Vendée Globe : Sébastien Simon a la tête du classement ce matin

Peut-on encore vraiment parler de nuit ? Depuis maintenant plusieurs semaines déjà, elle n’est bien sûr plus synchrone avec la nôtre, eux qui cavalent désormais à l’opposé de nos oreillers. Et ils sont surtout tellement Sud, bientôt tous éparpillés entre les quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants, qu’à défaut de nuit ils n’ont qu’une poignée d’heures d’obscurité, si fugaces qu’on pourrait presque les rater.
S’il y en a un qui est pourtant resté à l’affût, c’est bien Sébastien Simon (Groupe Dubreuil), qui a profité de la foire d’empoigne entre Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 2e) et Yoann Richomme (PAPREC-ARKÉA, 3e) pour s’emparer, à bas bruit et un peu décalé dans leur Nord, de la première place au classement. Et il s’en réjouit forcément : "C’est bon de se réveiller en se rendant compte qu’on est en tête, d’abord en recevant des messages Whatsapp puis en actualisant la carto ! En tous cas ça fait du bien au moral, ça fait du bien d’être tribord amure aussi parce que là j’ai mon foil et je peux exploiter 100% de mon bateau, j’y prends beaucoup de plaisir. La mer s’est quand même bien rangée, les conditions aussi, alors là le vent vient de mollir d’un coup mais ça fait du bien quand ça s’arrête un peu ! "« je les soupçonne d’avoir des petits soucis »Alors, on ne peut pas s’empêcher de se rappeler que dans le chef d’œuvre d’Antoine de Saint-Exupéry, c’est Rivière qui fait la pluie et le beau temps. C’est lui, le chef d’équipe de l’aéropostale sud-américain, qui oblige chaque nuit ses pilotes à accomplir la prouesse d’acheminer le courrier par les airs, pour démontrer la supériorité en vitesse de l’avion sur le train. « Ces hommes-là sont heureux parce qu'ils aiment ce qu'ils font, et ils l'aiment parce que je suis dur », dit Rivière, qu’on rebaptiserait bien pour l’occasion Océan.
Et à voir le skipper vendéen du Groupe Dubreuil continuer de cravacher malgré la perte d’un de ses foils, on ne peut s’empêcher de confirmer les mots de l’intransigeant contremaître : « Les échecs fortifient les forts. » Comment l’explique-t-il, Sébastien Simon, cette nouvelle première place au classement malgré sa sérieuse avarie ? On veut bien le croire effectivement tant ces trois-là sont lancés, en plus de la furieuse course vélique et technologique qu’ils se disputent, dans une guerre psychologique où chaque petite faiblesse peut être exploitée. « Il n' y a pas de fatalité extérieure, écrit Antoine de Saint-Exupéry dans « Vol de Nuit ». Mais il y a une fatalité intérieure : vient une minute où l'on se découvre vulnérable ; alors les fautes vous attirent comme un vertige. »
VULNERABLE, c’est aussi le nom du bateau de Thomas Ruyant (5e) et Sam Goodchild (10e) qui, tous deux, sont bien occupés à déployer leurs ailes pour ne pas perdre une poussière de milles de plus en chemin. « Chaque seconde emporte quelque chose », après tout. Alors voilà le skipper nordiste, 6e du dernier Vendée Globe, qui repousse encore ses limites, ferraillant à plus de 24 nœuds de moyenne, quasiment bord à bord avec Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 4e) et Jérémie Beyou (Charal, 6e) après près de 40 jours de bataille navale. Devant eux, la terrible barrière de l’anticyclone les empêche de rêver à un rattrapage des leaders dans l’immédiat, mais plus tard, qui sait ? « Voyez-vous dans la vie, il n'y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions les suivent. »
Avarie de cloison avantUn peu plus loin derrière, c’est justement des solutions que cherchent pourtant Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e) et Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e). Les deux comparses d’infortune, qui ont couru comme des dératées jusqu’au quai pour mieux voir le train partir sous leurs yeux, se retrouvent à faire du Nord-Est sous la Nouvelle-Zélande, en attendant le prochain wagon. Elles devraient bientôt le partager avec Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 14e) et Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 15e), qui viennent de les rejoindre dans le Pacifique. Les malheurs des uns faisant le bonheur des autres, surtout quand « la vie se contredit tant, on se débrouille comme on peut avec la vie... »
