Vendée Globe : "Dormir pour ne pas fléchir", les secrets de résilience en course au large

Par Figaronautisme.com

Si nos marins du Vendée Globe sont assurément des animaux doués de raison, il n’en reste pas moins que, dans certaines conditions, ils avouent ranger bien volontiers dans une baille à bouts le précieux contenu de leur boîte crânienne. Quand tout concourt à leur dire de lever le pied, mieux vaut arrêter de réfléchir que fléchir !

Ah le cerveau ! Parfois on est contents qu’il soit bien à sa place, à faire son office, et assurer par mille détours sophistiqués notre pérennité. A d’autres en revanche, on sent bien qu’il pèse, nous ralentit, et on aimerait soudain faire taire ses tonitruantes alarmes, forcément inutiles puisqu’on le sait pertinemment qu’on n’aurait pas dû se fourrer dans cette situation, mais maintenant qu’on est rendus là voyez-vous, on n’a plus vraiment d’autre choix que d’appuyer sur le champignon...

« Quand tu dors, au moins tu ne réfléchis pas »

Vous voulez qu’on vous dise un secret ? Un des mantras que se transmettent les marins de course au large dit ceci : « Plus tu vas vite, plus tu as mal, mais moins ça dure longtemps ». Voilà l’équation qui résume actuellement la situation vécue par « les huit salopards » - n’y voyez qu’une référence à Quentin Tarantino, absolument pas un jugement de valeur morale – qui battent le fer en direction du cap Finisterre ! Et c’est d’ailleurs le plus sage d’entre eux, ou du moins le plus vieux, qui nous confirment le caractère peu raisonnable de leur entreprise collective :

Il y a entre 30 et 38 nœuds, ce n’est pas très confortable. Les heures à venir ? Je m’allonge sur mon matelas, je ferme mes oreilles, et je laisse passer le temps ! Quand tu dors, au moins tu ne réfléchis pas, il n’y a pas grand-chose à faire. Si tu es à la barre, tu pars en courant ! J’ai fait une pointe à 28 nœuds, c’est du lourd. Je n’ai pas de J2, mais pour ceux qui ont fait du J2, ça a dû être encore plus une horreur !

Jean Le Cam, TOUT COMMENCE EN FINISTERE - ARMOR-LUX :

« Voilà donc la recette de Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux, 20e), qu’on aime imaginer jouer les belles au bois dormant quand ça souffle violemment. Serait-ce ça le vrai privilège de l’expérience : parvenir à dormir sur ses deux oreilles quand le cerveau bégaye ? »

En tous cas, Damien Seguin (Groupe APICIL, 15e) ne semble pas s’être endormi côté performance, lui qui a pris la tête du groupe et mis le turbo, avec 446 milles avalés en 24 heures… Après un petit recalage stratégique au Nord, le champion handisport est en ordre de bataille pour attendre la bascule de vent qui devrait venir avec le front suivant, et le pousser jusqu’au Golfe de Gascogne, avec à ses trousses Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo for a Job, 16e), Alan Roura (Hublot, 17e) et Tanguy Le Turquais (Lazare, 18e), jamais les derniers à vouloir participer quand on signale une partie de poker où le cerveau est prié de rester au vestiaire.

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© COURSE, 30 JANVIER 2025 : Photo envoyée depuis le bateau Hublot lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 janvier 2025.

« Je préfère ne pas trop tirer »

Derrière, c’est tout autant le cas, mais avec les limites imposées par les contingences matérielles. C’est un peu frustré que Giancarlo Pedote (Prysmian, 22e) voit ses camarades s’échapper, et nous expliquait cette nuit :

Toutes les fois où j’accélère trop, je l’ai vu hier, il se passe quelque chose avec mon safran, il est fatigué, il faut que j’accepte ça. Je préfère ne pas trop tirer et arriver aux Sables d’Olonne… Mon état d’esprit, c’est que je commence à sentir que la fin s’approche !

Giancarlo Pedot, PRYSMIAN :

« Mais rien n’est joué pour autant, d’autant que le golfe de Gascogne s’annonce bien moins pourvu en vent. Quelques jours après avoir mené la vie très dure à Boris Herrmann (Malizia-Seaexplorer, 12e) et Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e), le dernier obstacle va-t-il se faire doux comme un agneau, et remettre les compteurs à zéro ? Réponse en fin de week-end ! »

« Je pense que je suis quand même fatiguée »

Derrière, le match est en tous cas observé de près, notamment par Guirec Soudée (Freelance.com, 23e), qui doit commencer à trouver le temps long, lui qui fait cavalier seul depuis le Brésil, et s’approche des Açores sans avoir trop subi les affres de l’anticyclone. Il ne devrait ainsi pas être trop inquiété par le retour du groupe suivant, mené par Kojiro Shiraishi (DMG Mori – Global One, 24e) qui a lui un peu plus de souci à se faire… Car la cavalerie est sur ses talons, à commencer par Violette Dorange (Devenir, 25e), enfin sortie des exigeants alizés :

Violette Dorange, DeVenir :

« C’était assez dur parce que ça tapait fort, il y avait des vagues assez courtes et croisées, c’est des conditions que les bateaux n’aiment pas trop donc j’avais hâte de sortir de ça, et comme Cali à côté de moi a démâté, j’étais très triste pour lui. Ça fait une piqûre de rappel que même en naviguant bien, en prenant soin du bateau, on peut avoir de la casse, donc faut faire attention ! Dans les prochains jours je vais avoir beaucoup moins de vent et je suis contente, ça va faire un regroupement, Foussier va sûrement revenir, on va peut-être revenir sur DMG, il y a du match ! »

Bord à bord avec Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnment, 26e), la benjamine de l’aventure n’entend pas baisser le rythme dans les derniers jours de course, même si elle nous glisse d’un ton léger qu’elle espère profiter de la pétole pour réparer son rail de grand-voile arraché sur quelques 40 centimètres, et que son moteur est définitivement inutilisable. Rien que ça ! Décidément, Violette Dorange impressionne, elle qui semble avoir la même fraîcheur que le 10 novembre en quittant les Sables d’Olonne et leur torpeur. Fatigue, solitude, lassitude ? On lui a demandé, par souci de clarté, si elle était vraiment faite du même bois que nous :

" Je pense que je suis quand même fatiguée, le fait de jamais dormir en longue sieste ça crée quand même une petite fatigue. Je n’ai jamais ressenti la solitude du début à la fin, juste un peu de manque avec ma famille, mais pas la sensation d’être seule au monde ! Parfois ça m’arrive de m’ennuyer un peu, souvent quand les conditions sont difficiles et que je ne peux pas bouger dans mon bateau, comme ces derniers jours où j’étais obligée de rester à l’intérieur. Mais je me dis que c’est la fin de la course, il faut que j’en profite à fond, je suis déjà nostalgique, de me dire que ça va être bientôt fini, c’était tellement incroyable ! "

Violette Dorange, DeVenir :

« Un sentiment ambivalent que doit aussi expérimenter Romain Attanasio (Fortinet – Best Western, 14e), attendu dimanche 2 février aux Sables d’Olonne, pour boucler ce troisième tour du monde mené tambour battant… avec ou sans cerveau, ça dépend des moments ! »

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© COURSE, 30 JANVIER 2024 : Photo envoyée depuis le bateau Singchain Team Haikou lors de la course à la voile du Vendée Globe le 3

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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