Vendée Globe : quand les corps craquent mais que l’esprit tient bon

Par Figaronautisme.com

Sur le Vendée Globe, les skippers affrontent bien plus que l’océan : leur propre corps devient un champ de bataille, soumis à des efforts extrêmes et à l’usure du temps. Entre douleurs, privation de sommeil et conditions éprouvantes, ils continuent pourtant à avancer, portés par une détermination à toute épreuve. Quand les bateaux grincent et les corps faiblissent, c’est l’esprit qui fait la différence.


Vous connaissez la chanson ? « J'ai la rate qui s'dilate / J'ai le foie qu'est pas droit / J'ai le ventre qui se rentre / J'ai l'pylore qui s'colore »… A écouter les messages de la nuit de nos marins du Vendée Globe, il y aurait de quoi faire une adaptation de cette entêtante ritournelle de Gaston Ouvrard, déclinée à la sauce du large. Car à bord, malgré toute la technologie pensée pour les aider, le principal moteur reste bien – et heureusement - l’humain ! Et toute merveilleuse machine qu’il soit, le corps soumis depuis si longtemps à de tels efforts commence forcément à montrer des signes de lassitude, voire de franche ingratitude…

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© Vendée Globe

Et pourtant, il faut les lancer sur le sujet pour que nos durs au mal commencent enfin à en parler… Tellement habitués à serrer les dents, les solitaires du Vendée Globe parlent plus spontanément des bobos de leurs bateaux que de leurs propres désagréments ! A l’image de Thomas Ruyant (VULNERABLE, 9e), dont la perte du J2 le ralentit de « 15-20 % », et qui commence par nous raconter à quel point il « se mord les doigts de voir les vitesses des autres bateaux à côté »… Mais en parlant de doigts, il en vient aussi à nous évoquer les siens, et le reste tant qu’à faire :

« Les mains prennent cher, elles sont gonflées, moi j’ai des petits problèmes de canal carpien donc les mains elles sont abîmées, elles me font un peu mal. Et puis physiquement, j’ai les jambes qui ont fondu, j’ai déjà pas des gros cuissots de base, mais on est beaucoup assis, allongés, et quand on est debout on le reste pas longtemps… par contre j’ai pris un peu des épaules ! A force de faire de la colonne… Mais sinon j’ai pas de bobos particuliers, donc je suis content, un peu mal au dos quand même ! » Thomas Ruyant, VULNERABLE.

« On sent qu’ils sont usés »

C’est qu’ils en encaissent des chocs, entre les vagues, les arrêts-buffets, les écarts thermiques, la privation de sommeil, les manœuvres à répétition… Et ce n’est pas fini ! Juste au-dessus du skipper nordiste, la dépression semble former comme un gant de boxe prêt à délivrer son ultime uppercut. Progressant vers le ring, les prétendants sont encore dans le couloir, avec en tête de gondole Jérémie Beyou (Charal, 4e) et Sam Goodchild (VULNERABLE, 5e) qui vont se lancer les premiers dans la galère. Leur adversaire sera redoutable, avec des creux de plus de 7 mètres attendus, et un vent puissant qui rendra difficile toute esquive, même en mettant de l’Est dans sa trajectoire comme Paul Meilhat (Biotherm, 6e), forcément inquiet pour son gréement fragilisé. Concentré, Thomas Ruyant anticipait :

« On va avoir de la mer et du vent fort, surtout ça va se finir au près au Cap Finisterre. Demain soir on peut avoir une mer assez sérieuse, 7 mètres avec du vent fort, il va falloir faire le dos rond et faire attention. On sent qu’ils sont usés les bateaux, il est temps de les ramener à l’écurie, les bruits ne sont pas les mêmes, les bouts sont plus rêches, l’accastillage fait plus le même bruit, on sent une usure dans la durée…» Thomas Ruyant, VULNERABLE.

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Photo envoyée depuis le bateau GUYOT Environnement - Water Family lors de la course à la voile du Vendée Globe le 19 janvier 2025© Photo du skipper Benjamin Dutreux / Vendée Globe


Derrière le skipper de VULNERABLE, quatre bateaux sont encore dans la dorsale, et Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 10e) a profité de la petite pénalité d’une heure effectuée par Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 11e) pour prendre un avantage aussi léger que le vent actuel. En cause pour la navigatrice : un plomb qui a sauté sur son « grab bag », ce sac d’urgence bien utile en cas d’évacuation du bateau…

A plus de mille milles de là, pour Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 14e), ce n’est pas une pénalité qui le ralentit, ou du moins pas une délivrée par le jury ! C’est en effet la nature qui a décidé de lui compliquer la vie en plaçant pour lui un Pot-au-Noir particulièrement épais, et bien plus Sud qu’à l’accoutumée. Dans son malheur, il voit ses concurrents directs tout autant ralentis – de Isabelle Joschke (MACSF, 15e) à Giancarlo Pedote (Prysmian, 19e) – mais pas sûr que ça ne le console complètement, d’autant qu’il ne semble pas en être encore sorti…

« J’ai grimpé dans mon mât pour la septième fois »

Dans ces conditions, quand le corps tient encore mais que ce sont les nerfs qui s’apprêtent à lâcher, il faut alors réussir à se contenter des petites victoires qui permettent de maintenir le cap. Pour Guirec Soudée (Freelance.com, 23e), c’est d’un petit aperçu de la Terre qu’est venu le salut, avec un passage proche de l’île Trindade, et d’une ascension au mât devenue – presque - une routine convenue :

« Ce week-end, j’ai grimpé dans mon mât pour la septième fois, si je dis pas de bêtise ! Donc autant te dire que je commence à comprendre le fonctionnement pour faire une montée rapide et efficace ! Je me suis occupé de mon J2, j’ai collé plusieurs patchs, c’était la mission parce qu’avec la chaleur le sika séchait tellement vite ! J’ai commencé par celui le plus haut, je m’en suis mis plein les mains, plein partout. Le troisième patch je le sors, il tombe sur le pont… Donc je suis descendu, je suis remonté, et les deux derniers ils voulaient même plus coller tellement le sika avait déjà tellement séché, c’est le jeu… » Guirec Soudée, FREELANCE.COM.

Faudra-t-il songer à décerner un maillot à pois au meilleur grimpeur de cette dixième édition ? Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 22e) a peut-être eu vent de cette nouvelle épreuve, lui qui a fait deux ascensions ce week-end pour réparer son étai… A 65 ans, le doyen de l’édition nous montre décidément qu’il n’y a pas d’âge pour s’envoyer en l’air, et a en plus la satisfaction d’avoir réussi sa réparation !

Faire le dos rond, ne pas craquer malgré les cracs qu’on ressent forcément, voilà l’enjeu du quotidien de nos marins, qui ne se fait pas malheureusement sans quelques frayeurs. Ainsi va de Sébastien Marsset (Foussier, 25e) qui profite d’une « magnifique nuit étoilée » pour nous envoyer un petit message spontané, et nous conter sa dernière mésaventure. « Hier en manœuvrant, j’ai tiré sur la longe et la ligne de vie m’est restée dans les mains, la sangle a cassé ! Heureusement je n’ai pas été déséquilibré ! Il faut redoubler de vigilance, garder en tête ce proverbe « une main pour soi une main pour le bateau », même en étant attaché ! ». Trahi par sa propre ligne de vie, c'est vraiment le signe que dans l'adversité, tout ne tient qu'à un fil qui ne demande qu'à lâcher...

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Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 19 janvier 2025.© Photo de la skipper Clarisse Crémer)


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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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