
Figaro Nautisme : Comment devient-on président de VPLP Design, une agence mondialement reconnue et créée par deux légendes de l’architecture navale, Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot-Prévost ?
Simon Watin : Mon histoire avec VPLP n’est pas nouvelle : en 2008, j’ai tout fait pour décrocher un stage dans l’agence à Paris. J’en rêvais... Mais mes courriers restaient sans réponse. Un de mes profs - Gérard Chenu - connaissait bien Marc Van Peteghem. Il m’a mis en relation avec lui et j’ai obtenu mon stage !
Après mes études, j’ai fait un break en bateau avant de m’installer en Nouvelle-Zélande où j’ai travaillé en voilerie. Un beau matin, Vincent [Lauriot-Prévost] m’a appelé pour me proposer de réintégrer l’agence en vue de la 34e America’s Cup. Vous imaginez bien que c’est une opportunité qu’on ne refuse pas : Je suis passé d’Auckland à Vannes et... le projet America’s Cup a capoté, mais je suis resté chez VPLP dans l’équipe course. Des multi Offshore, Macif 100, Prince de Bretagne, la génération IMOCA 2016, Comanche : les projets étaient vraiment incroyables.
En parallèle, j’ai commencé à donner un coup de main à Marc [Van Peteghem] sur ses projets associatifs plus personnels ? en complément de l'activité historique de VPLP notamment pour son association Watever ou sur les premières recherches sur les voiles pour les cargos. C’était en 2011 !
C’est alors qu’Artemis m’a proposé de les rejoindre pour gérer la coordination du design en vue de l’America’s Cup aux Bermudes. J’y suis resté de 2014 à 2020. Le souci était qu’il fallait bouger tout le temps. Nous avons fait le choix familial de rentrer en France et de nous installer à Nantes. J’ai repris contact avec VPLP et Marc et Vincent m’ont tout de suite proposé de les rejoindre à nouveau pour plancher sur les projets de cargos à voile.
La question de la reprise de l’agence n’est venue qu’après. Marc et Vincent ont souhaité prendre un peu de recul et nous ont proposé de reprendre le flambeau ! Nous sommes un collectif de 6 personnes à nous être lancées dans l’aventure. A nous 6, nous avons autant d’années d’expérience chez VPLP que les deux fondateurs. Aujourd’hui, mon travail consiste à faire avancer les idées, les projets et surtout de créer le consensus tout en maintenant l’héritage de l’agence. Un vrai défi, mais c’est ce qui fait la richesse du job. Nous continuons à échanger régulièrement avec Marc [Van Peteghem] et Vincent [Lauriot-Prévost], mais ils sont plus en mode « hotline ». VPLP fonctionne sans eux et la transition s’est effectuée de manière progressive et fluide.
Figaro Nautisme : VPLP Design est reconnu pour ses bateaux de série et de course. Quelle est l’actualité de l’agence dans ces domaines ?
Simon Watin : En plaisance, nous avons une activité intense avec les chantiers Lagoon, Outremer et Gunboat qui renouvellent leurs gammes, ce qui nous demande beaucoup de travail de conception.
En course, le tout nouvel IMOCA d’Armel Tripon vient d’être mis à l’eau. « Les P'tits Doudous » est un bateau construit à base de carbone déclassé par l’aéronautique. C’est un vrai gain en termes d’émissions de CO2. Tout ce carbone aurait été détruit alors qu’il est parfaitement adapté à la construction d’un bateau de course. Au niveau poids et solidité, « Les P'tits Doudous » est au même niveau que les IMOCA de la nouvelle génération.
Toujours dans le domaine de la course, d’importants développements sont en cours sur deux trimarans de la classe Ultime, SVR Lazartigue et Banque Populaire, notamment au niveau des foils. Bien que ces évolutions soient moins spectaculaires qu’une mise à l’eau d’un nouveau bateau, elles représentent un travail de conception très important, nécessitant un investissement considérable en temps.
En ce qui concerne le yachting, le projet MODX vient d’être présenté : il s’agit d’un trimaran vraiment novateur avec son aile automatique rétractable et zéro émission de CO2 en navigation. C’est un bateau-concept poussé à l’extrême, puisqu’il s’agit d’un bateau de démonstration. Et cela marche vraiment bien, il a un vrai potentiel de rupture architecturale.
