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« Travailler de concert avec la communauté scientifique »
Cette source de motivation, Fabrice l’avait avant. Celle d’un homme pour qui la voile était une passion, nourrie sur le bateau familial en vacances, puis entre amis lors de ses week-ends étudiants. Il était journaliste pour Le Figaro, le classique « métro-boulot-dodo », et pratiquait la voile pour s’évader en fin de semaine. Alors, devenir skipper professionnel, rêver du large, des IMOCA et du Vendée Globe était une fin en soi. À l’issue de ce tour du monde, il y a quatre ans, il fallait autre chose. « Je ne voulais pas avoir l’impression de tourner en rond, confie-t-il. Il manquait un aspect qui dépasse le sportif. » Le tropisme de Fabrice pour l’actualité, les discussions avec ses filles, les images du bord qui reviennent, le plastique qui flotte et les ports pas si propres… Tout le mène à un constat : l’importance de la préservation des océans.
N’y voyez pas une conversion au militantisme, ni une volonté de « verdir » un message comme le veut la tendance. Fabrice apprécie le concret, l’action, tout ce qu’il mobilise depuis si longtemps pour être accepté comme un skipper à part entière. S’ensuivent des jours à cogiter, à s’interroger et à échanger aussi. Il y a les discussions avec Boris Hermann, compère allemand des pontons, qui dispose d’un capteur permettant d’effectuer des relevés scientifiques en mer. Il y a des contacts, aussi, qui sont noués avec des institutions de renom (l’UNESCO) et des laboratoires en France et en Allemagne. Progressivement, Fabrice tisse un réseau de chercheurs et de scientifiques et l’idée est toute trouvée : « il m’est paru pertinent que mes navigations puissent contribuer modestement à comprendre davantage les impacts du réchauffement climatique sur nos océans, en travaillant de concert avec la communauté scientifique. »
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Un bateau, deux capteurs et des millions de datas
Fabrice conserve l’humilité chevillée au corps parce qu’il s’adresse à un milieu qu’il ne connaît pas. « Je n’ai jamais prétendu être un scientifique, je souhaite juste apporter ma pierre à leur travail si précieux », explique-t-il alors. C’est désormais deux projets qu’il mène de front : l’un sportif, si exigeant et prenant, l’autre scientifique qui nécessite le même soin, sans compromettre le premier. Dès 2019, avec le soutien de son partenaire Onet, il dote son IMOCA d’un premier capteur pour mesurer le taux de CO2, la salinité et la température de l’eau. Les datas sont collectées en permanence lors des courses, stockées puis envoyées via un téléphone satellite aux instituts français comme l’Ifremer et allemands, comme Geomar et Max-Planck Institut.
L’année suivante, Fabrice installe un autre capteur. Développé par une entreprise allemande (SubCtech), il permet de mesurer la teneur des eaux de surface en microplastiques. Chaque jour en mer, à heure fixe, le marin doit changer trois filtres et les conserver pendant sa traversée. Lors du dernier Vendée Globe, il a pu rapporter 53 échantillons sur les 80 prévus. Si son aventure a été écourtée – il a dû abandonner au large de l’Afrique du Sud – Fabrice a tenu son pari et a envoyé ses échantillons à l’Ifremer et à l’université de Bordeaux qui les analysent et travaillent avec l’Institut de Recherche et de Développement sur un état des lieux scientifique de la pollution océanique réelle au large.
« J’ai troqué mon ciré contre une blouse blanche »
L’été dernier, Fabrice reprend la mer et entreprend un tour de France des microplastiques, de Dunkerque à Menton. Il troque son IMOCA pour deux bateaux plus modestes – un Ofcet 32 pour la Manche et l’Atlantique, un X-362 pour la Méditerranée – et conserve ses filtres qu’il change régulièrement. L’aventure se poursuit à l’automne, lors de la Transat Jacques Vabre et intéresse particulièrement les scientifiques, notamment toute la remontée des côtes sud-américaines jusqu’en Martinique. Le temps sportif n’a rien de commun avec celui des scientifiques et il faut des mois, voire des années, pour que les résultats des analyses en laboratoire puissent être validés et communiqués.
Fabrice l’a constaté en février dernier lors d’une visite à l’université de Bordeaux au sein des laboratoires EPOC* et CBMN** aux côtés du professeur Jérôme Cachot et de la directrice de recherche Sophie Lecomte. « J’ai troqué mon ciré contre une blouse blanche afin de mieux comprendre le travail des scientifiques en aval, leurs enjeux de temps, d’analyse et de moyens. » Les premiers résultats, surprenants, de ses relevés lors du Vendée Globe 2020 sont sortis fin mars : ils montrent que les eaux de surface de l’océan Atlantique sont deux fois plus polluées par des fibres de cellulose que par des microplastiques. Cette première étude montre également que l’Atlantique Nord est davantage touché par la pollution plastique que l’Atlantique Sud et questionne la dynamique du gyre subtropical (zone de concentration des microplastiques) puisque les niveaux de pollution qui y ont été mesurés sont plus faibles qu’attendu.
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Ocean Calling, le nouveau palier
Alors que ses travaux océanographiques s’avèrent concluants, la motivation du sportif et aventurier est toujours identique. Fabrice Amedeo a doté son IMOCA Nexans-Art & Fenêtres des foils en C de l’ancien Hugo Boss d’Alex Thomson. Il a gagné en fiabilité et en performance pendant l’hiver et continuera à embarquer ses deux capteurs pour contribuer à la lutte contre la pollution de l’Océan, son plus beau terrain de jeu. Ils serviront lors de la Vendée-Arctique-Les Sables en juin puis sur la Route du Rhum en novembre, le point d’orgue d’une nouvelle saison au large, en solitaire.
L’odyssée de Fabrice ne s’arrête pas là. En mars dernier, il lance un fonds de dotation, Ocean Calling. Sa mission : regrouper et soutenir l’ensemble de ses initiatives scientifiques et civiques aux côtés de ses partenaires et des scientifiques qui l’accompagnent, et aider des associations à vocation écologique ou sociétale.
« Cela contribue à donner de l’ampleur à l’investissement citoyen de notre équipe », ajoute le skipper. Son comité de mécènes est à l’image de ce qu’il a constitué au fil des ans en réunissant des scientifiques, comme Catherine Dreanno (chercheuse à l’Ifremer), Jérôme Cachot (professeur et chercheur à l’université de Bordeaux), et des dirigeants d’entreprises comme Nexans (Christopher Guérin, DG), Onet (Émilie de Lombarès, présidente du directoire), et Cécile Sanz, présidente du réseau Art & Fenêtres et du groupe FPEE, Daniel Hager président de groupe allemand Hager, qui ont en commun d’être également partenaires du bateau de Fabrice Amedeo. Une façon de fédérer, de franchir un nouveau palier et de continuer, encore, à donner du sens.
* Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux ** Chimie et biologie des membranes et nano-objets
Retrouvez une interview exlusive de Fabrice Amedeo et bien d'autres sujets dans notre dernier hors-série Collection 2022 à découvrir ici !