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Quelle quantité conserver ? Considérant la navigation comme une activité physique d’endurance, la base des 2,5 litres par jour et par personne est recommandée par les physiologistes (référence : CIUMBS-ROUSSEAU-nut-sport-mars2013pdf), et ceci comprend les liquides alimentaires et l’eau comprise dans les aliments. On peut donc estimer que 40 litres par personne permettent de traverser l’Atlantique Nord… sans être assoiffé, car s'il n'est pas sain d’être déshydraté, il est tout aussi dangereux pour des raisons d’équilibre hydroélectrolytiques d’être hyper-hydraté.
En fait pour une navigation tropicale, boire quotidiennement 1,5 litre d’eau douce en plus des apports alimentaire (thé et café tous les deux diurétiques, lait, soupe, boissons d’accompagnement, aliments) peut suffire en respectant deux règles : éviter les eaux trop minéralisées qui favorisent les calculs rénaux et, la règle d'or : boire avant d’avoir soif. Cela signifie en pratique de boire systématiquement avant de manœuvrer. La sensation de soif correspond déjà à une perte de poids de 1%, une dégradation de 10% des performances physiques et des fonctions cognitives. Buvez avant de prendre un ris !
Un petit verre d’eau avant l’empannage ça va, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi assurer l’hygiène des corps et des casseroles. En 1978 nous avions rallié les Açores depuis La Trinité, et retour, à deux sur un Ecume de mer en nous douchant tous les jours : 1,5 litres suffisent pour se rincer. Le gros consommateur d’eau c’est avant tout la vaisselle. Au total pour les besoins alimentaires et sanitaires sans contraintes, c’est-à-dire deux douches par jour par personne et vaisselle rincée à l’eau douce, nous dépensons 15 à 20 litres par personne et par jour. On en tiendra compte pour estimer les réserves nécessaires. On vit sans souci d’eau deux semaines à deux personnes avec 500 litres sans se priver, ce n’est pas mal !
Dans le Pacifique le problème est crucial, on s’apprête à parcourir près de 10 000 milles dans des contrées désolées. Il faut pouvoir s’approvisionner, conserver et distribuer le liquide vital en toutes circonstances, même au mouillage.
1. L'approvisionnement
1.1 A terre :
1.1.1 Pas une seule goutte d’eau douce n’est entrée à bord de PretAixte sans passer par un double filtre : filtre 5 microns couplé à un filtre à charbon actif en aval. Le filtre primaire est exactement le même que celui qui se trouve en aval de la vanne de puisage du dessalinisateur, cela limite les références… On est parfois surpris de la rapidité avec lequel le filtre primaire se charge d’impuretés. Le record : un plein d’eau à Porto Ferraio, Ile d’Elbe. "Le port du fer” porte bien son nom : en une demi-heure le filtre 5 microns était devenu tout rouge ! Les porte-filtres comme les filtres sont très répandus dans les magasins de bricolage et peu onéreux. INDISPENSABLE.
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1.1.2 Eau sous pression à quai : Plastimo distribue un petit kit qui permet de brancher l’eau du quai directement sur le circuit du bateau (référence: “entrée d’eau douce”). Le circuit est le suivant : prise d’eau du quai, double filtre, raccord circuit bateau. Avantages multiples : la pression du quai est à bord, les pompes sont épargnées, ainsi que les réserves du bateau. On peut faire tourner le lave-linge sans contraintes, un grand élément de confort. Attention à fermer la vanne de sortie d’eau douce du dessalinisateur pour éviter la surpression dans le système de régulation au risque de l’endommager. Nous avons expérimenté cette panne la veille de la traversée de l’Atlantique Nord. Plus de dessalinisateur à vingt heures du départ de l’ARC+ …ambiance !
1.2 En mer :
1.2.1 Dessalator Duo 60. On peut franchement s’en passer si on traverse l’Atlantique Nord à trois ou à quatre. Cela devient plus problématique si on veut flâner en mer Caraïbe. Si on n’est pas seul à bord dans le Pacifique cela devient indispensable. Un débit supérieur à 60 litres à l’heure n’apparait pas utile, nous avons vécu à sept à bord de PretAixte absolument sans aucun problème durant plus de 10 jours dans les Tuamotu y compris la traversée vers Moorea. Le Dessalator tournait deux heures par jour avec le groupe électrogène.
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Le filtre 5 microns en aval du puisage d’eau de mer supporte tout, même les eaux les plus turbides et les ports les plus immondes. Encrassé il n’affecte pas le débit de la production d’eau douce, à condition que la partie la plus interne du filtre reste blanche. Ne pas choisir des filtres au rabais mais ceux recommandés par le fabricant. Se souvenir toujours que deux liquides ne doivent absolument pas passer par ce filtre : l’eau douce et les hydrocarbures, JAMAIS.
En aval de la sortie d’eau douce nous avons installé un filtre de reminéralisation fourni par Dessalator. Cela me semble indispensable pour un usage intensif car l’eau qui sort est certes stérile mais aussi déminéralisée et acide: ce n’est ni bon pour la santé ni pour les tanks en inox l’acidité. Je passais tous les trois mois ces grains de calcaire à l’eau de javel et au grand soleil. Il n’y a jamais eu de pullulation microbienne.
