
L’écosystème de la voile française a développé depuis plus de 40 ans des courses au large mythiques que les grandes autres nations maritimes regardent avec intérêt, curiosité et parfois un peu de jalousie. Ces courses au large sont nombreuses, certaines pérennes et majeures, comme le Vendée Globe, la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Mini Transat (ou Transat 6.50), la Transat Jacques Vabre, la Transat BtoB, la Transat AG2R LA MONDIALE, etc… et d’autres certes plus éphémères mais qui ont néanmoins gravé l’histoire de la course au large en France ; La Baule - Dakar, La Transat en double Lorient-Les Bermudes-Lorient, la Route de l’Equateur, le Triangle Atlantique, The Race…
Avec la professionnalisation de ces épreuves, mais aussi des drames qui se sont malheureusement joués lors de certaines d’entre elles, la Fédération Française de Voile a mis un cadre dans l’organisation et la conduite du volet maritime de ces épreuves. En parallèle aux arbitres de la Fédération Française de Voile, qui veillent eux sur le bon déroulé sportif et l’équité des courses, a vu surgir le rôle officiel et l’habilitation de directeur de course au large, dont le rôle est devenu obligatoire dans l’organigramme des courses au large.
Le rôle de celui-ci est d’accompagner en amont l’organisateur d’une course dans la préparation du projet maritime, puis lors de la phase dite opérationnelle dans le bon déroulé de la manifestation nautique en assurant la sécurité des concurrents mais aussi des différents acteurs sur le plan d’eau lors des phases de départ et d’arrivée.
Pour toutes les courses dites majeures mentionnées plus haut, il est indispensable que le directeur de course soit appuyé par une équipe d’adjoints / adjointes aux compétences multiples et définies au sein de l’équipe DC (direction de course). Ainsi lorsque l’on cite le directeur de course il est opportun de comprendre qu’il s’agit d’une équipe qui agit sous sa responsabilité.
La direction de course agit dans une mission transversale de conseils et de coordination avec les organisateurs, les skippers, les représentants des Classes engagées, les Autorités Maritimes et en règle générale tous les protagonistes impliqués (Villes, Clubs locaux, SNSM, etc…).
En amont le travail consiste à la définition du parcours, voire des parcours selon la physionomie de l’épreuve. Pour exemple, la Transat Jacques Vabre 2021, dispose de trois parcours distincts selon les classes. Le directeur de course définie aussi les éventuelles qualifications exigées pour participer et assurera le suivi de ces qualifications. Simultanément il se met en relation avec les Autorités Maritimes pour déclarer la manifestation et démontrer que le dispositif envisagé apporte tous les éléments garants à la sécurité, non seulement pour les participants, mais aussi pour les spectateurs lors des phases toujours sensibles de départ et d’arrivée. Si le parcours mène la flotte au large de pays étrangers (ce qui est bien souvent le cas), une information préalable doit être communiquée aux différentes autorités maritimes étrangères. Sur une course comme le Vendée Globe, et compte tenu du parcours planétaire, cette relation avec les autorités étrangères est primordiale afin de disposer de leur accord et soutien, et en particulier en cas de détresse de l’un des concurrents.
L’équipe direction de course constitue une véritable base de données dite de sécurité qui intègre tous les éléments importants relatifs à chaque participant (visuels du bateau, liste équipage, contacts bord et à terre, équipements de sécurité avec les codages respectifs, etc…). Cette base, une fois complétée, est alors partagée avant le départ avec les CROSS en France (Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Sauvetage) et les MRCC à l’étranger (Maritime Rescue Coordination Center) le cas échéant. Nous reviendrons plus loin sur l’utilisation de cette base de données.
L’une des décisions les plus importantes et délicates qui revient au directeur de course consiste à décider de donner le départ si les conditions météorologiques s’annoncent mauvaises. Cette décision est d’autant plus subtile à prendre si la flotte de bateaux est très hétérogène en termes de taille, de vitesse et de compétences des équipages, car les vitesses de progression sur la route sont alors très différentes. Dans la majorité des cas l’organisateur est conseillé par un partenaire météorologique qui apportera un éclairage fin de la situation et des prévisions, mais in fine c’est bien le directeur de course qui décidera du bien fondé de donner, ou retarder le départ en analysant tous les paramètres.
Une fois le départ donné, l’équipe DC assure alors une veille 24/7 jusqu’à l’arrivée du dernier concurrent. Cette veille consiste à un suivi satellitaire de la flotte au moyen de trackers embarqués sur tous les bateaux (qui émettent en règle générale toutes les 15 mn) et dont les positions s’affichent sur un logiciel de cartographie. Cette visualisation permet ainsi d’avoir une photographie précise de la flotte, de sa progression, et de travailler les simulations de route (routage) en fonction des conditions météorologiques. Ce travail permet à l’équipe DC d’anticiper d’éventuels moments critiques, et de renforcer la veille dans ces phases délicates de mauvais temps. L’équipe DC vit la course minute par minute, recueille les appels ou les mails des concurrents sur les avaries techniques, et tient un journal de bord permettant d’avoir une vision exhaustive de la course.
Il y a aussi un rôle de liaison très important dans le cas où le concurrent rencontre un problème, une communication s’établit alors très tôt avec le(s) CROSS / MRCC pour les tenir informé(s), éventuellement aussi avec d’autres bateaux en course sur zone. Si la situation vient à se dégrader, les services de secours en mer, et les concurrents sur zone, sont déjà dans la boucle et la réactivité est optimale. La base de données sécurité est alors exploitée pour disposer très vite de tous les éléments pour organiser les secours avec la meilleure connaissance possible du bateau en difficulté, de son armement de sécurité et des moyens de communication embarqués. L’équipe DC reste en soutien entre les parties, et donne aussi instructions à d’autres concurrents sur zone pour se dérouter et apporter une assistance. C’est ce qui est récemment survenu lors du Vendée Globe en décembre dernier quand a eu lieu le naufrage du bateau PRB, et la récupération de son skipper Kevin Escoffier par Jean le Cam. L’équipe DC assure ce travail de liaison et parfois d’orchestration, en collaboration étroite avec les CROSS et les MRCC pour mener à bien la mission de sauvetage.
Enfin le directeur de course au large est souvent l’expert et le porte-parole pour donner les explications factuelles et faire une analyse des différents scénarios auprès des familles, des équipes à terre, des organisateurs et des différents médias.
En synthèse le travail du directeur de course, et de son équipe, consiste à préparer et à mener à bien l’expédition maritime que représente une course au large. Un métier qui exige que l’on se plonge totalement dans la course avec passion, au même titre que les concurrents…c’est d’ailleurs souvent un ancien navigateur qui se retrouve à endosser ce rôle.