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ENGAGÉ trois mois par le défi Prada pour participer à Auckland au lancement de son nouvel AC72, en vue de la 34e Coupe de l'America (l'été prochain à San Francisco), Franck Cammas vise déjà la 35e édition. Un projet «logique» selon lui après son triomphe en 2012 dans la Volvo Ocean Race, le tour du monde en équipages avec escales, dominée traditionnellement par les Anglo-saxons. Il s'explique au Figaro.
FIGARO NAUTISME. - Comment s'est passée votre collaboration avec le défi Prada?
Franck CAMMAS. - Bien. J’ai beaucoup barré au début. Mon job, c'était d'amener de l'expérience sur un gros multicoque pour éviter de tout casser et pour réfléchir à des modifications à apporter à ce bateau qui est bien né. Sur les quatre qu’on a vus à l’eau récemment, je pense que c’est le meilleur pour le moment.
Pourquoi vous ne continuez pas avec les Italiens ?
C’était prévu comme ça. Et je ne veux pas, j’ai un programme en France (Tour de France à la voile notamment). Et je n’étais pas là pour prendre la place de quelqu’un qui est déjà installé.
Vous avez pu récolter beaucoup d’infos pour la 35e Coupe de l’America que vous espérez disputer…
Tout à fait, comme lors de mon expérience avec Oracle lors de la 33e Coupe. C’est vraiment génial de travailler avec des personnes et des équipes de cette qualité. La Coupe de l’America fascine beaucoup de monde. Que ce soit les architectes, les designers, les navigants, tout le monde est intéressant et précieux.
Comment allez-vous réussir à réaliser votre rêve de Coupe de l'America?
Déjà en m'y prenant tôt. C'est le bon moment pour moi après la Volvo Ocean Race d'avoir cette ambition. Je ne dis pas qu'on va y arriver parce que c'est très difficile de monter un projet Coupe en France, il y a beaucoup de très bons qui s'y sont cassé les dents. En gagnant la Volvo, on a prouvé que notre Team était capable d'atteindre un haut niveau sur une compétition vraiment internationale. Avec mes expériences chez Oracle et Prada, j'ai une bonne vision de ce qu'il faut faire et ne pas faire. Il y a vraiment moyen de monter un défi sans complexe.
Les frères Peyron se sont déjà positionnés pour cette 35e édition, la lutte s'annonce chaude...
C'est sûr qu'il n'y a pas la place pour beaucoup de projets de Coupe en France. Loïck Peyron a tout à fait le talent pour ça et il le prouve en étant très actif chez les Suédois d'Artémis. Après on verra. Nous, on peut vendre une équipe qui existe depuis quinze ans et a fait quatre bateaux. Sur la Volvo, on était 3 teams à avoir le même designer et c’est le fait d’avoir une équipe très expérimentée qui nous a permis de décrocher la victoire.
Pouvez-vous travailler avec les Peyron?
Il ne peut pas y avoir deux chefs. Il faut une personnalité devant avec une stratégie et une équipe derrière. Mais il n'y a pas de compétition entre nous. On vise la 35e Coupe, la 34e n'étant pas encore passée, cela me laisse un certain temps pour monter l'équipe et présenter notre projet. Aujourd’hui, on n’est pas en train de se battre avec les Peyron pour trouver de l’argent surtout que Groupama nous accompagne jusqu’en 2015.
Lors de la remise du prix de Marin de l'année, on vous a senti très ému...
C'est important qu'une certaine communauté reconnaisse que ce qu'on a fait avec Groupama est quelque chose d'exceptionnel. Et j'ai vraiment senti sur la fin de la Volvo Ocean Race que le public français était derrière nous, comme une équipe de France. Je n'avais jamais vu ça dans ma carrière... Sur la Route du Rhum ou la Transat Jacques Vabre, on est tous Français et on sait que c’est un Français qui va gagner donc ce n’est pas la même émotion…
Vous avez dit avoir beaucoup appris au niveau du management durant ce tour du monde, quoi concrètement?
L'important, dans des grandes équipes, c'est que tous leurs éléments poussent dans le même sens. Mon rôle, c'est intéresser tout le monde pour que chacun se lève le matin en se disant «j'ai envie d'aider mon collègue pour que lui aussi soit meilleur et qu'on arrive tous ensemble au même objectif». Alors sur la Volvo, mon discours c’était « les gars, faite l’effort individuel pour le groupe, ne sombrez pas dans la facilité en accentuant les critiques inefficaces ». Le management, c’est beaucoup de politique et il faut même savoir se vendre soi-même. Un leader doit être capable de montrer une voie que n’aurait prise la majorité de l’équipe.
Vos succès dans la Solitaire du Figaro, Transat Jacques Vabre, Route du rhum, Trophée Jules-Verne le prouvent, la voie que vous montrez est la bonne...
C'est sûr que ces victoires-là, pas que pour moi mais aussi pour l'équipe qu'il y a derrière, permettent d'avoir une certaine légitimité, influence et confiance. Je pense de toute façon qu'on ne doit pas se donner de limites. Bien soutenu par Groupama même dans les moments délicats, on a toujours continué à y croire et on a atteint les objectifs qu’on s’était fixé.
Quand vous vous retournez sur ce palmarès unique, vous vous dites quoi?
C'est bien, mais il y a certainement encore beaucoup à faire. Je regarde rarement derrière, c'est surtout devant qui m'intéresse. Gagner une épreuve, c'est seulement gagner le droit d'en faire une autre et une autre qui nous motive encore plus.
Vous évoquez ainsi les Jeux de Rio (en 2016), c'est sérieux?
Je vais m'entraîner cette année et faire des régates quand ce sera possible. Et ça deviendra encore plus sérieux en cas de qualification, ce qui est très difficile. Ce projet va me permettre de naviguer à haut niveau, de passer beaucoup d'heures sur l'eau, de faire du catamaran et avec une fille bien évidemment, c'est obligatoire. En plus, c'est un monde que je ne connais pas trop et je n'y suis pas très attendu. Le challenge me motive.
Et si un sponsor vous proposait de faire le Vendée Globe?
Pourquoi pas, mais pour l'instant je suis concentré sur la Coupe de l'America. En tout cas, je suis le Vendée Globe de près. Les deux jeunes François Gabart et Armel Le Cléac'h au pouvoir, ça me plaît mais ce n'est pas étonnant du tout. Avec Jean-Pierre Dick et Vincent Riou, ce sont les quatre qui se sont les mieux préparés pour cette course. C'est bien d'avoir une régate aussi serrée, pourvu que ça dure...
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