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Ces arrêtés définissent des zones d’interdiction au mouillage, qui ont été identifiées selon un processus de concertation rassemblant les acteurs du monde de la mer : acteurs institutionnels, collectivités, ports, associations environnementales, pilotes, pêcheurs, plaisanciers et professionnels du yachting dont le GEPY (Groupement des Equipages Professionnels du Yachting).

Ces arrêtés répondent à deux objectifs clés pour le littoral méditerranéen :
- Protéger l’herbier de posidonie
La posidonie, qui est essentielle à l’écosystème et à la biodiversité, est une espèce protégée depuis 1988, fortement menacée : durant les dernières décennies, sa surface a été considérablement réduite. Son rôle est capital pour la biodiversité : elle fait office de nurseries et d’abri pour les poissons, elle purifie l’eau en filtrant les matières en suspension, elle fixe le carbone, les fonds meubles, elle atténue la houle ce qui permet de protéger les plages de l’érosion.
L’une des causes principales de cette destruction a été identifiée comme le mouillage des grands navires, dont l’ancre arrache la posidonie.
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- Sécurité
En parallèle, organiser le mouillage sur le littoral, particulièrement fréquenté pendant l’été, va permettre de décongestionner des zones côtières entières, jusqu’alors propices aux conflits d’usage et aux accidents.
Ces arrêtés interdisant le mouillage des bateaux de plus de 20 mètres suscite la colère de certains acteurs économiques associés au monde du yachting. Il faut rappeler que le secteur de la plaisance de luxe génère un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros par an. Tous les jours, dans les ports de la région, les marins font sonner leurs cornes de brume en guise de protestation.
« La consultation de ce décret a été faite du 10 août au 1er septembre 2020, période pendant laquelle toute notre profession est en activité » déplore Mathieu Reix, président de l’association SOS Navigation auprès de nos confrères de CNEWS. Il ajoute « Nous aimons la mer et nous comprenons tout à fait la nécessité de protéger la posidonie, c’est pour cela que nous essayons de mouiller sur des zones sableuses. Il existe des solutions pour faire cohabiter la grande plaisance et l’écologie maritime.»
L’argument mis en avant par les professionnels est avant tout d'ordre économique.
« Environ 35% des yachts de la planète se trouvent en région PACA » précise Mathieu Reix. « Les enjeux financiers autour du yachting sont considérables sur l’activité de toute une ville. Le manque à gagner touche les restaurateurs, les hôteliers, les boutiques de prêt-à-porter, les entreprises évoluant dans le monde du yachting et les commerces d'avitaillement. Les dépenses effectuées à terre par les passagers atteignent parfois 50.000 euros par jour. Avec ce décret, les nouvelles zones de mouillage ne permettront plus aux clients français, anglais, allemands et américains de faire des escales. »
Toujours selon le président de l’association SOS Navigation, de nombreux navires ont déjà mis le cap sur l’Espagne, l’Italie et surtout le Croatie. En France, plusieurs milliers d’emplois seraient ainsi menacés alors que le secteur peine toujours à se relever de la crise sanitaire. « De nombreux marins français ne pourront pas suivre les navires sur lesquels ils travaillent. L’an dernier, nous n’avons tourné qu’à 50% de notre capacité. Il faut que les autorités comprennent que nous ne défendons pas les propriétaires de yachts. Nous défendons nos emplois. Nous ne sommes pas riches, nous sommes des salariés.»
SOS Navigation vient d’adresser un courrier au Président de la République afin de demander la suspension de ce décret jusqu’à la mise en place d’une solution et une concertation du milieu professionnel actif. Une pétition signée par de nombreux parlementaires a également été lancée.
Par ailleurs si tout le monde reconnait que la protection des herbiers de posidonies et les questions environnementales sont des enjeux capitaux, la question des responsabilités de la dégradation fait débat lorsque l’on questionne les acteurs. La cause revient-elle vraiment et exclusivement aux yachts de plus de 20 ou 24 mètres ?