Enfin, vous aurez bientôt des informations sur un projet inédit en croisière, une plateforme d’un yacht one-off, mais je ne peux pas en dire plus pour l’instant...
Figaro Nautisme : En parallèle de la course et de la plaisance, vous développez un pôle maritime. Quels sont les enjeux d’un transport maritime décarboné et comment y parvenir ?
Simon Watin : C’est un enjeu de taille. Le transport maritime représente 3% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale. 90% des marchandises sont transportées par bateau et le tonnage ne fait que croître année après année. Il faut comprendre que le transport maritime est plutôt efficace en ce qui concerne les émissions par kg transporté au kilomètre. Mais aussi efficace soit-il, l’impact est énorme, massif. Nous travaillons sur les performances énergétiques des navires. L’usage du vent, donc une hybridation moteur/vélique est une solution qui fonctionne. Si on y associe l’utilisation de e-carburants, une réduction de la vitesse, un routage optimisé, on peut obtenir des baisses significatives d’émissions de CO2. Avec Canopée, le cargo à voile qui transporte les éléments de la fusée Ariane, le vélique fait économiser plus de 5 tonnes de fuel par jour !
On voit aujourd’hui une accélération de cette mutation, notamment avec la décision récente de l’OMI [Organisation Maritime Internationale] - qui devra être confirmée en octobre - d’imposer une taxe carbone internationale visant les émissions des cargos. L’industrie se met vraiment en ordre de bataille et c’est une excellente nouvelle. A notre niveau, cela implique de repenser notre travail architectural pour favoriser cette hybridation vélique et c’est passionnant. Ces développements ainsi que le fait d’en parler permettent aussi de sensibiliser sur l’enjeu central de la consommation et de nos besoins réels...

Figaro Nautisme : Votre métier consiste à dessiner les bateaux d’aujourd’hui mais aussi à imaginer ceux de demain. A quoi ressembleront les bateaux sur lesquels nous naviguerons en 2050 ?
Simon Watin : Au niveau du transport maritime, certaines estimations indiquent que 10 à 30% de la flotte fera appel au vélique en 2050. Sur 50 000 navires, c’est énorme !
Pour la course au large, nous constatons, là aussi, un vrai bouillonnement et de nombreuses questions que se posent à la fois les skippers mais également les sponsors. La course fait rêver et il faut que cela continue. Mais l’impact environnemental est important. Les matériaux, la biodiversité, la sobriété deviennent des préoccupations majeures pour toute la filière. La course de demain sera-t-elle plus une aventure humaine, en phase avec les valeurs de sobriété ? Nous voyons de plus en plus de projets avec une réelle volonté d'avoir un impact sociétal positif et une vraie dimension humaine, comme « Les P’tits Doudou » ou « Lazare ». La performance de demain pourrait ne plus se mesurer uniquement à la vitesse pure.
En plaisance aussi, les attentes évoluent et le modèle de demain est à repenser. Nous l’imaginons plus collaboratif, plus local, plus partagé, avec des bateaux qui iront vers une économie d’usage et moins de possession. Augmenter la durée de vie et le cycle d’utilisation en plaisance pour arriver à des unités qui durent et sont utilisables - vraiment - sur plusieurs décennies.
Figaro Nautisme : VPLP Design en chiffres ?
Simon Watin : J’aime le chiffre 3. Nous exerçons dans 3 domaines : course, plaisance et maritime. Et regroupons 3 métiers : architecture, design et ingénierie. Enfin, nous avons 3 sites : Paris, Nantes et Vannes.
Autres chiffres : 17 et 223. Le plus petit et le plus grand des navires sur lesquels nous avons travaillé l’année dernière - Le Nacra 17 et Vela, 223 pieds.
Enfin, depuis la création de l’agence, 8000 bateaux ont été mis à l’eau pour 200 dessins.
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Simon Watin : La dernière navigation s’est déroulée il y a 2 jours sur notre Armagnac familial. Et la prochaine aura lieu cet été, sur le même bateau, en famille, bien sûr. Et celle dont je rêve est de pouvoir naviguer sur « Vela » quand il sera mis à l’eau l’été prochain...