblent endormis. Avec un bateau préparé, un équipage équipé et une météo bien lue, ces navigations ne sont pas un pari risqué. Elles deviennent ce qu’elles doivent être : un plaisir exigeant, mais pleinement maîtrisé.
Avant de partir en mer, pensez à consulter les prévisions météo sur METEO CONSULT Marine.
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