Vendée Globe : quand les corps craquent mais que l’esprit tient bon

Et pourtant, il faut les lancer sur le sujet pour que nos durs au mal commencent enfin à en parler… Tellement habitués à serrer les dents, les solitaires du Vendée Globe parlent plus spontanément des bobos de leurs bateaux que de leurs propres désagréments ! A l’image de Thomas Ruyant (VULNERABLE, 9e), dont la perte du J2 le ralentit de « 15-20 % », et qui commence par nous raconter à quel point il « se mord les doigts de voir les vitesses des autres bateaux à côté »… Mais en parlant de doigts, il en vient aussi à nous évoquer les siens, et le reste tant qu’à faire :
« Les mains prennent cher, elles sont gonflées, moi j’ai des petits problèmes de canal carpien donc les mains elles sont abîmées, elles me font un peu mal. Et puis physiquement, j’ai les jambes qui ont fondu, j’ai déjà pas des gros cuissots de base, mais on est beaucoup assis, allongés, et quand on est debout on le reste pas longtemps… par contre j’ai pris un peu des épaules ! A force de faire de la colonne… Mais sinon j’ai pas de bobos particuliers, donc je suis content, un peu mal au dos quand même ! » Thomas Ruyant, VULNERABLE.« On sent qu’ils sont usés »C’est qu’ils en encaissent des chocs, entre les vagues, les arrêts-buffets, les écarts thermiques, la privation de sommeil, les manœuvres à répétition… Et ce n’est pas fini ! Juste au-dessus du skipper nordiste, la dépression semble former comme un gant de boxe prêt à délivrer son ultime uppercut. Progressant vers le ring, les prétendants sont encore dans le couloir, avec en tête de gondole Jérémie Beyou (Charal, 4e) et Sam Goodchild (VULNERABLE, 5e) qui vont se lancer les premiers dans la galère. Leur adversaire sera redoutable, avec des creux de plus de 7 mètres attendus, et un vent puissant qui rendra difficile toute esquive, même en mettant de l’Est dans sa trajectoire comme Paul Meilhat (Biotherm, 6e), forcément inquiet pour son gréement fragilisé. Concentré, Thomas Ruyant anticipait :
« On va avoir de la mer et du vent fort, surtout ça va se finir au près au Cap Finisterre. Demain soir on peut avoir une mer assez sérieuse, 7 mètres avec du vent fort, il va falloir faire le dos rond et faire attention. On sent qu’ils sont usés les bateaux, il est temps de les ramener à l’écurie, les bruits ne sont pas les mêmes, les bouts sont plus rêches, l’accastillage fait plus le même bruit, on sent une usure dans la durée…» Thomas Ruyant, VULNERABLE.
A plus de mille milles de là, pour Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 14e), ce n’est pas une pénalité qui le ralentit, ou du moins pas une délivrée par le jury ! C’est en effet la nature qui a décidé de lui compliquer la vie en plaçant pour lui un Pot-au-Noir particulièrement épais, et bien plus Sud qu’à l’accoutumée. Dans son malheur, il voit ses concurrents directs tout autant ralentis – de Isabelle Joschke (MACSF, 15e) à Giancarlo Pedote (Prysmian, 19e) – mais pas sûr que ça ne le console complètement, d’autant qu’il ne semble pas en être encore sorti… « J’ai grimpé dans mon mât pour la septième fois »Dans ces conditions, quand le corps tient encore mais que ce sont les nerfs qui s’apprêtent à lâcher, il faut alors réussir à se contenter des petites victoires qui permettent de maintenir le cap. Pour Guirec Soudée (Freelance.com, 23e), c’est d’un petit aperçu de la Terre qu’est venu le salut, avec un passage proche de l’île Trindade, et d’une ascension au mât devenue – presque - une routine convenue :
« Ce week-end, j’ai grimpé dans mon mât pour la septième fois, si je dis pas de bêtise ! Donc autant te dire que je commence à comprendre le fonctionnement pour faire une montée rapide et efficace ! Je me suis occupé de mon J2, j’ai collé plusieurs patchs, c’était la mission parce qu’avec la chaleur le sika séchait tellement vite ! J’ai commencé par celui le plus haut, je m’en suis mis plein les mains, plein partout. Le troisième patch je le sors, il tombe sur le pont… Donc je suis descendu, je suis remonté, et les deux derniers ils voulaient même plus coller tellement le sika avait déjà tellement séché, c’est le jeu… » Guirec Soudée, FREELANCE.COM.Faudra-t-il songer à décerner un maillot à pois au meilleur grimpeur de cette dixième édition ? Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-Lux, 22e) a peut-être eu vent de cette nouvelle épreuve, lui qui a fait deux ascensions ce week-end pour réparer son étai… A 65 ans, le doyen de l’édition nous montre décidément qu’il n’y a pas d’âge pour s’envoyer en l’air, et a en plus la satisfaction d’avoir réussi sa réparation !
Faire le dos rond, ne pas craquer malgré les cracs qu’on ressent forcément, voilà l’enjeu du quotidien de nos marins, qui ne se fait pas malheureusement sans quelques frayeurs. Ainsi va de Sébastien Marsset (Foussier, 25e) qui profite d’une « magnifique nuit étoilée » pour nous envoyer un petit message spontané, et nous conter sa dernière mésaventure. « Hier en manœuvrant, j’ai tiré sur la longe et la ligne de vie m’est restée dans les mains, la sangle a cassé ! Heureusement je n’ai pas été déséquilibré ! Il faut redoubler de vigilance, garder en tête ce proverbe « une main pour soi une main pour le bateau », même en étant attaché ! ». Trahi par sa propre ligne de vie, c'est vraiment le signe que dans l'adversité, tout ne tient qu'à un fil qui ne demande qu'à lâcher...