
Quelques mots sur le rachat du Malizia II ?
"Mes contrats de sponsoring prenaient fin à l’arrivée du Vendée Globe. Quinze jours avant d’arriver aux Sables d’Olonne je commençais déjà à appeler des partenaires et à travailler pour la suite alors même que j’étais toujours en mer. J’ai appelé Boris Hermann pour savoir si son bateau était toujours à vendre… Négatif, il était promis à Damien Seguin. Entre-temps j’ai contacté l’un de mes partenaires et je lui ai proposé d’acheter ce bateau avec moi, parce qu’il était trop cher pour moi seul. Il a accepté, j’ai donc rappelé Boris et je lui ai dis, si ça ne fonctionne pas avec Damien (Seguin), rappelle-moi. C’est finalement ce qu’il s’est produit et c’est comme ça que nous avons réussi à avoir ce fabuleux bateau, qui était pour moi le meilleur rapport qualité/prix entre un bateau à foils et un bateau neuf."
Pourquoi être passé d'un bateau ancienne génération à un voilier high-tech à foils construit pour gagner ?
"Parce que c’est le rêve absolu! J’ai toujours financé mes projets moi-même donc je le faisais à mon niveau et avec mes moyens. Quand j’ai démarré en 2015, je ne pouvais avoir que le plus vieux bateau de la flotte, mais ça m’a permis de rentrer dans ce monde du Vendée Globe. Ensuite, avec le Gitana Eighty, qui était mon deuxième bateau, nous étions plus performant, rien à voir avec le Pingouin, mon premier bateau! Pendant cette période avec le Gitana Eighty, c’était l’avènement des grands foils. Tout cela me faisait rêver, mais c'était innaccessible. Je rêvais d’en avoir un, mais je ne pouvais pas me le permettre. Et c'est à l’arrivée du Vendée Globe, lorsque tout s’est aligné, que tous les voyants sont passés au vert avec ce copropriétaire et tous ces sponsors qui souhaitaient poursuivre l’aventure que je me suis retrouvé au mois d’avril, encore dans l’ambiance du Vendée, avec ce bateau."

Après tes nombreux entraînements, la Fastnet et le défi Azimut, quelles ont été tes premières sensations à bord ?
"Je redécouvre la navigation ! C’est un autre monde… Je retrouve beaucoup plus les sensations de trimarans ORMA quand je naviguais avec Michel Desjoyaux ou Franck Cammas en 2007, que les sensations que j’ai pu avoir sur le Pingouin ou le Gitana Eighty. Le lendemain de la mise à l’eau en mai, nous avions organisé une deuxième sortie avec 16 nœuds de vent et là : le bateau s'est envolé ! C’est la première image que nous avons faite ! (rires). Nous avons halluciné, c’était incroyable ! Je n’en attendais pas tant. Nous avons pu le découvrir sur mer plate et les semaines qui ont suivi avec plus de brise ; c’est là que nous avons commencé à naviguer en mer. J’ai vu que, oui, c’est « fun » mais c’est dur ! Quelques fois le bateau va même plus vite que nous, alors nous sommes surpris, presque dépassés par la bête. Je n’avais jamais encore vécu ça sur un monocoque. C’est impressionnant, il vole haut, il va vite et il saute les vagues ! On ne peut plus se tenir à bord ! Il faut que je l’apprivoise, que j’apprenne à doser. Toutes ces courses nous y aident, tous ces entraînements à Port-La-Forêt... et je pense qu’avec Sébastien Marsset nous étions un petit peu trop sur la retenue. Mais finalement nous tirons énormément sur le bateau, je n’ai jamais autant attaqué avec Gitana ! Dans des conditions normales le bateau tape plus dans les vagues que dans des conditions extrêmes avec Gitana ! Au départ nous pensions trop tirer et puis nous avons réalisé que les autres tiraient plus encore ! Il faut s’y faire, l’objectif maintenant c’est de réussir à doser, de placer le curseur au bon endroit."
En quoi ce bateau bouscule-t-il tes ambitions sportives ?
"Nous nous retrouvons naturellement aux avant-postes puisque le bateau va vite. Ça nous motive pour rester devant quand on y est, on attaque plus. Et il faut être digne d’un tel bateau ! Je n’ai pas envie que l’on puisse se dire « il ferait mieux de le laisser à quelqu’un d’autre parce que lui n’en fait rien ». Le bateau est capable de faire des performances tout à fait exceptionnelles mais il faut arriver à le faire ! Il faut arriver à en tirer sa quintessence, c’est ce qui est excitant. C’est une nouvelle approche de la navigation. Je suis heureux de vivre cette aventure avec Sébastien Marsset, je voulais quelqu’un qui m’accompagne tous les jours dans la prise en main du bateau et c’est ce que nous faisons. Sébastien gère aussi un peu la performance, alors finalement, nous sommes deux à découvrir le bateau."