Les équipages professionnels sont sensibilisés peut être mieux que d’autres à ces problématiques de responsabilité environnementale, et recherchent plus que d’autres les zones sablonneuses pour mouiller. Alors qu’un grand nombre de yachts inférieurs à 20 mètres jettent aussi leur ancre dans des zones d’herbiers et provoquent également des dommages, certainement à une autre échelle mais avec un facteur quantitatif non négligeable… Se pose alors la question d’équité entre plaisance et grande plaisance.
Aujourd’hui les arrêtés autorisent bien quelques carrés de zones sablonneuses, où chacun sera libre de mouiller, mais le risque est de voir une concentration et une congestion des dites zones, avec des conflits d’usage qui risquent d’apparaitre.
L’une des alternatives au mouillage pour les grands yachts (super yachts) réside dans le positionnement dynamique, mais celui-ci est considéré juridiquement comme un arrêt du navire, et donc également réglementé dans les arrêtés, mais néanmoins autorisé au-delà des 300 mètres. Le positionnement dynamique permet au navire de rester en position avec l’appui de ses moteurs et du propulseur d’étrave. Si cette solution protège bien les fonds sous-marins et les herbiers, l’empreinte carbone n’est pas optimale dans cette solution.
Actuellement la préfecture maritime encourage vivement les alternatives locales au mouillage forain, telles que les zones de mouillage et d’équipement légers (ZMEL). Ces ZMEL dotées d’équipements écologiques permettent un mouillage non destructeur pour la posidonie. En d’autres termes des mouillages organisés avec des bouées et des ancrages écologiques dans le sable ou la matte morte (ie. l’enchevêtrement de rhizomes morts et de racines des champs de posidonies entre lesquelles est resté du sédiment où seule la partie supérieure de cette structure est formée de plantes vivantes). Aujourd’hui ces ancrages peuvent tenir, selon la nature des fonds et le nombre de points d’ancrage, des yachts jusqu’à 40 mètres dans le meilleur des cas, et bien évidemment selon les conditions météorologiques rencontrées.
Pour la saison 2021 il semble que les communes ou groupements de communes ne se soient pas encore totalement organisées pour mettre en place ces ZMEL, en dehors de quelques projets existants ou en cours de mise en place. La procédure administrative de mise en place de ZMEL est assez longue et les investissements assez lourds avec une visibilité sur l’amortissement encore mal évaluée, ce qui réfrène à ce jour un certain nombre de communes. Cependant nous sommes à l’aube de nouveaux usages, qui vont se mettre en place dans les toutes prochaines années. On peut ainsi imaginer la mise en place de ZMEL dite « en libre service » et ainsi réserver son mouillage (sa bouée) via une application, ou arriver et payer avec un code QR existant sur la bouée. Une ZMEL de ce type existe déjà dans le voisinage de l’Ile de Bagaud (Parc National de Port-Cros), avec 68 bouées disponibles du 15 avril au 15 octobre, le mouillage est strictement interdit à l’année. Ces bouées sont gratuites le jour et un tarif fonction de la taille du navire et progressif selon le nombre de nuitées (maximum 5). Le risque avec ces zones est d’avoir des conflits d’usage. D’autres ZMEL seront associées avec non seulement des services sur bouées (réservation, lamanage, enlèvement des poubelles), mais aussi un service de police pour assurer une bonne orchestration. La société Seaflotech©, du navigateur Lionel Péan, qui travaille sur les appels d’offre de différentes ZMEL, mène aussi des études pour qu’à terme certaines grosses bouées de mouillage soient alimentées en énergie afin de réduire l’empreinte carbone des gros navires au mouillage.
Si l’on peut parier que d’ici un an ou deux, la mise en place de tels mouillages organisés soit répandue sur l’ensemble du littoral, il restera néanmoins la question des super yachts dont la taille ne permet pas aujourd’hui d’assurer des mouillages écologiques fiables, mais les acteurs comme Seaflotech© et d’autres œuvrent sur des solutions ad hoc.
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Reste qu’en l’état, et à la veille de la saison 2021 nul ne sait exactement quelles seront les conséquences économiques de ces interdictions, mais écologiquement nous sommes dans la bonne dynamique pour préserver la Méditerranée.