Vendée Globe : la même course, mais un quotidien bien différent

On peut partager un Atlantique Sud, et n’avoir que peu de points communs. En cette dix-septième nuit de course – déjà, où seulement, c’est une question de point de vue -, deux cartes postales sonores bien différentes nous sont parvenues. Celle de Paul Meilhat d’abord, qui en neuvième position sur son IMOCA Biotherm, s’emploie à maintenir la cadence des lièvres lancés en plein duel avec la dépression. Et celle de Jingkun Xu, 38e, dont l’IMOCA Singchain Team Haikou longe encore les côtes brésiliennes, fermant la marche d’un deuxième peloton qui s’éloigne de plus en plus de son horizon. Deux marins qui partagent une même course, mais décidément pas le même quotidien.
« On est un peu rouillés, et un peu fatigués »Devant, c’est toujours le même programme : « Je fonce Alphonse ». Avec des intensités différentes entre chaque pointage – la prime nocturne va à Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 4e) qui semble avoir trouvé le moyen d’appuyer encore un peu plus fort sur la pédale, tandis que Thomas Ruyant (VULNERABLE, 2e) ralentissait un peu – mais peut-on vraiment parler de ralentir à 22,2 nœuds de moyenne sur 24 heures ?
On ne peut pas leur reprocher de ne pas être constant dans l’effort, ces forcenés de la tête de flotte ! Une philosophie qui correspond justement bien à Paul Meilhat, qui explique : "J’essaie vraiment de naviguer toujours avec la même intensité, avec une vitesse moyenne assez stable et une trajectoire tendue, parce que c’est ça qui est intéressant sur la durée pour préserver le matériel et pas faire de bêtises et instaurer un peu une routine de fonctionnement. C’est sûr que ça fait maintenant quelques jours qu’on est à plus de 20 nœuds tout le temps !"Décidément, on se dit que Patricia, l’étudiante américaine incarnée par Jean Seberg devant la caméra de Godard, aurait aimé l’IMOCA, elle qui soupirait : « C'est triste le sommeil. On est obligés de se séparer. » Pas franchement de « séparation » possible pour les marins et leur monture, même si Paul Meilhat travaille activement à son repos, qu’il considère même comme le seul « plaisir à bord » qu’il s’octroie – le bruit environnant rendant de toutes façons impossible toute écoute de musique ou podcast : " Dès qu’il y a des conditions stables, j’essaie vraiment de dormir le maximum, et j’ai réussi par moment à allonger un peu le temps de sommeil et ne pas être que en mode sieste de 20 minutes. Après c’est vrai qu’on ne bouge pas beaucoup, donc quand on fait une manœuvre, ce qui est un peu rare, on se rend compte qu’on est un peu rouillés, et un peu fatigués. J’essaie de rester en forme et de faire attention ! " « Mieux vaut rouiller que dérouiller », commenterait fort à propos Jean-Paul Belmondo ! Car derrière Biotherm, la fracture commence à être détectable sans avoir à passer d’IRM. Si le petit groupe mené par Samantha Davies (Initiatives Cœur, 8e) se maintient encore dans la fin de souffle de la dépression, c’est plus aléatoire à partir de Romain Attanasio (Fortinet-Best Western, 15e), obligé de faire du plein Est pour maintenir sa vitesse. Derrière lui, les trajectoires commencent à osciller dangereusement, signe d'une certaine instabilité. Ce n'est pas Justine Mettraux (Teamwork-Team SNEF, 13e) et Isabelle Joshke (MACSF, 19e), contraintes, vu leur trace hachée, à un changement de voile, qui diront le contraire.
Au fil des heures, la situation risque malheureusement d’empirer, à mesure que l’anticyclone de Sainte-Hélène s’installera dans la zone. Vingtième au classement, Arnaud Boissière (La Mie Câline) est d'ailleurs le seul à parvenir à se maintenir au-dessus des 10 noeuds de moyenne, devant tous les bateaux à dérives droites, menés au Sud par Louis Duc (Fives Group - Lantana environnement). « C’est très capitaliste, résumait ainsi Paul Meilhat, les plus riches sont plus riches et les plus pauvres sont plus pauvres ! »
« Beaucoup trop facile jusqu’à maintenant »Pauvre, ce n’est vraiment pas comme ça que se sent Jingkun Xu, qui lui aussi fait preuve depuis le départ de constance, mais simplement pas à la même allure : " Cela fait maintenant deux semaines que je suis parti, et j’ai l’impression que le temps passe très vite. Mon état d’esprit est très bien : je prends au sérieux chaque journée et j’apprécie pleinement chaque instant." Un « carpe diem » quotidien pour le navigateur chinois en fin de cortège, dont la seule ombre au tableau serait ce « vieux problème à l’épaule droite » qui le tracasse et dont « la douleur rend les mouvements un peu limités ». Mais pas de quoi gâcher son plaisir d’être en mer, à bord de son IMOCA Singchain Team Haikou qu'il surveille comme le lait sur le feu, et qui l’étonnerait presque lui-même : " Jusqu’à présent, ces premiers jours me paraissent bien agréables comparés aux courses de qualification des trois dernières années. Cela semble même beaucoup trop facile jusqu’à maintenant : le vent est favorable, le bateau est en bon état, les conditions de la météo sont parfaites, et au moins jusqu’à maintenant, cela me permet d’avoir une excellente expérience sur ce Vendée Globe !"Voilà la beauté de cette course ou chaque marin vient chercher quelque chose de différent, si tant est qu’il est en paix avec sa quête. Et au petit matin aujourd’hui encore, alors que Samantha Davies nous offre, malgré « ses yeux qui piquent » une photo de son aube comme on oserait à peine en rêver, on ne s’en lasse décidément pas : « les dénonciateurs dénoncent, les cambrioleurs cambriolent, les assassins assassinent, les amoureux s'aiment », et les Vendée-Globistes. « Après, si vous n'aimez pas la mer... »
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