
L’électrification de la plaisance n’est plus une projection, c’est une tendance nette. Depuis deux ans, les chantiers navals accélèrent la production de voiliers et de bateaux à moteur 100 % électriques, hybrides ou à hydrogène. Dans le même temps, les normes environnementales européennes et la pression sociétale obligent les ports de plaisance à s’adapter. Sauf que les infrastructures portuaires, en France, peinent encore à suivre le rythme. Aujourd’hui, les marinas ne peuvent plus être de simples parkings à bateaux : elles doivent devenir des hubs énergétiques, des vitrines de la transition verte, capables de répondre aux nouveaux usages.Où en est réellement la France ? Quelle stratégie déploient les ports pour répondre à cette révolution technologique et écologique ? À quels modèles économiques doivent-ils se préparer pour rester compétitifs à l’échelle européenne ? Enquête sur un secteur en pleine mutation.
Une demande qui s’accélère, une infrastructure qui peine à suivreEn 2024, le virage énergétique de la plaisance est bien amorcé. Les chantiers navals ont pleinement saisi l’ampleur du mouvement : plus de 20 % des bateaux à moteur vendus en France cette année sont équipés d’une propulsion électrique ou hybride, selon les données consolidées par la Fédération des Industries Nautiques (FIN). Le développement de modèles performants chez Beneteau, Delphia, RS Electric Boats ou X Shore, combiné à l’essor des semi-rigides et des petits bateaux à passagers électriques, contribue à élargir le parc en service.Mais si la flotte évolue, les infrastructures à terre, elles, peinent à suivre. Selon le rapport 2024 de la Fédération Française des Ports de Plaisance (FFPP), moins d’un tiers des ports français sont aujourd’hui dotés de bornes de recharge dédiées, et seuls quelques ports expérimentent des installations capables d’accueillir des puissances supérieures à 22 kW – insuffisant pour des catamarans ou vedettes à autonomie étendue. Dans la plupart des cas, les plaisanciers se contentent de bornes classiques sous-dimensionnées, rallongeant considérablement les temps de recharge et saturant les capacités en haute saison.
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Cette inadéquation entre l’offre en mer et la réalité à quai pousse certains ports à revoir entièrement leur stratégie. Arcachon, Saint-Raphaël, Antibes, Port Camargue ou encore La Rochelle ont lancé ces derniers mois des plans ambitieux : modernisation des réseaux, déploiement de bornes intelligentes capables de répartir la charge en temps réel, installation de panneaux photovoltaïques, développement de micro-réseaux autonomes, voire, pour les plus avancés, intégration de systèmes de stockage d’énergie par batteries ou hydrogène vert.À Port Vauban, une phase pilote menée fin 2023 a permis d’équiper plusieurs quais avec un système de recharge dynamique couplé à une gestion intelligente de l’énergie. L’objectif : réduire de 30 % la dépendance au réseau principal d’ici 2026, tout en assurant la montée en puissance du parc électrique. À Saint-Raphaël, un partenariat avec la startup française Seawatt a permis l’installation des premières bornes rapides alimentées en partie par énergie solaire. La SEMBA, gestionnaire du port d’Arcachon, a de son côté lancé en 2024 une nouvelle étape de son schéma directeur énergétique, incluant un atelier technique dédié aux motorisations électriques et hydrogène, une première dans la région.