Avec une "bête" qui performe autant, comment appréhendes-tu le Vendée ?
"Sur le papier, beaucoup de bateaux vont finalement être encore plus performants que le nôtre. Avec du recul c’est un peu désagréable parce que j’ai enfin un superbe bateau à foils et ils sont treize ou quatorze bateaux neufs et je ne sais combien de bateau 2020. Mais ici on atteint peut-être certaines limites... Le skipper, même avec le meilleur talent et la meilleure volonté, ne peut pas aller plus vite que ce qu’il peut résister. Donc ça va niveler un peu les performances. Et puis finalement, qu’est-ce qui est le mieux ? Avoir un bateau rapide sur le papier mais que l’on connaît mal, ou un bateau moins rapide que l’on connaît parfaitement ? La question se pose avec cette nouvelle génération de bateau."
Fortinet rejoint tes partenaires historiques, selon toi, qu’est-ce qui les a séduit dans ton projet ?
"Certainement le fait d’avoir démarré à la voile, seul et d’avoir monté mes propres projets ; ils sont passionnés par ces histoires ! Le défi technologique leur plaît aussi. Eux voulaient de la haute technologie en terme de navigation, ils ne seraient pas venus si je n’avais pas eu un foiler. C’était finalement nécessaire d’acheter ce bateau pour ensuite attirer les sponsors que j’ai aujourd’hui ! Il fallait prendre ce risque-là pour optenir ce résultat. Encore une fois c’est un équilibre à trouver, toujours. La voile c’est toute une histoire de compromis !"

Quel est le programme des deux prochaines années ?
"Beaucoup d’entraînements : il faut arriver à maîtriser la bête. Certainement quelques modifications pour rester au top de la technologie ! Cette dernière évolue vite, tout le monde travaille beaucoup, les foils vont encore se parfaire à une vitesse folle. Je vois les concurrents, les nouveaux foils qui ont été fait cet hiver, ils volent plus tôt que nous, plus vite… Donc nous allons encore faire évoluer le bateau jusqu’au Vendée Globe, c’est certain. Cet hiver par exemple nous allons faire une peinture pour retirer l’après : le bateau a été peint plusieurs fois, ça va nous permettre de l’alléger. Et l’année prochaine nous verrons... Mais il va falloir se tenir prêt à le faire évoluer ! Je ne sais pas encore si nous mettrons de nouveaux foils, ce qui est certain, c’est que nous allons changer ce mât qui a déjà fait deux tours du monde. Il faut fiabiliser le bateau.
Concernant les courses, je vais faire tout le programme ! Ce qui est génial avec ces partenaires anciens et nouveaux c’est que nous avons signé le projet jusqu’en 2025, en intégrant la Transat Jacques Vabre 2025. J’ai trop longtemps regretté de ne pas avoir procédé ainsi sur la campagne précédente, ça m’avait un peu stressé sur la fin du Vendée... Mais ça m’a aussi permis de relancer le projet tant que c’était encore chaud. Aujourd’hui tout cela nous permet de préparer sereinement les trois ou quatre prochaines années et de faire toutes les courses du calendrier IMOCA : les grandes courses et les plus petites. On arrivera au Vendée Globe bien préparés !"