Derrière encore, une fois dépassés la malheureuse Pip Hare (Medallia) qui continue sa lente progression vers l’Australie et le cavalier seul Damien Seguin (Groupe APICIL, 16e), six bateaux se tiennent encore en formation resserrée. Après des jours à s’accrocher, Isabelle Joschke (MACSF, 17e) a repris d’une courte tête l’avantage sur le roi Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 18e), dont la bouteille ne pare tout de même pas tous les coups. Qu’en dirait Rivière ? « Quand on lui réclamait des solutions parfaites, qui écarteraient tous les risques : «C'est l'expérience qui dégagera les lois, répondait-il, la connaissance des lois ne précède jamais l'expérience.» »
Un peu plus au Sud, Tanguy Le Turquais (Lazare, 21e), auteur d’une magnifique remontée dans son option engagée, acquiescerait, lui qui depuis cette nuit est fortement ralenti. La faute à une avarie de cloison avant dans la soute de son bel oiseau rose, qui l’a obligé à sortir gants, fibres et époxy. « On est riche aussi de ses misères », lui aurait rétorqué l’aviateur…
« on est là pour ça »De misères, il n’en a plus tant que ça Eric Bellion (Stand as One – Altavia, 26e), lui qui a longtemps lutter pour réparer son système de safrans. Mais l’Indien, « cet océan sauvage », comme il le décrit, n’est pas tendre pour autant avec lui. Pourtant il s’en réjouit ! "Oui tant mieux que l’Océan Indien soit sauvage, on est là pour ça, si c’était rangé et si ça correspondait à mes attentes, quelque part je serais déçu ! J’ai passé le Cap de Bonne Espérance en me disant « on va voir si ton installation tient, on va aller voir jusqu’en Australie », et puis aujourd’hui je suis très confiant, je suis sûr que le système va faire le tour du monde. Je suis vraiment dessus, je surveille énormément, je contrôle dès que je suis sur le pont, mais je suis très satisfait de la réparation, je pense que c’est encore mieux que ce qu’il y avait avant, encore plus solide ! "Malgré son plaisir immense d’être en mer, le marin a tout de même connu hier une journée difficile. Epuisé par les plus de cinq semaines de lutte, il a mis le bateau « en mode mobylette, très simple », et est parti dormir. « Toute la nuit », dit-il, ce qui, on le rappelle, ne fait tout de même pas si lourd que ça. Mais cela suffit à changer une dynamique !
Dans « Vol de Nuit », Saint-Exupéry dit justement que « si les insomnies d'un musicien lui font créer de belles œuvres, ce sont de belles insomnies. » En serait-il de même, à l’inverse, pour nos solitaires qui succombent un temps aux bras de Morphée ?
Rendons le mot de la fin de ce petit matin au nouveau leader de la flotte, qui décidément impressionne lui aussi par son mental de carbone ou d'acier. Dans son message nocturne, Sébastien Simon anticipait ainsi : "Je redoute le moment où je vais me trouver bâbord amure forcément, je vais voir les poursuivants me rattraper, ça risque d’être très dur mentalement. Pour l’instant il y a toujours un anticyclone d’écart entre nous, je vais essayer de profiter de l’instant présent, c’est assez incroyable d’être à nouveau en tête du Vendée Globe et ça fait plaisir. J’étais venu là pour finir un Vendée Globe, aujourd’hui mes ambitions sont tout autres ! Avec la casse d’un foil ça va être beaucoup plus compliqué, mais je garde espoir, et j’ai envie d’y croire à fond et aujourd’hui ça confirme que j’ai ma place dans ce Vendée Globe ! "Comme quoi, on peut être en tête du Vendée et avoir douté de seulement y participer. Alors à lui qui redoute le retour de ses rivaux échauffés, on lui glisserait volontiers : « Aimez ceux que vous commandez. Mais sans le leur dire. »
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