
Le 6 novembre prochain au départ de la Route du Rhum - Destination Guadeloupe, nous aurons forcément une pensée pour Eric Tabarly, Alain Gabbay, ou encore Alain Thébault, navigateurs visionnaires mais aux ailes trop lourdes pour vraiment voler, la faute à des technologies à l'époque encore en devenir. Mais nous pensons aussi à eux en découvrant ce catamaran Befoil avec ses deux dérives à foils en T, positionnées en puits au centre de chacune des coques, et ses deux safrans équipés de plans porteurs horizontaux réglables à leur base. Les coques en sandwich-verre Vinylester sont réalisées en infusion par Mestral Marine Works, à Tarragone en Espagne. Les foils sont en aluminium extrudés et présentent donc une corde constante limitant dans une certaine mesure les performances, mais surtout le coût rédhibitoire et la fragilité d’appendices en carbone. L’ensemble a été dessiné par l’équipe VPLP, un gage de réussite en ce domaine.
Une saine recherche de simplicité
Une année de développement a été nécessaire entre la version école initiale (coques rotomoulées, foils rapportés sur les bordés) et cette version Sport. De l’arrivée sur la plage sur sa remorque de mise à l’eau au premier décollage, il ne s’est pas passé dix minutes. L’équipage à bord est certes aguerri, entre le « pilote d’essai » habituel du chantier et l’un de ses ingénieurs développeurs. Nous observons de l’extérieur, comportement et manœuvres avant de monter à bord. Le vent établi en-dessous de 10 nœuds ne rend pas le bateau très aérien, pas question de voler au près aujourd’hui. Heureusement, travers au vent, une fois le gennaker déroulé, le bateau prend un peu de contre-gîte, puis s’élève doucement avant d’accélérer fort, à l’horizontale ! Vu de l’extérieur cela semble simplissime. D’autant que j’ai bien étudié le plan de pont avant de partir. Une écoute pour le solent auto-vireur, une écoute de Grand-Voile et une écoute de gennaker sur chaque bord, c’est tout ! Il ne reste donc plus à régler que les foils en T des dérives. C’est quand même la clé du vol en mer, un point critique si on veut naviguer avec un minimum des stabilité. Les possibilités de réglages sont importantes et ont un impact direct sur le vol. Il s’agit d’adapter le profil à l’assiette du bateau, à sa gîte, la hauteur de vol, l’état de la mer… autant d‘équations à trop d’inconnues pour qu’un cerveau humain puisse réagir en temps réel deux appendices simultanément. Alors le principe d’un flotteur à chaque étrave, relié par un câble aux foils, a été retenu. Simple et efficace, mais l’on sait combien il est compliqué de faire simple. Alors on peut d’ores et déjà féliciter l’équipe Befoil d’avoir réussi à intégrer un système fiable, et trouvé les bons ajustements pour qu’un béotien du vol monte à bord sans appréhension.
© Photo Befoil - Charles De Lisle1.5 fois la vitesse du vent !

Une fois à bord, « On abat, tu déroules le gennaker ? » me propose mon skipper du jour. Le bout en continu du petit emmagasineur à poulie crantée étant libre, il suffit de border pour dérouler. À fond, presque à plat grâce à la poulie winch, car ça y est, après quelques secondes légèrement contre-gîté le Befoil décolle, se stabilise à l’horizontale, haut sur ses foils et ses safrans, accélère, se crée du vent apparent. Inutile de dire que fendre l’eau, perché sur ces quatre lames d’aluminium, avec un minimum de bruit, un très faible sillage et quasiment aucun embrun est une sensation des plus grisante. Seul le vent apparent sur le visage et le semi-rigide qui emploie ses chevaux pour nous suivre nous donnent une indication de notre vitesse. Au GPS du tender il est indiqué 15 nœuds, soit 1.5 fois la vitesse du vent réel : pas mal ! Mais c’est un expert à la barre, quid d’un amateur ? Pour voir, échangeons les postes !
© Photo François TREGOUET - MULTI.mediaOublier, ressentir, profiter

En lieu et place de l’immense stick central que l’on trouve habituellement sur les catamarans de sport, les concepteurs du Befoil ont préféré deux petites barres franches, contrôlés par de courts sticks. En suivant les instructions à la lettre « abat un peu - ça décolle - lofe doucement - encore un peu – c’est parti !», trois minutes chrono après avoir pris la barre, nous volons ! Bien calés à l’horizontale, stables, le postérieur perché en bout d’échelle à un bon mètre au-dessus de l’eau. Pas de tangage, une vitesse constante, et un bateau admirablement tolérant, comme insensible à ma courbe d‘apprentissage encore basse. Un miracle ? Un demi-miracle en fait, je n’ai que la barre en main, pas encore l’écoute de Grand-Voile. Et c’est là que ça se corse. Barrer avec doigté d’une main tout en choquant-bordant constamment la Grand-Voile dans le bon tempo de l’autre ne s’acquiert pas dans la minute. D’autant plus que la combinaison « quand le bateau décolle, tu lofes et tu choques la GV » va à l’encontre de tous nos automatismes. En quittant la surface de l’eau, les repères changent. Suivant l’envol du bateau, la logique, les sensations, les réglages et les termes tendent vers l’aérien. Les voiles sont comme des ailes, et le vent apparent devient prépondérant. Pourtant, à l’écoute de chaque conseil, appliqué comme un bon élève en classe, attentif, tous les sens en éveil, nous volons. Enchaînant les bords de travers aux longues ondulations calquées sur les variations du vent apparent, nous avons vraiment la sensation d’être entrés dans une nouvelle dimension, éminemment jouissive, et on se prend à rêver que le vol ne s’arrêtera jamais.