Le DUO a deux moteurs : un 12 ou 24V DC et un 230V AC, c’est vraiment une sécurité d’avoir ces deux alimentations électriques possibles. Il peut ainsi tourner sur l’alimentation du quai 230V dans une marina qui n’a pas d’eau potable, et il y en a pas mal sur le trajet…On veillera alors avec soin de connaitre la fréquence du courant alternatif distribué (50Hz pour le Dessalator) pour éviter de tout griller. En l’absence de moteur, et même de batterie, il peut tourner en 230V avec le groupe électrogène. Toujours démarrer le moteur principal du bateau ou un chargeur de batterie, si le moteur 12 volts a été sélectionné sur le dessalinisateur, avant le mettre en route afin de ne pas épuiser les batteries (400W au démarrage…). Et ce n’est pas fini. L’osmose inverse est fonction non linéaire de la température de l’eau : plus l’eau de mer est chaude plus le débit d’eau douce est important. Elle est aussi directement corrélée à la tension électrique aux bornes du moteur de la pompe Cat: la tension doit être de 13,4 Volts minimum sur le courant continu, ce qui en pratique signifie premièrement d’avoir la pompe le plus proche possible des batteries pour éviter la perte de charge dans les câbles électriques, et, d’autre part, que les batteries doivent être sérieusement chargées et alimentées : alternateur du moteur, chargeur, voire hydro générateur, lors de la production d’eau douce. Quant à imaginer que les panneaux solaires puissent suffire, à eux seuls, à fournir la puissance de crête necessaire au dessalinisateur est une expérience que je vous laisse tenter…
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Un dessalinisateur content est un dessalinisateur qui fonctionne très régulièrement, quotidiennement si possible d’après les spécialistes ! Il faut le choyer ce dessalinisateur et partir avec un kit de maintenance. Le rincer régulièrement et ne pas passer outre l’hivernage avec le produit adapté. Les points à vérifier : l’étanchéité du presse étoupe sur la molette de réglage, l’étanchéité du circuit haute pression à resserrer délicatement, vérifier la qualité et le niveau de l’huile de la pompe Cat, veillez à ouvrir les vannes de rejet d’eau de mer et de production d’eau douce avant la mise en marche : en cas d’oubli cela peut faire très mal et détruire l’installation ! A part cela c’est très très robuste, distribué dans le monde entier, et le SAV facilement joignable. Tous les participants de L’ARC+ et du WARC équipés en Dessalator en étaient satisfaits.
1.2.2 Finis les bidons bleus amarrés sous la table du carré, et les réserves de secours dans le coffre arrière et sous les planchers. A Cape Town notre ami suisse Niki nous ramène après Noël 2018 un Katadyn Survivor 35. Ce dessalinisateur à main de 4 kg produit jusque 4,5 litres/ heure. J’aurais dû y penser plus tôt, d’autant que nous avions rencontré en Martinique un équipage de L’ARC 2017 qui avait traversé, ils étaient trois, sur un Pogo 10,50 uniquement avec cela…J’avais aussi lu le récit de navigateurs solitaires dans le Pacifique dont c’était le seul moyen de production. Entre la traversée de l’Indien et celle de l’Atlantique Sud PretAixte s’est ainsi allégé de plus de 150 kilos. Indispensable.
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1.2.3 En fait, lors de la préparation du bateau, j’avais hésité à équiper le “grab bag” du Survivor 35, le poids et l’encombrement m’avaient fait préférer le Katadyn Survivor 06, un peu plus de 1 kilo pour un peu moins de 1 litre/heure. En situation de survie cela peut suffire, mais pas en complément de production du bord. En tout cas pour le grab bag de ce type de navigation hauturière le Survivor 06 est indispensable.
1.2.4 Lorsqu’un doute subsiste sur quoi embarquer à bord, une référence digne de foi est le World Sailing, et en particulier les “OSR” : Offshore Specials Regulations. La circumnavigation sans passer par le Cap Horn correspond à la Classe 1, on peut aussi piquer quelques éléments dans la Classe 0 (eau de mer pouvant être inférieure à 5°, ce n’est à priori pas pour nous …). Au chapitre 3.21 qui concerne l'eau embarquée et de survie, le dernier paragraphe concerne le récupérateur d’eau de pluie. Il doit pouvoir être installé même avec le bateau démâté… Sur un catamaran c’est assez simple à réaliser, notre ami Patrick à St Martin (FWI) avait installé sur la casquette du cockpit et le roof de Chamicha un système à demeure qui alimentait directement le tank, il allait rarement à l’aiguade... Sur PretAixte le taud de cockpit est conçu à cet usage de survie, et tout le petit matériel pour amener l’eau dans les bidons est référencé et prêt à être utilisé. Indispensable. Attention l'eau de pluie n'est pas stérile. Il faut laisser les premiers litres nettoyer la surface de réception de pluie, filtrer ensuite l’eau, voire la traiter.
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1.2.5 A Falmouth, au National Maritime Museum Cornwall est exposée la frêle embarcation sur laquelle après avoir été attaqué par des orques au large des Galapagos en 1972, la famille Robertson a trouvé refuge en toute hâte avec rien à bord… ou presque. C’est compter sans la “British Will” et l’imagination. Ils ont tenu 38 jours avant d’être récupéré par un chalutier japonais. Mr Robertson avant que d’être fermier avait navigué dans la marine marchande durant la Seconde Guerre mondiale : on y apprend des choses… Et en particulier la physiologie du côlon : le gros intestin a pour mission de déshydrater les résidus du bol alimentaire digéré, et ça marche dans les deux sens...En l’absence de pluie ils pratiquaient des lavements à l’eau de mer saumâtre pour rester hydraté, c’est bon à savoir !
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