L’arrivée de l’hydrogène soulève de nouveaux défisSi l’électrique est en plein essor, l’hydrogène commence à se frayer un chemin dans les réflexions portuaires. Des projets pilotes comme celui porté par Hynova ou les développements de EODev (Energy Observer Developments) montrent que l’alternative zéro émission ne se limite pas aux batteries. Mais aucune marina française n’est à ce jour équipée pour distribuer de l’hydrogène, faute de cadre réglementaire clair et d’infrastructures de sécurité normalisées.Les ports néerlandais, norvégiens et espagnols testent déjà des stations de production ou de distribution locales d’hydrogène vert. En France, certains territoires comme la Région Sud ou la Normandie planchent sur des projets de hubs multimodaux mêlant fret, pêche et plaisance, mais ils restent à l’état d’étude.Pour les ports de plaisance, cela signifie se préparer dès aujourd’hui à intégrer des énergies à logistique complexe, exigeant non seulement des aménagements spécifiques mais aussi des compétences nouvelles (sécurité, maintenance, réglementation).L’enjeu est de taille : ne pas ralentir la transition par défaut d’anticipation. Car au-delà des grandes unités, ce sont aussi les navettes portuaires, les petits bateaux de location et bientôt les annexes qui adopteront ces technologies. L’électromobilité maritime ne sera pas une niche, mais une norme.
Ports Propres, ISO 14001, ISO 50001 : le socle des ports vertsLa transition environnementale s’appuie aussi sur des référentiels techniques solides. Le label Ports Propres, aujourd’hui attribué à plus de 120 ports en France (chiffres FFPP, 2024), impose des exigences élevées en matière de gestion des déchets, traitement des eaux usées, prévention des pollutions et sensibilisation des plaisanciers.De plus en plus de marinas associent ce label à des certifications ISO 14001 (management environnemental) et ISO 50001 (performance énergétique), pour inscrire leur démarche dans une logique de gestion globale. À La Rochelle, par exemple, le port est certifié ISO 14001 et mène depuis 2023 un audit énergétique complet, dans le cadre du plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) local.Mais l’obtention de ces labels et certifications suppose des moyens humains, techniques et financiers. Beaucoup de petits ports communaux, qui n’ont pas accès à des dispositifs de financement ou de gestion privée, peinent encore à s’engager pleinement.

L’Europe pousse, les plaisanciers aussiAu niveau européen, les exigences montent en puissance. La Commission européenne a intégré les ports de plaisance dans sa “Green Deal Maritime Strategy”, avec des incitations fortes à électrifier les infrastructures et à verdir les flottes. En Espagne, la Marina de Valence vise la neutralité carbone d’ici 2030, tandis que les Pays-Bas équipent déjà leurs marinas de stations hydrogène et de réseaux solaires interconnectés.Cette dynamique exerce une pression croissante sur les ports français. D’autant que les usagers eux-mêmes deviennent plus exigeants. Une enquête menée en 2023 par le Cabinet Vague Bleue, à la demande de la FIN, montre que 78 % des plaisanciers interrogés souhaitent que leur port d’attache propose des solutions concrètes pour la transition énergétique (énergie propre, gestion durable des déchets, services adaptés aux bateaux électriques).
Vers un écosystème portuaire intelligent et résilientLe port de demain ne sera pas seulement écoresponsable, il sera intelligent. L’émergence de solutions numériques permet de mieux piloter la consommation énergétique, d’anticiper les besoins en maintenance, de réguler les flux, et d’offrir des services adaptés à chaque type de bateau.À Brest, dans le cadre du projet Smart Port Atlantic, des capteurs IoT ont été installés sur les bornes de quai pour mesurer en temps réel la consommation d’eau et d’électricité. Ce projet pilote, soutenu par l’Ademe et la Région Bretagne, vise à créer un jumeau numérique du port, capable de simuler différents scénarios d’aménagement ou d’optimisation énergétique.

Un impératif : accompagner les gestionnaires de portMalgré ces exemples encourageants, la réussite de la transition passera par une massification de l’accompagnement des gestionnaires portuaires. La FFPP appelle à la mise en place d’un fonds national d’aide à la transition énergétique des ports, cofinancé par l’État, les Régions et les fonds européens (FEDER, Interreg). Car si les grandes marinas peuvent investir, les ports plus modestes doivent être soutenus pour ne pas décrocher.Des programmes de formation et de montée en compétences sont également nécessaires. La gestion d’un port bas carbone requiert des savoir-faire spécifiques : en maintenance électrique, en gestion de données, en relations avec les fournisseurs d’énergies nouvelles.
L’évolution du nautisme, avec l’explosion attendue des unités électriques et à hydrogène, oblige les marinas françaises à réinventer leur rôle. Elles ne peuvent plus être de simples interfaces de stationnement, mais doivent devenir des acteurs stratégiques de la transition énergétique maritime.La France avance, mais à des vitesses variables selon les territoires. Si les ports comme Vauban, Arcachon ou La Rochelle montrent la voie, beaucoup d’infrastructures restent en retrait, freinées par le manque de moyens ou de vision. Pour ne pas rater le virage, c’est un changement systémique qu’il faut engager, au croisement des politiques publiques, des innovations privées, et des attentes des plaisanciers.
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